Voilà plus de 30 ans qu’entre les différents ponts du mois de mai, une journée particulièrement significative se tient. En effet, chaque 6 mai marque le No Diet Day, ou la journée internationale sans régime

Pensée en 1993 par la diététicienne et auteure britannique Mary Evans Young - également à la tête de l’association "Diet Breakers" -, cette occasion (officielle) de se défaire des diktats de la minceur et du corps parfait semble particulièrement d’actualité à l’heure où les réseaux sociaux véhiculent encore et toujours une idée bien précise de la beauté - même si que le mouvement body positive a légèrement changé la donne ces dernières années. 

International depuis 1994, le mouvement s’inspire profondément de l’histoire de son instigatrice.

Ayant souffert pendant plusieurs années d’anorexie-boulimie, la Britannique explique s’être défaite de ses troubles du comportement alimentaire à l'âge adulte. Mais c’est en découvrant un terrible fait divers relatant le suicide d'une adolescente de 14 ans, victime de harcèlement scolaire (on lui reprochait de faire une "size 14", équivalent d’un 42 en France), que le déclic s'est opéré. "Ça aurait pu être moi, quelques années en arrière", nous confie-t-elle. 

Aujourd'hui, sur Instagram, plus de 47000 posts font vivre le hashtag #NoDietDay. Un mouvement féministe nécessaire, que sa créatrice, aujourd’hui âgée de 78 ans, a accepté de décortiquer auprès de Marie Claire

Une journée créée à l'heure de gloire des régimes 

Marie Claire : Pourquoi le "No Diet Day" s’est-il imposé comme une nécessité pour vous, dès le début des années 90 ? 

Mary Evans Young : "Tout le monde parlait des régimes. J’ai grandi avec, j’ai longtemps observé ma mère souffrir de troubles de l'alimentation.... Et moi aussi je suis passée par ces diètes stupides, j’ai fait de l’exercice à outrance, j’ai haï mon corps… 

Dans les années 1990, j’avais enfin repris le contrôle. Puis il y a eu ce fait divers terrible. J'ai été bouleversée par cette histoire, car elle a fortement résonné en moi. Quelques semaines plus tard, je suis aussi tombée sur une émission dans laquelle des femmes racontaient qu'on leur avait posé des agrafes à l'estomac (pour réduire sa taille, un type de chirurgie bariatrique ndlr). Elles racontaient les nombreuses complications, les douleurs physiques mais surtout psychiques. 

À l’époque, je mettais en place l’association et j'animais des cours pour les femmes. J’ai entamé la conversation à ce sujet et tout le monde voulait en parler. C’est par là que ça a commencé. 

Comment le mouvement s’est-il exporté dès l’année suivante ? 

Dès 1994, j'ai été contactée par des organisations en Amérique, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, en Israël, en Afrique du Sud et en Californie…

La date était initialement fixée au 5 mai, mais pour ne pas interférer avec le Cinco de Mayo (fête nationale mexicaine, ndlr), j’ai officiellement changé pour le 6, qui est également le jour de mon anniversaire. Je ne pouvais pas trouver une meilleure façon de le fêter qu’en trinquant à l’abolition des régimes. 

En plus de mettre en danger la santé physique, cela a un impact très fort sur le mental. 

C’est en parlant, en sensibilisant, que le mot a parcouru le monde entier. Ici, au Royaume-Uni, j’ai même été contactée par une politicienne, afin que nous tentions de réglementer l'industrie des régimes. 

À l'époque, on pouvait prétendre n'importe quoi, faire n'importe quel type d'allégations du type : 'perdez deux tailles en 24h avec cette diète'. En plus de mettre en danger la santé physique, cela a un impact très fort sur le mental, on culpabilise de tout reprendre ensuite, on est fatiguée parce que l’on ne mange plus… Dans le monde entier, ce sont malheureusement des choses auxquelles beaucoup de femmes peuvent s’identifier. 

Un mouvement féministe pour reprendre le pouvoir

Diriez-vous donc que le No Diet Day est un mouvement féministe ? 

