"Dans ma tête et dans mon cœur, le temps est venu". Le 15 février 2023, l’ultra populaire première ministre écossaise Nicola Sturgeon annonçait démissionner, près de deux ans après sa réélection. Si certains y voyaient les conséquences de certaines débacles politiques, la femme politique élue pour la première fois en 2014 a défendu, quant à elle, un choix personnel, résultant d’un "bilan approfondi de long terme".

"Tout donner dans ce job est la seule manière de le faire", a-t-elle précisé, suggérant qu’elle n’était plus à même de le faire. Un aveu d’humilité sincère qui n’est pas sans rappeler celui, plus médiatique, de l’ex-première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern qui décidait en janvier 2023 de quitter ses fonctions pour les mêmes raisons.

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"Je suis humaine. Nous donnons autant que nous le pouvons et aussi longtemps que nous le pouvons, et puis c'est le moment. Et pour moi, ce moment est arrivé", avait-elle reconnu publiquement dans un grand moment de vulnérabilité. “Je pars parce qu'un poste aussi privilégié s'accompagne d'une grande responsabilité. La responsabilité de savoir quand vous êtes la bonne personne pour diriger, et aussi quand vous ne l'êtes pas", avait-elle conclu.

Savoir démissionner, une marque d’éthique ? 

Si ces décisions ont pris de court le monde entier, au-delà même de ceux et celles qui les avaient mandatés, c’est qu’elles brisent un tabou qu’aucune personnalité de pouvoir n’avaient encore oser aborder : la légitimité à quitter un poste lorsque l’on est plus à même de l’assumer, a fortiori quand ce dernier est très convoité.

En effet, assimilée à l’échec, la démission reste dans l’inconscient collectif un événement connoté négativement, résultant moins d’un choix actif que d’une obligation contrainte, voire imposée. Or, en refusant de poursuivre leur mandat, ces deux femmes politiques ont montré que cette décision relevait en réalité d’une véritable compétence professionnelle : celle de savoir partir au bon moment, et de ne pas s’accrocher à un poste qui nous malmène, aussi prestigieux soit-il, pour justement ne pas le malmener en retour.

"C’est précisément parce qu’elle tient en haute estime le poste qu’elle occupait qu’elle décide de partir", analyse Lucile Quillet, coach et consultante en carrière professionnelle. "Pour moi, c’est la marque d’une personne responsable, avec une éthique professionnelle", poursuit-elle. Mais surtout en décidant d’abandonner ce poste, ces deux ministres font le choix du bien-être personnel sur celui du carriérisme et de ce qui est encore aujourd’hui considéré comme la réussite professionnelle.

"Elle a préféré la lucidité à l’opportunisme, son individualité au symbole mondial. Elle refuse d’une certaine façon d’être dans le sacrifice", analyse notre experte. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

La peur de démissionner, une crainte courante

Et pour cause, beaucoup de femmes restent dans des postes en dépit de leur fatigue, de leur manque de motivation ou tout simplement du mal-être que ce job leur procure. Et si les factures à payer ou la mauvaise conjoncture économique rentrent bien évidemment en ligne de compte, certaines privilégiées qui auraient le luxe de pouvoir s’autoriser une telle démission ne le font pas, convaincues qu’elles n’en ont pas la possibilité.

"Certaines ont dû mal à se projeter dans l’après, pensent qu’elles n’ont pas le choix et deviennent victimes de surmenage et de burn out", remarque Lucile Quillet. Mais de façon presque plus insidieuse, c’est finalement un certain sens du devoir qui pousserait la plupart des malheureuses au travail à y rester, que ce soit vis-à-vis de leur patron, de leurs collègues ou encore de leur famille.

"Notre rapport au travail est encore pétri de culpabilité, on a du mal à agir en faisant primer son intérêt personnel à l’intérêt collectif, sans quoi, on a l’impression de trahir et abandonner les autres", souligne la coach. “On ne veut pas décevoir, encore plus quand on est un 'symbole de réussite' ou la working girl parfaite”.

D’ailleurs, nul besoin d’être devenu ministre ou big boss d’une entreprise du Cac 40 pour être tétanisée à l’idée de quitter son job : ce phénomène toucherait toutes les couches de la population, les modèles de réussite variant d’une classe sociale à l’autre.

S’écouter et se laisser du temps

Reste encore à savoir comment reconnaître cette nécessité impérieuse de quitter son poste et de ne pas la confondre avec une simple fatigue passagère ? Comment savoir qu’il est temps de partir pour de bon… ou simplement en vacances ?

“Il ne faut pas paniquer dès que l’on a une petite phase de sous-régime. Il faut s’écouter, mais aussi se laisser du temps”, conseille Lucile Quillet, rappelant que la logique productiviste ambiante tend à faire passer le moindre petit passage à vide comme un manquement coupable à nos obligations.

S’il n’existe pas exactement de formule magique, l’experte conseille de mettre en perspective nos inhérentes responsabilités financières (loyer à payer, prêt à rembourser, charges impondérables…) avec notre épanouissement et bien-être professionnels actuels, mais aussi nos attentes en la matière.

“Dans certaines périodes de vie, le travail est secondaire, et on peut s’en accommoder sans culpabilité. En revanche, cette phase dure plusieurs mois, et que le fait de partir en vacances, prendre du recul ou changer de mission ne change rien, il faut commencer à se poser des questions.”

Dans certains cas, il est même préférable d’entamer une forme de processus de deuil, entre la femme active que l’on voulait être, ou que son entourage souhaitait que l’on soit, et celle que l’on est en réalité, avec ses envies et ses nouvelles attentes.