L’année dernière, j’ai osé démissionner. À 24 ans et alors que je venais à peine de débuter ma carrière, quitter mon premier poste pour en accepter un autre me pétrifiait. 

Nombre de questions administratives et humaines m’ont alors envahie. Qui prévenir ? Via quel moyen ? Combien de temps mon préavis devait-il durer ? Mon équipe n’allait-elle pas se retrouver le bec dans l’eau ? Et mes collègues adorées allaient-elles m’en vouloir ?

Car si "grande démission" et "démission silencieuse" sont sans appel les termes les plus entendus dans la sphère professionnelle en 2022, démissionner reste un grand point d’interrogation avant qu’on y soit réellement confronté.e. 

“Au lieu de nous concentrer sur un état d'esprit du type 'ne jamais abandonner', nous devrions plutôt considérer la démission comme une série de décisions reflétant nos véritables intentions, désirs et objectifs et ainsi la normaliser avant même d'avoir à quitter son poste”, explicite le média Forge, reprenant la pensée de Annie Duke et de son ouvrage Quit: The Power Of Knowing When to Walk Away.

Alors, devrions-nous tou.tes faire de la démission une compétence à ajouter sur notre CV

Apprendre à démissionner pour se délester de l'injonction à ne "jamais abandonner"

Si la démission est presque un tabou, c’est sûrement parce qu'elle est encore aujourd'hui négativement connotée, comparée à un "abandon". 

Vidéo du jour

Un ressenti que nous confirme Paul*, journaliste. En novembre 2021, un ancien employeur vient lui proposer un CDI. Problème, il est, depuis près de six mois, en CDD dans une radio locale. "J’étais tenté parce que je voulais retourner en presse écrite et que je connaissais déjà l’équipe. Mais je m’étais engagé au moins sur un an avec la radio et c’est vrai que cette question du 'je suis en contrat, autant aller au bout et l'honorer jusqu’à la fin' me taraudait", explicite le jeune homme de 25 ans. 

“On nous incite à finir ce qu'on a commencé ou à ne jamais abandonner. Mais il important de valoriser le contraire : avoir la prévoyance, le courage et la confiance nécessaires pour mettre fin à quelque chose qui ne fonctionne pas, ou qui ne nous passionne plus, et trouver la prochaine ligne de conduite dans la vie est admirable", note le psychologue Will Meek pour Psychology Today.

Un manque de connaissances qui nous fait hésiter

Un état d’esprit par forcément en accord avec celui des entreprises. Car le monde du travail semble entretenir un flou autour de la démission et de ses rouages administratifs. Et sans Internet et les expériences passées de mon entourage, je n’aurais jamais su comment on démissionnait de manière concrète. 

La faute à mon jeune âge et à mon manque d'expérience ? Non, contredit le témoignage de Martine, 59 ans. À quelques années de la retraite, elle a décidé de démissionner le mois dernier, après cinq années passées dans une entreprise peu respectueuse du droit du travail et au sein d’une équipe toxique

"Après une violente dispute qui m’a atteinte moralement et physiquement j’ai eu comme un déclic”, raconte-t-elle. Seulement, si elle est déterminée à partir au plus vite, des questionnements apparaissent. 

"Je savais qu’il fallait envoyer une lettre recommandée, mais je ne connaissais pas les délais ou les potentielles poursuites. On se pose beaucoup de questions, alors que c'est un droit simple. Heureusement, l'une de mes filles a fait des études de droit et a pu m'aiguiller, sinon je m'en serais remise à Internet", explicite la mère de famille. 

Paul, qui était alors en "contrat aidé" avec Pôle Emploi, a pu se référer à sa conseillère. "Ce n'est pas quelque chose qu'on apprend de base, heureusement aujourd'hui il y a ces ressources extérieures", souligne-t-il. 

"Comment vont-ils faire sans moi ?" ou la culpabilité de quitter son poste 

Au-delà des lacunes pratiques qui peuvent être estompées par les dizaines d’articles qui pullulent sur le web, il existe une autre raison pour laquelle nous devrions faire de la démission une compétence acquise avant même d’entrer dans le monde du travail.

"L'affect pour nous faire repenser une décision personnelle. J’avais bien conscience que démissionner en milieu de contrat n’allait pas aider l’équipe. C'était difficile pour eux de se retourner et de trouver un remplaçant rapidement. On peut vite se sentir coupable ou égoïste", admet Paul. 

De son côté, alors que son nouvel employeur lui conseillait de "juste envoyer la lettre recommandée sans prévenir son patron", Martine a préféré lui annoncer de vive voix qu’elle quittait son poste. 

“J’ai voulu lui dire par respect. Et puis, sachant qu’il est âgé, je ne voulais pas qu’il ait une mauvaise réaction en apprenant la nouvelle au dernier moment. Je ne souhaitais pas partir comme une voleuse, même s’il l’aurait mérité”, nuance-t-elle.  

Si ces sorties soignées sont appréciées car "on vit dans une ère où le réseau est très important" et que "partir en bonne et due forme permet de conserver un réseau professionnel", rappelle Vanessa Dabin Remignon, experte en reconversion professionnelle et entrepreneuriat pour Welcome To The Jungle, il ne faut pas se laisser happer par une culpabilité qui pourrait nous pousser à favoriser le bien-être d’une entreprise aux dépens du nôtre. 

Les bienfaits sous-estimés de la démission

Car si parfois l’inconnue de la démission fait peur, cette décision se révèle souvent salvatrice, comme en témoigne Martine. 

“Je stressais beaucoup à l’idée de l’annoncer, mais aussi de me jeter à l’eau, dans un contexte pas facile et à 59 ans. Mais je suis plus heureuse depuis. Je me sens délestée d'un poids, je vois une grande différence dans mon moral et surtout, j'ai trouvé un autre poste, ce qui me conforte dans l'idée que ma décision était la bonne. Mais tout ça, on ne le voit qu'après. Et toutes ces inconnues effraient", confie-t-elle. 

Et si elle devait à nouveau démissionner demain ? "Ce serait sans tout ce stress et ce flou. Mais cela dépend aussi beaucoup de l'employeur. Ma nouvelle patronne m'a directement expliquée comment se déroulait les choses en cas de démission dans la boite, pendant l'entretien d'embauche. Je trouve ça très professionnel et rassurant. C'est presque comme si on nous rappelait qu'on a ce droit, alors qu'on a tendance à l'oublier", termine Martine. 

* Le prénom a été changé