La ménopause, nouveau combat féministe

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100 % des femmes sont ou seront ménopausées un jour. Un phénomène naturel qu’elles vivent pourtant dans la honte et le secret, par peur d’être cataloguées comme vieilles, périmées. Elles n’ont pas tort. Le monde du travail les discrimine, les invisibilise, et les pousse vers la sortie. Il est temps de briser le tabou.

"L'une de mes amies est juge. Parfois, elle a des gouttes de sueur qui commencent à tomber en pleine audience, raconte Marie-Agnès, 59 ans. Ça lui enlève de l'autorité, de l'assurance." Elle est l'une des femmes de différents milieux et origines interviewées par la journaliste et productrice Blandine Grosjean pour briser le tabou de la ménopause.

Son documentaire, Ménopausées*, puissant et d'utilité publique, rassemble des témoignages parfois poignants, parfois révoltants, mais aussi réconfortants. Des confidences qui soulignent le manque d'information des femmes sur cette nouvelle étape de leur existence, et ses conséquences physiques, psychologiques, professionnelles et sexuelles, très variables de l'une à l'autre. Peu de femmes sont en effet préparées à l'évènement.

"J'ai eu envie de faire ce documentaire quand une dirigeante du monde économique, qui avait vu mon film précédent, Sexe sans consentement, m'a glissé qu'il y avait un autre tabou qui devrait être abordé, la ménopause, raconte Blandine Grosjean. Ce qu'elle devait vivre en secret, dans la honte, la mettait en colère. Et cela m'a touchée, alertée. Pourtant, quand je l'ai re-contactée, elle a refusé de témoigner."

Elle n'est pas la seule. "J'ai eu beaucoup moins de mal à trouver des femmes prêtes à témoigner sur le sexe sans consentement que pour parler de la ménopause, poursuit-elle. Je les comprends. Dans l'esprit de beaucoup de gens, ménopausée signifie 'bonne pour la casse'. Et en parler avec sincérité, c'est raconter la litanie des désagréments intimes et humiliants. C'est compliqué."

La terreur de passer du côté des "vieilles"

Un silence assourdissant quand l'on songe qu'en France, une femme majeure sur deux a plus de 50 ans ! Alors que depuis les dernières années, la parole s'est libérée sur tous les tabous liés à la féminité – violences sexuelles, gynécologiques, endométriose, etc. – celui de la ménopause a la vie dure. Certes, pour certaines, être ménopausée est un soulagement : enfin débarrassée des règles, et du casse-tête de la meilleure contraception. La ménopause peut aussi coïncider avec un sentiment d'accomplissement professionnel, de liberté, les enfants, souvent majeurs, commençant à voler de leurs propres ailes. Sans compter parfois un renouveau amoureux et sexuel. En témoigne l'éclosion des applis de rencontre comme Passions ou Lumen. Mais pour de nombreuses autres, elle se vit comme un traumatisme, un cataclysme, le deuil de leur jeunesse, la terreur de passer du côté des "vieilles".

En changeant le regard sur la ménopause, c'est notre destin de femmes que nous souhaitons nous réapproprier.

Selon une enquête1 récente MGEN/Fondation des femmes, 44 % des femmes en pré-ménopause évoquent un impact négatif sur leur quotidien. Et 41 % d'entre elles ont déjà entendu des commentaires ironiques ou moqueurs.

Pour la sociologue Cécile Charlap, auteure de La fabrique de la ménopause (CNRS Éditions), la vision dévalorisante de la femme ménopausée prend sa source dans les discours des médecins du XIXe siècle. "Ils ont réduit les femmes au biologique, à la reproduction et assimilé la ménopause à une pathologie stigmatisante." Une "vraie femme" étant féconde, la ménopause est alors vue comme la perte de la féminité et l'entrée dans la vieillesse. Cécile Charlap constate que l'arrêt des règles est précédé d'une "ménopause sociale" qui commence à 40 ans, l'âge où il est mal vu de procréer, alors que les femmes sont encore fertiles et les grossesses tardives bien surveillées. C'est pourquoi une quadra est déjà perçue comme plus vieille qu'un homme d'âge équivalent dans les sociétés occidentales, alors que dans certaines cultures, comme au Japon, la ménopause est un non-évènement, au point de ne pas avoir de nom spécifique.

