Jeffrey Epstein, financier milliardaire que le Vanity Fair américain surnommait "le talentueux Mr. Epstein" dans un article en 2011, a été retrouvé mort dans sa cellule le 10 août 2019 après son arrestation le 8 juillet dernier. Accusé de trafic sexuel, notamment de mineures, l’enquête indique pour l’instant qu’il s’agit d’un suicide. 

Ce jeudi 17 octobre, une première plainte pour des faits non prescrits de "harcèlement sexuel" a été déposée contre l'agent selon LCI. La plaignante, une Française d'une vingtaine d'années doit être entendue par l'Office central pour la répression des violences aux personnes. Elle rapporte des faits qui se seraient déroulés il y a moins de quatre ans, selon les informations de franceinfo. Jean-Luc Brunel a été géolocalisé par la police en Amérique du Sud.

Alors que se multiplient les théories d'un complot, le petit monde de la mode se voit passer au microscope. En effet, depuis l’arrestation d’Epstein, l’industrie est mêlée à l’un des plus grands scandales de l’été, notamment à cause du lien qu’Epstein entretenait avec Leslie Wexner, patron controversé de Victoria’s Secret, mais aussi avec Jean-Luc Brunel, patron de l’agence de mannequins MC2 située à Miami. Il est accusé d'avoir eu un rôle-clé dans le trafic sexuel de jeunes femmes qui était mené par Jeffrey Epstein. 

Vidéo du jour

Jean-Luc Brunel, la mode pour couverture

"Mon agent s'appelait Jean Luc Brunel. Il a essayé de coucher avec moi quand j'étais enfant. Il m'a donné de la drogue. Il est grand temps que cela se sache." C’est par ces mots que Zoë Brock, mannequin australien installé à Paris dans les années 90 conclut, le 18 octobre 2017, son article intitulé "The Model Agent" (L’agent de mannequin). Dans ce papier, Brock raconte comment, alors qu’elle était âgée de 17 ans, Jean-Luc Brunel chez qui elle vivait parce que son agence parisienne et sa mère la pensaient plus en sécurité, aurait ainsi essayé d’abuser d’elle à plusieurs reprises.

Jean-Luc Brunel. Ce nom ne vous dit peut-être rien et pourtant, l'homme se vante depuis les années 70 d’avoir lancé la carrière de plusieurs mannequins de renoms à l’instar de Christy Turlington et Jerry Hall. À l’époque, il est le patron de Kirins, une agence située à Paris. En 2005, il co-créé avec Jeffrey Fuller MC2, une agence de mannequins dans laquelle Jeffrey Epstein aurait investi jusqu’à 2 millions de dollars. Aujourd’hui, l’agence est accusée d’avoir utilisé sa position pour fournir des visas à des jeunes filles mineures et permettre leur exploitation à travers le globe pour satisfaire les "besoins particuliers" d’Epstein et alimenter son trafic sexuel.

Il n'y a pas de justice. C'est un gars qui devrait être derrière les barreaux.

Une accusation qui n'a rien de vraiment nouveau. En 1995, le journaliste Michael Gross publiait le livre Model : The Ugly Business of Beautiful Women (Mannequin : l’horrible commerce des belles femmes). Dans cet ouvrage, il évoque  déjà Brunel en ces termes : "Jean-Luc est considéré comme un danger". "Son problème est qu'il sait exactement ce que les filles en difficulté recherchent. Il a toujours été à la pointe du système. John Casablancas (créateur de l'agence Élite, ndlr) s'entend bien avec les filles. Les filles seraient avec lui même s'il était boucher. Ils sont avec Jean-Luc parce qu’il est le chef. Jean-Luc aime la drogue et le viol silencieux. C’est ce qui l'excite".

"Je méprise vraiment Jean-Luc, en tant qu’être humain, pour la façon dont il a déprécié l’industrie du mannequinat", déclarait alors John Casablancas, lui-même mis à mal quelques années plus tard par des accusations. "Il n'y a pas de justice. C'est un gars qui devrait être derrière les barreaux. Il y avait un petit groupe, Jean-Luc, Patrick Gilles et Varsano... Ils étaient très connus à Paris pour parcourir les clubs. Ils invitaient des filles et mettaient de la drogue dans leurs boissons. Tout le monde savait qu’ils étaient louches", écrit encore Gross.

Trafic de mannequins

En 2016, lors de sa déposition, le mannequin Virginia Roberts Giuffre affirme avoir été abusée sexuellement par Epstein alors qu’elle avait entre 16 et 18 ans. Elle clame également avoir été "prêtée" à certains de ses amis et cite notamment Jean-Luc Brunel qui, selon ses propos, aurait fourni à Epstein une dizaine de femmes mineures. "[Brunel] semblait avoir un arrangement avec le gouvernement américain lui permettant d'obtenir un passeport ou un autre titre de voyage pour de jeunes filles. Il amenait ensuite ces jeunes filles (âgées de 12 à 24 ans) aux États-Unis à des fins sexuelles pour les remettre à ses amis, y compris Epstein", a déclaré Giuffre lors du procès.


