#MeToo a-t-il changé la mode ?

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Une photo de Kim Kardashian prise par Mario Testino relance le débat : quel impact a eu #MeToo sur l'industrie de la mode ?

"Kimpocrisy". Si Kim Kardashian a toujours aimé les jeux de mots avec son prénom, celui-ci ne doit pas être à son goût. Derrière lui, le compte Diet Prada qui ce week-end réagissait à une photo de la cadette des Kardashian avec sa fille North West, postée le 21 novembre 2019. Si l'image offre un moment tendre, son auteur n'est autre que Mario Testino, photographe d'envergure accusé d'inconduite sexuelle au moment de l'émergence du mouvement Me Too. "Le choix de @kimkardashian d’utiliser @mariotestino est un peu étrange, car elle a applaudi les survivantes en juillet dernier pour avoir dénoncé les agressions sexuelles commises par Marcus Hyde, son photographe personnel", note le duo.

Rapidement, Model Alliance, l'organisme qui oeuvre pour un meilleur respect des mannequins prend sa suite : "Nous croyons qu'il y a une place pour la justice réparatrice. Toutefois, sans processus clair et coordonné de traitement des plaintes, il n’y a pas de responsabilité. Ces "retours" sont extrêmement problématiques et profondément blessants pour les survivants". On est donc en droit de se demander ce qui a véritablement changé au sein de l'industrie de la mode.

Laisser faire le temps ?

Le 13 janvier dernier 2018, la Une du New-York Times titrait : "Des mannequins hommes accusent des photographes d'exploitation sexuelle". Dans l'article, mannequins et assistants témoignent des abus dont ils ont été victimes. Une nouvelle tombée à la suite des révélations que le journal new-yorkais a fait sur Harvey Weinstein ainsi que la mise au ban de Terry Richardson par l'industrie de la mode.

Les photographes incriminés par cet article - Bruce Weber et Mario Testino - nient. Idem pour le créateur de la griffe Guess Paul Marciano, les photographes Patrick Demarchelier et Greg Kadel ainsi que le styliste Karl Templer. Rapidement, les marques et les groupes de presse ont pris leurs distances à travers des communiqués indiquant qu'ils cessaient leurs collaboration avec ces créatifs.

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Pourtant, comme l'a justement fait remarquer le New York mag à l'époque, la réponse donnée par l'industrie a moins été "Time's Up" (en VF : "il est temps d'agir") que "laissons le temps faire les choses". Une politique qui en dit beaucoup sur l'industrie de la mode, comme l'a fait remarquer Jason Boyce qui a porté plainte, comme 18 autres modèles, contre Bruce Weber.

Le photographe âgé aujourd'hui de 71 ans, connu pour avoir aidé à forger l'image de marques comme Calvin Klein, Ralph Lauren et Abercrombie&Fitch, aurait forcé l'ancien model à l'embrasser avant de procéder à des attouchements. "Avec juste de la confiance, tu pourrais vraiment aller loin (...) jusqu'où veux-tu aller ? Quelles sont tes ambitions ?", lui aurait murmuré le photographe, selon la plainte déposée par Lisa Bloom, l'avocate de Jason Boyce.

Récemment, le site de référence WWD publiait : "Bruce Weber fait face au monde avec son nouvel ouvrage en attendant son procès". Un article dans lequel on découvre les nombreuses actualités qui régissent la carrière du photographe incluant la sortie son livre Facing the World, les photos de Drew Hemingway qu'il a réalisé pour Hercules magazine il y a quelques mois mais aussi "Nice Girls Don't Stay for Breakfeast", le documentaire qu'il a réalisé sur l'acteur Robert Mitchum qui doit sortir en janvier. Si l'article mentionne les accusations qui ont été faites contre Weber, il est loin de leur donner une place suffisante.

Dans un post publié sur son compte Instagram, Jason Boyce explique longuement : "Suite à la publication - @wwd a interviewé Bruce Weber, je ne peux pas rester silencieux. Lorsqu'on lui a posé des questions sur moi, il a déclaré ceci : "J'espère que nous aurons bientôt d'autres choses à discuter". J'ai l'impression que cette déclaration représente toute la mode à l'ère de #MeToo. Ils espèrent qu'un jour tout cela sera fini, que les histoires vont disparaître. S'ils les ignorent et les traitent comme un désagrément, les personnes coupables s'en sortiront indemnes. Si certains mannequins se demandaient ce que les personnes au pouvoir pensent d'eux, n'allez pas au-delà de cette phrase", avant d'ajouter : "Je ne suis pas un être humain. Je suis un problème, une nuisance, un inconvénient. Comment oserais-je prendre ma défense et celle d'innombrables autres jeunes hommes qui ont été abusés sexuellement au nom de "l'expression artistique" ?". 

Avant de conclure : "Ma question est donc la suivante : combien de jeunes hommes et femmes doivent se manifester pour qu'un changement se produise ? Combien de vies brisées par des abus causés par des photographes, directeurs de casting et agents, faudra-t-il pour que quelque chose soit fait ? J'espère aussi que nous aurons un autre sujet de discussion à un moment donné. J'en ai assez de parler des hommes qui ont du pouvoir et de l'influence et qui s'attaquent aux plus vulnérables. J'en ai marre de parler de personnes en position de faire quelque chose, qui restent debout à ne rien faire". 