L'intimité du couple à l'épreuve

Mais autant de femmes, autant de vécus et de réactions. "C'est extrêmement violent pour celles qui se découvrent ménopausées précocement à 35-40 ans (10 % avant 45 ans) ou qui le deviennent sans avoir eu d'enfants, alors qu'elles ont essayé, en vain ou un peu tard, constate la Dre Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis. Ou encore pour celles qui sont en couple avec un homme plus jeune. La ménopause a une image tellement mauvaise que certaines veulent un THS (traitement hormonal de substitution) pour avoir de fausses règles. D'autres font semblant de toujours les avoir pour donner à croire qu'elles sont encore jeunes." Quoi qu'il en soit, pour la gynécologue, difficile de démêler la perte hormonale de l'usure du couple dans les plaintes pour perte du désir sexuel.

Excepté les bouffées de chaleur et les sautes d'humeur, la plupart des femmes ignorent les autres désagréments de la ménopause et ne relient pas entre eux les soucis de santé disparates qui se présentent. Ainsi, un tiers des femmes ménopausées souffrent de fuites urinaires et beaucoup se plaignent de sécheresse vaginale et de la disparition de leur libido. Des effets gênants qui expliquent aussi sans doute qu'une femme en couple sur deux ne parle pas de sa ménopause avec son conjoint2 . C'est le cas de Caroline, cadre dans l'édition. "Pas question de partager cette intimité-là avec lui, mais vu mon âge, 57 ans, il doit bien se douter que je suis ménopausée. Moi qui adorais faire avec l'amour avec lui, je n'en ai plus envie et me force désormais – l'appétit vient en mangeant. Je mets discrètement du gel intime avant, pour éviter les douleurs. Nous ne pouvons pas vivre comme des colocs, la survie de notre couple en dépend."

Pour sa part, Valérie, 55 ans, avocate, se confie rarement à ses amies. "Les manifestations physiques sont tellement différentes qu'il y en a toujours une pour te dire fièrement qu'elle n'a jamais eu de douleurs musculaires et articulaires, ni de bouffées de chaleur, elle ne sait pas ce que c'est que de se réveiller les draps trempés, la nuit. Ou alors elle n'a pas pris un gramme quand j'ai pris 10 kg sans rien changer à mon style de vie ou mon alimentation."

Ménopause et vie professionelle : des discriminations insidieuses

C'est dans la vie professionnelle que les femmes prennent de plein fouet les stéréotypes liés à la ménopause. "Il y a une inégalité au travail entre les femmes de plus de 50 ans et les hommes du même âge, dont les féministes devraient se saisir", estime Sophie Kune, consultante auprès de marques de beauté, en stratégie digitale, et fondatrice du compte Instagram @menopause.stories, "pour décomplexer" celles qui passent le cap. "Une femme en ménopause peut grossir – tout sur le ventre –, devenir écarlate et ruisseler en réunion, grisonner et décider de ne pas se teindre les cheveux. Cela n'ôte rien à son expérience, à ses compétences, à son envie de continuer à se former pour rester performante. Pourtant, sauf exception, dans le privé, elle n'est plus ni augmentée ni promue. Un plafond de verre en raison de son âge. Un homme, c'est moins grave s'il prend du bide et perd ses cheveux à la cinquantaine : il mûrit – quand la femme vieillit – et peut espérer continuer à évoluer. Et personne, quand il pousse un coup de gueule, ne songerait à lui balancer 'c'est ta prostate qui te travaille ?' quand on ne se prive pas de dire d'une quinqua qui recadre son équipe : 'C'est sa ménopause.'"

"La chute d'œstrogènes, qui expliquerait l'irritabilité des quinquas, a bon dos, souffle Claire, cheffe de vente. Depuis que je suis ménopausée, je suis passée du 42 au 46, je ne sais plus comment m'habiller, je suis devenue insomniaque donc j'arrive exténuée et le cerveau embrumé au bureau. Les millenials me regardent avec condescendance, comme si j'étais une ringarde voulant leur apprendre la vie alors que je joue juste mon rôle de sénior ayant mis en place les outils digitaux de l'entreprise. J'entends des trentenaires traiter les femmes de mon âge de vieilles peaux – mais elles se disent féministes. Ou bien on ne me répond pas en réunion, on ne me demande plus mon avis. Et après on me reproche de m'énerver !"

