Pot de départ, cagnotte, formation des stagiaires : quand la charge mentale des femmes s'invite aussi en entreprise

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charge mentale des femmes en entreprise
À l'approche de l'été, la charge mentale des femmes ne prend pas de vacances. Les salariées s'attellent toujours à des tâches peu valorisées : organisant pots de départ, cagnottes, moments de convivialité, voire formation des stagiaires, les femmes se retrouvent à occuper des fonctions invisibles, qui se répercutent pourtant sur leur santé mentale autant que sur leur ascension professionnelle.

Être une femme ou en faire mentalement deux (voire trois) fois plus. C'est là tout le principe de la charge mentale. Un concept qui désigne l'injonction que nous subissions à devoir tout gérer dans les sphères domestique, amoureuse, familiale, médicale, sexuelle, professionnelle...

Planifiant, réfléchissant et agissant pour tous.tes (mais un peu moins pour elles-mêmes), les femmes doivent assurer sur tous les fronts et satisfaire aux besoins de chacun.

Un poids immense qui pèse sur leurs épaules, qui franchit les barrières de la vie privée, venant empiéter sur leur travail et leur carrière.

Car dans le monde de l'entreprise, à l’année et peut-être encore plus à l’approche des vacances d’été, les femmes sont encore les premières à s’acquitter de corvées dont personne ne veut. Et surtout pas les hommes. 

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Pots de départ, formation des stagiaires, nettoyage : les femmes en font plus

Pots de départ, cagnottes, décoration et nettoyage des espaces communs, formation des stagiaires, moments de cohésion : être une femme vous oblige souvent, malgré vous, à vous engager dans des tâches peu reconnues, invisibilisées et non-rémunérées.

Car l’idée selon laquelle elles seraient plus à aptes à les réaliser - car étant dans notre “nature” d’aider et de prendre soin des autres - ne faiblit pas, comme l’explique la sociologue Jessica Pothet.

“Dans l’entreprise, il y a ce qui est inclus dans le contrat, ce qui répond à un cahier des charges, à la fiche de poste. Puis il y aussi tout ce qui constitue la dimension sociale de la vie en entreprise. D’être agréable avec les collaborateurs, de former de nouvelles personnes quand on part en congé maternité, de s’occuper du cadeau de tel collègue pour son pot de départ. Un travail invisible qui continue d’être réalisé par les femmes. Des tâches qui ne font pas partie du travail rémunéré”, détaille la sociologue. 

Dans une étude publiée en 2017 dans l'American Economic Review, les chercheuses Linda Babcock, Maria Recalde et Lise Vesterlund décrivaient comment les femmes étaient plus susceptibles d'occuper ce qu'elles appellent les tâches "non promouvables" au travail. Leur constat ? Elles acceptent presque toujours de s'occuper de ce qui ne valorise pas leurs carrières. 

"Elles se portent plus volontaires que les hommes pour ces tâches ‘non promouvables’, on leur demande plus souvent d'accepter ces tâches et, lorsqu'on le leur demande, elles sont plus enclines à dire oui”, expliquent les chercheuses dans un article de la Harvard Business Review

Des compétences "féminines" pensées comme “naturelles”

Des services rendus à l'entreprise et aux collègues - alors qu'ils n'apportent presque rien au niveau personnel - confiés davantage aux femmes du fait de stéréotypes de genre bien ancrés.

“Comme dans les métiers du care, on pense que les femmes savent mieux faire, au prisme d’une approche naturalisante. On pense que prendre soin des autres est une compétence naturelle qu’auraient les femmes, des compétences qu’on associe au genre féminin. Car tout dans la socialisation amène à penser que les femmes savent s’organiser, gérer la vie sociale. Du coup, tout ce travail-là devient invisible. Pourtant, prendre soin des autres demande des compétences professionnelles”, explique Jessica Pothet. 

S'occupant et s'inquiétant constamment d'autrui, les femmes sont assignées au confort et au bonheur des autres, dans leur vie professionnelle.  “Les femmes occupent ces rôles au sein de la sphère domestique. Donc il est attendu d’elles, encore une fois, qu’elles s'en occupent au sein des sphères professionnelles. C’est un simple déplacement, en raison d’une appartenance sexuée”, détaille toujours la sociologue. 

Et c'est la vision genrée de la société qui explique cette attribution.