Oui, tout à fait. Je suis féministe et c’est un sujet qui concerne majoritairement les femmes et leur épanouissement, ainsi que leur place dans la société. Si vous avez faim tout le temps, finalement vous perdez beaucoup de pouvoir, vous n’êtes pas en mesure de vous battre autant que vous aimeriez le faire. 

C'est aussi une initiative qui m'a aidée personnellement. Cela m'a donné plus de confiance parce que je savais que je n'étais pas seule dans ce cas et que je pouvais aider celles qui avaient besoin de l'aide que j'aurais aimé avoir et c'est très important pour moi.

Justement, après des années de TCA, comment avez-vous repris votre pouvoir ? 

En vieillissant, on dit que nous apprenons à nous faire confiance. Je pense qu'il s'agit d'une sorte de construction sociale plutôt que d'une façon naturelle d'être, mais ça aide ! 

Et puis, j'ai vécu avec un homme qui avait une réalité totalement différente de la mienne. Il avait un mode de vie sain. Il faisait du sport. Il mangeait quand il avait faim et s'arrêtait quand il en avait assez et je pense que j'ai dû, sans vraiment y penser, entrer dans ce cycle avec lui.

Aujourd'hui, j'ai 78 ans et je suis en très bonne santé. Je suis active et je mange sainement, mais cela ne veut pas dire que je bannis le chocolat ou toutes les choses que j'aime. Je ne dis pas que c'est facile et rapide, mais ça peut devenir naturel. 

Vous parlez de votre mère comme d'un déclencheur de vos troubles. Sur les réseaux sociaux, elles sont appelées les "almond moms" et accusées de véhiculer des injonctions toxiques, internalisées par elles-mêmes. Quel regard posez-vous sur ce phénomène ? 

C'était très important pour moi parce que j'étais fille unique et que ma mère avait, en effet, des troubles, ce que je n'ai pas réalisé jusqu'à ce que je commence à réfléchir à toutes ses remarques et comportements et à lire des articles à ce sujet. 

Pour moi, c'était normal qu'elle soit comme ça et que je suive aussi. C'est pourquoi il est primordial d'en parler et je suis ravie d'apprendre que la parole se libère en ligne. 

Une industrie qui évolue dangereusement 

En France, le désormais controversé régime Dukan a largement eu la cote pendant plus de 40 ans. Vous intéressez-vous aux différentes diètes populaires dans le monde ? 

Je suis intéressée parce que c'est un sujet qui m'importe de manière générale, mais je ne connais pas précisément.

Ce que je maîtrise très bien, en revanche, c'est le système de privation sur lequel ils sont tous basés. Alors oui, on perd du poids, mais on reprend généralement le double. C'est une pression terrible et ce n'est pas apprendre aux gens à faire la paix avec leur corps. Ce n'est pas encourager l'acceptation de soi.

Plus de 30 ans après la première journée sans régime, notez-vous une amélioration quant à notre rapport au poids, alors que l'avènement des réseaux sociaux a remis le "corps parfait" au coeur des idéaux ?

Non, ce que j'ai remarqué, c'est que l'industrie est devenue plus 'mignonne', donc susceptible de parler à beaucoup plus de personnes. Les mots utilisés sont plus lisses, mais les promesses toujours aussi dangereuses et utopiques.

Les mots utilisés sont plus lisses, mais les promesses toujours aussi dangereuses et utopiques.

La chirurgie esthétique connaît son heure de gloire aussi et est désormais accessible. On est toujours dans cette course "à la plus belle", on se veut parfaite. Le No Diet Day est plus que jamais d'actualité. 

Comment conseillez-vous donc de célébrer cette journée ? 

Informez-vous. Aimez-vous. Complimentez vos ami.es sur autre chose que leur apparence. Apprenez à ne plus commenter le poids des autres. Mangez ce qui vous fait plaisir. 

Et souvenez-vous que cette journée n'est pas là pour jeter la pierre à toutes celles et ceux qui ont fait ou feront un régime. Le problème ne vient pas de nous, mais d'une industrie qui prône vouloir notre bien-être alors qu'elle nous abîme durablement".