Une 'vraie femme' étant féconde, la ménopause est alors vue comme la perte de la féminité.

Les chiffres de l'emploi des femmes séniors semblent confirmer ces discriminations insidieuses. Ainsi, partout en France, le taux d'emploi des 50-64 ans est inférieur à celui des hommes. "Un sexisme spécifique qui passe sous les radars", commente Sophie Dancourt, créatrice du média J'ai piscine avec Simone, qui entend 'donner de la visibilité à la génération des femmes de plus de 50 ans.' Aucun employeur ne dira jamais : 'On ne vous embauche pas parce que vous êtes trop vieille', mais c'est ce qui se passe dans les faits. Et c'est aberrant sur le plan économique. Car les femmes vont travailler et vivre de plus en plus longtemps. De quoi vivront-elles si on ne veut déjà plus d'elles à la cinquantaine ? Il y a là une réalité démographique niée qui va un jour nous exploser à la figure."

De nouvelles initiatives pour briser le tabou

Créatrice du blog et compte Instagram @la_menopause, Ariane, cheffe de projet digitale, s'est intéressée au sujet quand sa mère s'est vu prescrire un traitement hormonal. "Ses symptômes étaient sévères mais quand elle en parlait, on lui disait tout le temps : 'Tu sais que ce traitement peut causer un cancer du sein ?'" Mal informées sur les bénéfices et les risques, apeurées, 90 % des concernées ne prennent pas de traitement hormonal, qui peut pourtant améliorer leur qualité de vie. "L'enjeu féministe autour de la ménopause, c'est combattre les discriminations et préjugés qui mettent en jeu la santé des femmes."

Une tribune appelant à briser ce tabou est parue sur le site du Huffington Post le 6 février 2020. Elle était co-signée, entre autres, par la Fondation des femmes, l'association AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans, qui se mobilise contre l'invisibilisation des actrices de cette génération, et l'actrice Agnès Jaoui. "En changeant le regard sur la ménopause, c'est notre destin de femmes que nous souhaitons nous réapproprier. En brisant ce tabou, c'est l'égalité entre les femmes et les hommes que nous voulons affirmer", proclament les signataires. De jeunes féministes s'interrogent sur ce tabou.

Ainsi, les animatrices du podcast Quoi de meuf (à écouter : l'épisode Make ménopause great again) citent des écrivaines américaines comme Darcey Steinke3 qui a raconté comment elle a arrêté la lutte pour "être belle" et comment sa métamorphose la "dégenre" et la libère : "Je fais moins d'effort pour soutenir une féminité qui s'effrite. Je porte des vêtements plus androgynes et me maquille rarement." Pour elle, il s'agit là d'une "rare opportunité de se glisser enfin hors du système binaire brutal" pour entrer dans un troisième sexe mouvant.

Quant aux lesbiennes, on pourrait croire qu'elles vivent la ménopause plus sereinement que les hétérosexuelles, n'étant pas soumises aux clichés sur la féminité et à l'injonction de plaire aux hommes. Cette vision est à nuancer. Certes, avoir une partenaire femme permet de se sentir plus comprise, surtout si elle a déjà traversé cette étape. Mais pour la Canadienne Line Chamberland, la lesbienne ménopausée entre malgré tout dans un "no-lesbian land", entre les jeunes lesbiennes qui s'affirment à leur manière, qui ont leurs boîtes et cafés, et l'invisibilité sociale des plus âgées.

Alors faut-il descendre dans la rue pour exploser le tabou de la ménopause, organiser des "ménopause pride", montrer du doigt ces entreprises allergiques aux femmes de plus de 50 ans ? Et aussi exiger d'en voir plus dans les films, sur les chaînes d'info, talk-shows et divertissements ? C'est l'avis de Sophie Dancourt : "Nous devons nous mobiliser, pour nous-mêmes, avec bienveillance et solidarité, mais aussi pour la prochaine génération de femmes. Pour moi, c'est le prochain #MeToo."  

1. Enquête MGEN/Fondation des femmes Les Français et la ménopause, février 2020.
2. Insee, enquête Emploi 2017.
3. Flash count diary, Sarah Crichton Books.
*Un film réalisé par Joëlle Oosterlinck

[Dossier] Ménopause : comment passer sereinement le cap ? - 14 articles à consulter

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