"Nous avons toujours une conception traditionnelle du genre selon laquelle les femmes sont tenues pour responsables du bien-être des autres. Cela va de pair avec l’attente des femmes qu’elles se sacrifient pour le bien-être des autres dans tous les domaines de la vie, qu’il s’agisse de la famille ou du travail", explique Mirjam Fischer, professeure d’études de genre à l’université Humboldt (Allemagne) à Courrier International

Une carrière ébranlée par des tâches invisibles

Mais autant que la mauvaise répartition de la charge émotionnelle, de la charge médicale ou encore de la charge familiale pèsent sur le quotidien et le bien-être des femmes, la charge mentale en entreprise complexifie l'ascension professionnelle des salariées. 

“Ce travail invisible n’est pas valorisé. Pendant que nos homologues masculins avancent sur des choses plus matérialisables, concrètes, les femmes, elles, occupent encore des fonctions qui restent dans l’ombre. Tout cela se fait au détriment d'autres chose, de leur réussite, de la réalisation de leurs objectifs. Car on n’évaluera pas une carrière au regard de la contribution à la bonne sociabilité de l’équipe”, continue la sociologue. 

Car alors que "les femmes ont la pression d’être une bonne mère, une bonne épouse et une bonne professionnelle", dénonce Claire Jardin-Menard, coach et formatrice, et qu'elles se concentrent sur tout autre chose que leur carrière, il sera plus difficile pour elles d'évoluer.  

“Si elles se voient confier de manière disproportionnée des tâches qui n'ont que peu de visibilité ou d'impact, il faudra beaucoup plus de temps aux femmes pour progresser dans leur carrière [...] Les travailleurs qui consacrent plus de temps à des tâches non promouvables sont empêchés de démontrer tout leur potentiel [...] leur avancement est entravé”, dénoncent de leurs côtés les scientifiques à la Harvard Business Review. 

Des conséquences sur la psyché des femmes

Mais au-delà de leur travail, c'est leur santé mentale qui est mise à mal par cette charge mentale professionnelle.

“La prise en charge plus fréquente par les femmes du travail non rémunéré, invisible, les conduit ainsi à être plus à risque de se retrouver en situation de précarité, de pauvreté et de dépendance économique à l’égard d’un partenaire. Elles se retrouvent aussi plus fréquemment confrontées à des problèmes de santé physique et mentale, notamment parce qu’en cherchant à concilier leurs différentes responsabilités, elles limitent le temps qu’elles peuvent consacrer à leur bien-être”, explique la chercheuse Laurence Charton à The Conversation

Le risque final pour ces salariées surchargées par un travail invisibilisé ? Un épuisement psychique voire un burn-out. “Le burn-out c’est la rencontre d’une personnalité et d’un environnement de travail. Et parfois, il y a un choc qui se fait et qui peut mener au burn-out”, reprend Claire Jardin-Menard. 

Car avoir l'esprit occupé par le pot de départ du collègue qui part à la retraite ou s'atteler à bien former le stagiaire de troisième, en plus de penser à tout ce qui entoure les enfants et de réaliser ses objectifs professionnels, n'est pas de tout repos. Et vous expose à un vrai risque de détérioration de votre santé.

“Cette charge mentale s’accompagne souvent des notions de fatigue, d’usure, d’un rapport tiraillé au temps. Elle est avant tout cognitive. Elle interroge ce que les femmes s’accordent à elles et ce qu’elles accordent aux autres. Et ces questions, qui peuvent se négocier dans le couple, sont surtout sociales et collectives”, détaille toujours la sociologue. 

Comment ne plus laisser la charge mentale impacter le travail et la santé des femmes ?

Mais alors comment ne plus laisser la charge mentale mettre en péril la carrière et la psyché des femmes ? D’après l'experte Claire Jardin-Menard, pour limiter l'impact de ce poids quotidien, “les femmes doivent savoir mettre les bonnes limites et s’écouter”.

Pour cela, elles peuvent commencer par se questionner sur ce que certaines tâches qu'on leur propose et qu'elles acceptent souvent, leur apportera.

"Avant de faire du bénévolat ou d’accepter une tâche supplémentaire, demandez-vous comment cela améliorera votre condition. Allez-vous acquérir de nouvelles compétences qui augmenteront votre valeur sur le marché du travail ? Cette mission augmentera-t-elle votre visibilité dans l’organisation ? Si la réponse est non, refusez cette 'opportunité'", propose la coach Roberta Matuson au média Forbes.

Toutefois, rien ne se fera sans une prise de conscience globale et sociétale, qui permettra d’enclencher un changement de mentalités et de mieux répartir ces tâches pensées comme féminines.

"La solution n'est pas que les femmes refusent plus de demandes de travail - ce qui poserait des problèmes aux organisations et aurait des répercussions sur les femmes - mais plutôt que les dirigeants trouvent des moyens de répartir ces tâches plus équitablement”, concluent les chercheuses à la HBR

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