Psychisme et alimentation : ces blessures qui font les profils à risques

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Certaines blessures personnelles font le lit des troubles du comportement alimentaire (T.C.A.), ce fléau qui touche environ une femme sur dix en France.

Les professionnels sont formels : anorexie, boulimie et autres troubles alimentaires répondent aux mêmes ressorts que les addictions. "Le jeûne prolongé mène aux mêmes sensations d’euphorie, de performance intellectuelle ou de résistance à la fatigue que celles déclenchées par la prise d’amphétamines", explique le professeur Vincent Dodin, agrégé de psychiatrie à l’Université catholique de Lille.

Dans son dernier livre Anorexie, boulimie, en faim de conte (Declée de Brouwer), le psychiatre nous livre quinze ans d’expérience et un constat : le lien entre ces troubles et un terrain psychologique "dominé par un sentiment d’insécurité intérieure."

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Une réaction à un traumatisme récent

Ainsi, "44% des anorexiques ont subi un traumatisme (agression sexuelle, viol, harcèlement scolaire…) dans les 2 années précédant l’épisode du trouble", explique Vincent Dodin, par ailleurs chef de service psychiatrie à l’hôpital Saint Vincent de Paul à Lille. Le trouble alimentaire leur permet de "s’anesthésier" tant physiquement, émotionnellement que psychologiquement, au même titre que la drogue ou l’alcool, les conduites à risques et auto-agressives (auto-mutilations) présentes chez d’autres personnes souffrant de syndromes post-traumatiques. D’où l’importance d’un accompagnement thérapeutique suite à ces accidents de la vie.

Autres causes : une famille surprotectrice...

Certaines familles surprotectrices peuvent favoriser l’apparition de troubles alimentaires chez l’enfant, au moment du passage à l’adolescence ou à l’âge adulte. "Les parents ont du mal a faire confiance au potentiel de vie de leur fille et recherchent le risque zéro pour elle. Cette dernière peine à s’autonomiser, et développe une angoisse de séparation", décrit Vincent Dodin. Pour le psychiatre, nous vivons à une époque où l’on a globalement plus peur pour nos enfants que les générations précédentes. Certains parents développent toutefois une inquiétude excessive.

Illustration : l’une des patientes anorexiques du praticien, dont un couple d’amis avait perdu son bébé quelques mois avant la naissance de leur propre fille. "L’enfant a très vite perçu les peurs de ses parents et développé une angoisse profonde, soldée à l’adolescence par une anorexie mentale", partage le psychiatre. Certains couples figent la relation parentale au stade "petite enfance". La jeune fille peine à grandir et à s’émanciper. D’où la fréquence des anorexies mentales entre 12 et 20 ans, chez des adolescentes qui s’acharnent à gommer tout signe de féminité de leur corps.

... Une prise en otage dans les conflits parentaux

Des relations familiales assombries par les conflits entre les parents peuvent générer une grande insécurité affective chez un être, notamment lorsque l’enfant devient lui-même un enjeu. "Dans une société où l’on peut avoir plusieurs vies conjugales au cours d’une vie, le lien de filiation devient parfois, pour certains parents, plus sécurisant que le lien conjugal", pointe Vincent Dodin. Ce lien parent-enfant fort et exclusif emprisonne alors l’enfant dans un "conflit de loyauté". Tenir à un parent peut signifier écarter l’autre. L’enfant se retrouve dans une position qui ne correspond pas à sa juste place. Il peut devenir le confident, celui qui doit prendre parti, dans une situation de choix impossible. Ces situations douloureuses favorisent les troubles alimentaires.

Des secrets de famille

Les secrets de famille dont souffrent les parents impactent parfois les jeunes filles, inconsciemment. C’est l’histoire de ce super papa, aimant, présent et attentif envers sa fille. Régulièrement, cette relation positive et constructive est perturbée par des passages à vide, quand les informations TV rendent compte d’évènements en lien avec l’abus sexuel d’enfants. Le père se referme alors comme une huitre, devient rejetant, violent verbalement à l’égard de ses proches. " Au cours de la thérapie, nous avons peu à peu compris qu’il avait subi des attouchements par un grand-père, qui avait aussi abusé de ses tantes. Événement sur lequel avait régné l’omerta durant deux générations", relate Vincent Dodin. La honte familiale tacite autour de ce grand père incestueux s’était ainsi transmise, insécurisant cette petite fille jusqu’à l’anorexie.

Maladie honteuse ou psychiatrique, situations de guerre, assassinats et autres fantômes hantent les familles et atteignent certains enfants, qui, par une sorte de sixième sens, perçoivent les tourments des parents.

Une prise en charge thérapeutique en trois temps

Ces adolescentes et jeunes femmes insécurisées ont très peu confiance en elles, craignent le jugement des autres, sont perfectionnistes. Dans une société qui promeut la performance et la minceur, contrôler leur poids en résistant à la nourriture les valorise. Elles ont l’impression de réussir quelque chose qui s’avère difficile à réaliser pour les autres. Le trouble alimentaire canalise leur insécurité et se révèle utile un certain temps. La satisfaction dure quelques mois, avant que le corps ne se rappelle à elles.

Malaise hypoglycémique de l’anorexique, ou douleurs et sang dans les vomissements de la boulimique, qui abime son œsophage. Le corps fatigue. L’entourage s’inquiète et tire la sonnette d’alarme. "Quand une victime de T.C.A accepte enfin de se soigner, il faut encore des mois, parfois des années, pour que les histoires anciennes s’apaisent, mais la prise en charge en trois temps a fait ses preuves" positive le professeur Dodin.

Primo, la thérapie vise à protéger le corps avec les soins médicaux et la rééducation nutritionnelle. Segundo, vient le volet thérapeutique, en individuel mais aussi en groupe, et en famille. Enfin, la patiente doit travailler sur sa perception du corps : activité physique adaptée, psychomotricité, massage, enveloppement, soins esthétiques… Il s’agit de retrouver le plaisir et l’estime de soi. Dernière avancée en la matière : le travail sur l’image du corps avec des avatars en réalité virtuelle.

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