Nous ne pouvons pas être choqués par les informations faisant état de trafic de sexe sous couvert de mannequinat, étant donné le déséquilibre des pouvoirs et l’absence de protection qui ont trop longtemps affecté l’industrie.

Toujours dans son texte de 2017, Zoë Brock dresse un tableau assez effroyable de la mode des années 90, que beaucoup aiment à voir comme un âge d’or : "Paris, au début des années 90, était un lieu de tabous. Il y avait peu de crainte de répercussion pour comportement délinquant et très peu de discrétion. [...] Les rapports sexuels étaient encore la plupart du temps non protégés et souvent anonymes. [...] Mes amies et moi, peu importe notre âge, étions mannequins. Nous avons fait ces clubs. Sans nous, il n'y aurait pas de clubs, car sans nous, il n'y aurait pas d'hommes riches et minables prêts à payer le prix fort pour une bouteille d'alcool."

"Nous ne pouvons pas être choqués par les informations faisant état de trafic de sexe sous couvert de mannequinat, étant donné le déséquilibre des pouvoirs et l’absence de protection qui ont trop longtemps affecté l’industrie", écrivait Sara Ziff, la créatrice de l’organisation Model Alliance, le 22 juillet 2019 pour The Cut. Dans cet article d’opinion, elle déclare aussi : "En tant que jeune mannequin, je n'ai jamais pensé pouvoir faire part de mes préoccupations à mon agence. Il semblait probable qu'ils savaient, qu'ils encourageaient les modèles dans des situations compromettantes, voire dangereuses. Ils étaient plus prudents avec les mannequins les plus performants, mais il semblait généralement que l’allégeance de l’agence était envers les clients, pas avec les modèles dont ils étaient supposés représenter les intérêts".

De son côté, Brunel a toujours réfuté les accusations. En 2015, au moment du premier procès contre Epstein, il déclarait ainsi : "Je nie fermement avoir participé, directement ou indirectement, aux actions reprochées à M. Jeffrey Epstein. Je nie fermement avoir commis un acte illicite ou un acte répréhensible au cours de mon travail en tant que responsable de la numérisation ou de la gestion d’agences modèles". À l'époque, il va même jusqu'à porter plainte contre le financier mais l'affaire est déboutée.

En France : la fin de l’omerta mode ?

En tant que ressortissant français, et malgré la diffusion en 1988 sur CBS d'un segment de 60 minutes sur les abus dans l'industrie de la mode où il figure, Jean-Luc Brunel n’a pas été obligé de témoigner lorsque Jeffrey Epstein a été inculpé pour sollicitation de rapports sexuels avec des prostituées mineures. Il est important de noter que Brunel aurait visité Epstein soixante-sept fois en prison, selon les registres de la prison, et apparaîtrait à plusieurs reprises dans les registres de vol du jet privé d’Epstein, divulgués au public.

Aujourd’hui, Marlène Schiappa, Secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, demande l’ouverture d’une enquête sur le sol français. "L’enquête américaine a mis en lumière des liens avec la France. Il nous semble ainsi fondamental, pour les victimes, qu’une enquête soit ouverte en France afin que toute la lumière soit faite", peut-on lire dans le communiqué paru ce 13 août 2019. Selon de nombreux médias américains, Jean-Luc Brunel est notamment accusé d’avoir envoyé des filles, dont deux seulement âgées de 12 ans pour le réseau d’Epstein. 

"La mort de M. Epstein ne doit pas priver les victimes de la justice à laquelle elles ont droit : c’est une condition essentielle à leur reconstruction, c’est aussi une condition à une protection plus efficace à l’avenir d’autres jeunes filles face à ce type de réseaux organisés, face à ce type de prédateurs", dit encore le communiqué.

Reste à savoir si le procureur de la République décidera ou non d’ouvrir l’enquête. Pour rappel, Epstein a été arrêté à l’aéroport de New York alors qu’il revenait de Paris, ville dans laquelle il a fait de nombreux séjours et où il possède un appartement dans le 16e arrondissement. Alors que le parquet de New York a déclaré ce 10 août vouloir continuer l’enquête malgré la mort d’Epstein, il est plus que probable que les ramifications de l’affaire soient loin d’être encore toutes connues. Une chose est certaine, le Fashion Month dont le coup d'envoi sera donné le 3 septembre prochain à New York commence sous un signal lugubre.