Quand un médecin me demande de monter sur une balance, c’est toujours l’angoisse. J’essaye de me délester d’un maximum de "poids" : chaussures, chaussettes, ceinture, gilet. Je lui explique que je me suis pesée à mon réveil et que je ne faisais pas 56 mais 55 kg, que depuis j’ai mangé et bu... Petite précision : je ne souffre d’aucun trouble du comportement alimentaire. Et pourtant, je ne veux pas que l’on me rajoute ce kilo que je juge "en trop". Pourquoi ? Car j’ai un poids, ou plutôt un chiffre, que je ne veux (peux) pas dépasser. Un idéal pondéral.

"Le fait qu’un individu soit insatisfait de son poids vient du décalage entre son poids réel, du moins tel qu’il le perçoit, et le poids qu’il souhaiterait avoir. Le poids idéal est donc un élément essentiel du jugement porté sur la corpulence", explique Thibaut de Saint Pol*. Le danger est alors de s’éloigner de la célèbre philosophie de l'"esprit sain dans un corps sain". Le chiffre en question devient une obsession et la restriction alimentaire qu’il peut provoquer pour "revenir à la normale".

La balance, un instrument de torture psychologique

Et qui dit poids, dit forcément balance. Vous savez, cet instrument de mesure qui, malheureusement, fait la pluie et le beau temps chez ses adeptes (esclaves). Le chiffre est "bon" : good mood, la vie est belle. Le lendemain, la machine affiche 500gr de plus au compteur : c’est le drame, la journée est foutue. Davantage obsédante en période de régime, elle n’est pourtant pas celle qui risque de nous faire nous sentir mieux dans notre corps et dans notre tête ! Pire, elle n’apporte pas vraiment d’information intéressante sur notre réel état de santé. 

Ainsi, une étude** publiée en 2015 dans le Journal of Nutrition Education and Behavior démontrait que se peser quotidiennement pouvait provoquer dépression, baisse de l'estime de soi, et dysmorphophobie chez le jeunes femmes. Faut-il pour autant foutre sa balance au feu ? Affirmatif, si l'on possède un modèle classique. En revanche, un impédancemètre est beaucoup plus utile. Certes, il nous donne notre poids, mais pas que, puisqu'il nous informe sur une donnée très importante : la répartition de notre masse grasse (le gras) et de notre masse maigre (muscles, eau et os).

Plus qu'un chiffre à retenir, une histoire de masses

Les muscles prennent moins de place que la graisse, donc à poids égal deux personnes peuvent avoir une silhouette totalement différente "Cela explique donc pourquoi deux femmes pesant le même poids mais n’ayant pas le même pourcentage de tissu musculaire et adipeux n’auront pas la même silhouette. Celle avec une masse musculaire plus importante aura un physique nettement plus élancé que la personne plus grasse", explique Erwann Menthéour, fondateur de la Méthode Fitnext et du site de coaching en ligne fitnext.com. 

D’autres paramètres sont également à prendre en compte. La répartition de ces graisses : à poids égal, si elles se situent sur le ventre, ou les hanches et les cuisses, cela n’aura pas le même impact ; la composition du corps : à poids égal, des personnes qui ont une masse maigre élevée sont en bien meilleure santé que ceux qui ont une masse grasse élevée puisqu'elle protège le cœur, les os, réduit le risque de mortalité précoce et augmente la longévité. 

Ajoutez à cela d’autres facteurs déterminants dans le poids : l’hérédité, l’âge, l’activité physique, le métabolisme, la morphologie, l’ethnie, ou encore des pathologies et traitements médicamenteux. Certaines périodes peuvent aussi le faire fluctuer. Les règles, par exemple, provoquent un mini-bouleversement hormonal qui provoque de la rétention d'eau et donc nous fait prendre plusieurs centaines de grammes.

L’IMC, un indicateur pas si fiable

L’IMC (indicateur de masse corporelle) est le poids divisé par le carré de la taille, exprimé en kg/m2. Entre 19 et 24, l'IMC est considéré "normal". Entre 25 et 30, il y a surcharge pondérale. Au-delà de 30, on parle d'obésité. Mais ce savant calcul est loin de faire l'unanimité. "Les différents seuils ne sont que des seuils statistiques et ne sont en aucun cas des normes ni des objectifs", précise le Dr Jean-Michel LecerfChef du Service de Nutrition & Activité Physique de l'Institut Pasteur de Lille et auteur de A chacun son vrai poids : la santé avant tout (éd. Odile Jacob). Et d’ajouter : "l’IMC prétendument normal, de 20 à 25 kg/m2, est juste un repère statistique qui indique qu’en général, lorsque l’on s’en éloigne, le risque d’avoir une moins bonne santé plus tard augmente."

Car en effet, celui-ci ne donne aucune information sur la répartition des graisses. Ainsi, une personne qui pratique la musculation pourra avoir un IMC élevé, mais très peu de graisse dans le corps. 

Et si on faisait confiance à notre tour de taille ?

Il faut savoir que le tour de taille, de cuisse, de bras sont de meilleurs indicateurs. Car même si l'on affiche un bon poids de forme, mais que l'on présente un excès de graisse viscérale, nous aurons plus de risques de faire de l'hypertension, une hypercholestérolémie, un AVC, de développer des maladies cardiovasculaires ou un diabète. A contrario, si la graisse se situe sur le bas du corps (hanches, fesses, cuisses), celle-ci nous "protège" de ces risques. À partir de 85 cm de tour de taille chez la femme, il faut commencer à s'alerter, d'autant plus lorsqu'il s’accompagne d’un indice de masse corporelle élevé.

Conclusion : nous ne sommes pas toutes sur le même pied d’égalité face à la prise et à la perte de poids. "Rêver que tout le monde peut être mince est une illusion, une hérésie biologique", explique le Dr Jean-Michel Lecerf.  Il est donc stupide de penser qu’il existe un régime standard qui puisse vous convenir à vous, à la voisine et à la Mère Michelle. "C’est faire fi de la nature et de sa diversité", dixit le Dr Lecerf. Il est donc important de garder en tête que l’on doit faire le poids auquel on doit être (naturellement) et non pas celui auquel on veut à tout prix être.

* "Surpoids, normes et jugements en matière de poids : comparaisons européennes", 2009. (https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19123/pes455.fr.pdf)
** https://www.jneb.org/article/S1499-4046%2815%2900633-8/abstract