Marseille, 18h. Sur la plage des Calanques de Sormiou, des serviettes de bain bleu marine, alignée les unes avec les autres sur le sable fin, télescopent une mer cristalline et un ciel azur. Un paysage de carte postale en somme, qui semble tout droit sorti du fil Instagram d’un chanceux plaisancier. Pourtant, il n’en est rien, ou presque. À quelque 750 kilomètres de l’euphorie des shows parisiens, ce décor idyllique s'apprête en réalité à accueillir le premier défilé homme de Simon Porte Jacquemus, qui pour la seconde fois a choisi la Cité Phocéenne pour présenter ses créations. “Depuis que j'ai commencé, je parle de Marseille. Je suis ému d'être encore là avec un nouveau défilé et de ramener encore plus de monde. Ça va permettre de vraiment sceller le mariage entre moi et la ville.” confiait-il ce lundi au quotidien La Provence. Déjà en 2017, cet autodidacte de 28 ans qui a fait du Sud de la France sa marque de fabrique, avait présenté sa collection “Les Santons de Provence” à Marseille, lors d’un show grandiloquent sur les toits du MuCEM, clôturant le festival de mode OpenMyMed dédié à promouvoir la jeune garde méditerranéenne. 


Organisé par la Maison Mode Méditerranée (MMM), l'événement à la notoriété grandissante accueillait cette année la Strasbourgeoise Christelle Koché qui, pour présenter sa nouvelle collection Croisière au nom évocateur - “Le Sud bébé!” -, n’a pas hésité à délaisser Paris pour le pont d’un imposant ferry. Amarré au port de Marseille, le Danielle Casanova accueillait ainsi pour la première fois un défilé de mode d’une telle envergure, inondant par la même occasion tous les fils d’actualité. Près de 800 invités mêlant professionnels de la mode et grand public, un casting sauvage improvisé sur place, une collection à l’énergie hybride où le sportswear s’empare d’influences ethniques : la créatrice souhaitait un défilé à l’image de la ville côtière : "Un mix de culture incroyable, une ville inspirante avec une énergie unique.”, a t-elle expliqué à l’AFP.

Vidéo du jour


“Le Sud bébé!” 


Un discours élogieux, résolument partisan, qui est devenu monnaie courante depuis plusieurs saisons, bon nombre de jeunes marques de prêt-à-porter s’improvisant, souvent sans le vouloir, VRP d’une mode marseillaise trop peu considérée. 
American VintageSessùn, GasKulte ou encore les “jeaniers” Reiko, Kaporal et Le Temps des Cerises : le succès revendiqué des labels phocéens créés au début des années 2000 démontre sans ostentation combien la ville s’est muée en terrain de jeu fertile d’une jeune création qui se distingue par sa diversité. Une dynamique visiblement contagieuse, que l’on doit sans conteste à la singularité du tissu socio-économique marseillais, entre tradition textile héritée d’une population métissée et position géographique stratégique. « Les Arméniens, les Italiens, les habitants d’Afrique du Nord… Quand ils sont arrivés à Marseille, ils se sont dirigés vers des métiers que leurs grands-parents savaient faire comme la couture et le travail du cuir. », explique Maryline Bellieud-Vigouroux, fondatrice de la MMM, au site Made In Marseille.


Un apport culturel et artisanal unique qui, au fil des années, a permis de faire de Marseille l’un des berceaux internationaux de l’industrie textile, aux confins de la Route de la soie. "C'est un lieu unique et facilement accessible pour pouvoir découvrir les nouvelles collections et s'approvisionner dans les meilleures conditions", précise sur le site Capital.fr Dingguo Chen, président du Marseille International Fashion Center, l’un des plus grands centres sino-européens du textile. Pierre angulaire du commerce internationale, le site devrait prochainement bénéficier d’une enveloppe de 30 millions d’euros et ainsi permettre la création de 600 emplois, s’ajoutant aux quelque 20 000 postes que génère aujourd’hui la mode marseillaise.


Une mode anti-mode ? 


Mais au-delà de facteurs socio-économiques ultra-rationnels, c’est l’art de vivre à la Marseillaise qui nourrit la ville de son succès. « Il y a une signature particulière quand on crée à Marseille. L’environnement – la mer, le ciel bleu, le soleil, les massifs – inspire forcément les créateurs de façon différente qu’à Tokyo, New York ou Londres », souligne sur le site de la région Jocelyn Meire, en charge du développement à la MMM, mais pas seulement. « À Marseille, on est comme dans un village. Les gens se connaissent et dès qu’ils ont besoin de quelque chose, ils savent vers qui se tourner ou connaissent quelqu’un qui pourra les aider. Ça donne des belles histoires et de beaux business. » ajoute-t-il. Une météo agréable, une atmosphère balnéaire décontractée, mais aussi une proximité sociale et une solidarité humaine forte, sources d’énergie créatrice : tel semble être la formule magique de la Cité Phocéenne qui se dresse en alternative salvatrice d’une scène parisienne à bout de souffle, victime d’une offre mode saturée.


C’est ainsi que depuis trois ans, Marseille accueille les rencontres Anti-Fashion, destinées à réinventer une industrie du prêt-à-porter plus respectueuse de l’environnement et des individus qui la fabriquent. Conférences participatives, ateliers collaboratifs, mentoring pour les jeunes de quartiers prioritaires : l’événement en accès libre se veut une exploration collective de la mode de demain, dans laquelle la Ville Rebelle est vouée à jouer un rôle prépondérant. Quant à la qualifier, ou non, de nouvelle capitale de la mode, Simon Porte Jacquemus, face aux journalistes de la Provence, n’hésite pas une seule seconde : “En tous cas moi, j’en fais ma capitale de la mode ! ”.