Des polémiques sans fin

Il aura fallu 16 ans à l'industrie de la mode pour bannir Terry Richardson, les premières accusations de harcèlement sexuel et viol remontant à 2001. Mais si des magazines de renom se refusent désormais à travailler avec le photographe, des suspicions légitimes quant à l'annoncée "fin de l'omerta" dans l'industrie mode ont émergé. Si aujourd'hui, il est plus simple pour les mannequins de prendre la parole, en témoigne le hashtag #MyJobShouldNotIncludeAbuse lancé par le top model engagé Cameron Russell ainsi que la mise en place de l'organisme Model Alliance, il n'en reste pas moins que les prises de position définitives des puissances de la sphère mode se font rares. 

On a pu le voir encore lorsque le duo derrière le compte Instagram Diet Prada a repris les captures d'écran de conversations que le designer russe, Gosha Rubchinskiy, a eu avec Jan Silverling, un adolescent de 16 ans. Dans ces conversations tenues en message privés sur Instagram mais aussi What's App, le styliste semble demander à l'adolescent de se prendre en photo nu. Des propos plus explicites auraient également été envoyés avant d'être supprimés par Rubchinskiy. Peu de temps après, un autre adolescent, qui n'a pas encore été identifié, a fait des accusations similaires à l'encontre du designer. 



Morceaux choisi : "Envoie-moi maintenant quelque chose de la salle de bain", "Tu peux aller aux toilettes et le faire rapidement s'il te plaît", ou encore "Je ne crois pas que ta mère vienne aux toilettes avec toi." Un représentant du designer a déclaré dans un communiqué : "Gosha fait des castings sur Instagram depuis de nombreuses années maintenant. C’est une pratique répandue de nos jours. Nous demandons toujours des photos du visage, plein pieds et poitrine nue. Parfois, des photos en sous-vêtements sont nécessaires pour appréhender le volume des hanches. [...] Nous allons certainement revoir notre manière de caster pour les défilés à l'avenir afin de minimiser ce genre d'accusations". 

Problème, selon l'adolescent, il n'a jamais été question d'un casting. Il voulait simplement interagir avec un styliste dont il admire le travail. adidas, qui a collaboré avec Rubchinskiy durant la Coupe du Monde, a annoncé mener une enquête interne. Comme des Garçons International, le groupe qui produit et distribue les collections du designer russe, a également réagi par le biais de son Président, Adrian Joffe : « Je suis profondément préoccupé par ces allégations que Gosha a catégoriquement démenti. Je déteste l'attitude des gens sur les réseaux sociaux et le syndrome de type 'coupable jusqu'à prouvé innocent' qui semble à l'ordre du jour. Si je déplore les abus de pouvoir dans toutes les industries, j'attends que toute la vérité soit révélée".

Changer la mode ?

"Sommes-nous, en tant qu’industrie, en train de retomber dans le même schéma : mauvais comportement exposé/choc d'horreur/attente pendant quelques mois/puis faire comme si de rien n'était ? Ce serait honteux", s'est indignée Vanessa Friedamn, la critique de mode du New-York Times qui a collaboré à l'article sur Bruce Weber et Mario Testino. Même son de cloche pour Matthew Schneider, autre journaliste du New-York Times : "Bruce Weber attend la date de son procès pour harcèlement sexuel et discrimination. En vertu de la loi, il est innocent jusqu'à preuve du contraire. Mais si vous ne pouvez pas le convaincre de commenter la situation et ne fournissez pas le contexte complet, alors ne faites pas l'article".

Dans un post InstagramModel Alliance rappel que depuis octobre 2017 - le début du mouvement #MeToo - plus de 200 mannequins demandent aux marques de mode, aux maisons d'édition et aux agences de rejoindre le programme RESPECT. Celui-ci réclame aux entreprises de s'engager de manière exécutoire pour mettre fin au harcèlement et à d'autres formes d'abus. L'organisme a d'ailleurs déjà obtenu du CFDA (Conseil des designers mode américains) que les modèles puissent se changer dans des espaces privés et non plus aux yeux de tous. On peut également voir un certain changement avec le renvoie d'Ed Razek, directeur marketing de Victoria's Secret, suite à ses commentaires transphobes et grossophobes. 

Dans un article publié fin novembre, la journaliste de Garage Magazine Rachel Tashjian s'interrogeait sur la place des scandales dans la mode et leur limite. Car si la mainstreamisation de l'industrie permet à tout le monde de la critiquer, quel impact réel les non-consommateurs du luxe ont sur elle ? Pour que les marques ne se contentent pas d'ignorer ou de passer outre les polémiques qu'elles suscitent, il faut les frapper là ou cela fait mal : au portefeuille. On voit donc parfaitement les limites d'une mode qui se veut engagée tout en étant concentrée sur son chiffre d'affaire. La valse des polémiques peut encore durer longtemps...

[Dossier] Le mouvement #MeToo - 68 articles à consulter

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