Internet regorge de conseils pour faire des étincelles au réveil, surtout depuis que les gurus californiens de la productivité ne jurent plus que par la "routine du matin miracle" (Miracle Morning Routine).

Le concept a été lancé par le coach de réussite Hal Elrod, qui s’est fixé comme mission d’augmenter le niveau de conscience de l’humanité (ni plus, ni moins) en lui apprenant à tirer profit des premières heures du jour.

Afin de devenir les meilleures versions d’eux-mêmes, des centaines de milliers d’êtres humains réglèrent sans ciller leur réveil sur… 5h30. Méditation, yoga ou running, petit-déjeuner, routine beauté complexe, affirmations positives… : l’optimisation de notre potentiel prend du temps !

En quelques semaines, voire quelques jours, bien des candidats à la transformation étaient au bout du rouleau. En tête, les couche-tard et gros dormeurs.  

Des chronotypes génétiquement programmés

eS’il est possible de recaler légèrement nos rythmes de manière à être moins décalées par rapport au rythme social (le travail, l’école…), nous ne pouvons pas changer de chronotype", explique Marie Borrel, auteure, avec le Dr Yann Rougier, de Ma bible de la chronobiologie (Ed . Leduc).

Selon Claire Leconte, spécialiste des rythmes biologistes, nos chronotypes sont génétiquement programmés mais ne sont pas héréditaires - des parents gros dormeurs peuvent faire des enfants petits dormeurs et inversement. "Il est difficile de bousculer nos rythmes profonds. Première chose à faire pour les apprivoiser : apprendre à connaître notre typologie", indique la professeure émérite de psychologie de l’éducation - Université de Lille.

Il existe deux typologies distinctes : l’une se met en place très tôt, chez l’enfant, entre douze et dix-huit mois. Elle détermine pour la vie si l’on est petit, moyen ou gros dormeur. Quand les parents n’ont pas connaissance de ces informations, ils peuvent empêcher un gros dormeur de se reposer autant qu’il en a besoin ou au contraire obliger un petit dormeur à rester au lit plus que nécessaire. Au risque de créer une phobie du sommeil chez l’enfant !

La seconde typologie apparait à la puberté. Elle nous répartit en trois autres catégories : nous devenons des personnes soit matinales, donc lève-tôt, soit vespérales - on se couche tard, soit nous nous révèlerons de purs profils "intermédiaires". "Finalement, les deux typologies se croisent. Certains adultes seront par exemple couche-tard et gros dormeurs ; dans leur cas, embaucher à huit heures du matin relève du drame métabolique. En revanche, certains matinaux qui sont petits dormeurs risquent de se réveiller dans la nuit s’ils se couchent trop tôt", décrit la chronobiologiste.

Un vespéral ne deviendra jamais un matinal

À en croire les experts du sommeil, obliger un vespéral à se lever tôt est très difficile. "Cela l’oblige à modifier tous ses rythmes biologiques - ce qui peut prendre facilement un mois, sans qu’il ne devienne jamais un véritable matinal car la transition restera artificielle", estime Claire Leconte : "Chassez le naturel, il revient au galop… dès qu’il sera en vacances, il reprendra ses horaires de vespéral".

L’adaptation se fait exactement comme dans un décalage horaire. "On estime que le corps l’absorbe en deux semaines, au terme d’une désynchronisation interne : les différentes horloges biologiques n’étant plus en phase entre elles", observe la spécialiste. Notre rythme veille-sommeil fonctionne sur 24 heures grâce à quatre horloges distinctes : celle de la vigilance physiologique, celle de la température, l’horloge du cortisol (hormone du stress) et enfin celle de la mélatonine (liée au sommeil). Les quatre doivent fonctionner de manière synchronisée pour que nous nous sentions bien.

"Les études montrent qu’elles n’ont pas la même vitesse de déplacement quand on change de rythme. La vigilance a besoin d’environ 48 heures pour se caler, la température, de huit jours, et les hormones, de deux semaines", précise la pro.

Dans le cas d’une personne salariée de type couche-tard et gros dormeur qui doit être au travail tous les jours à huit heures, une habituation s’effectuera progressivement, mais le manque de sommeil chronique guette puisque l’endormissement restera compliqué. Pour absorber la fatigue, Claire Leconte conseille à ces profils de faire une sieste chaque jour au moment de la pause méridienne.

Repérer nos sensations corporelles

L’autre bonne stratégie serait de se conditionner à se coucher plus tôt, en faisant glisser progressivement l’heure d’endormissement, ce qui n’est toutefois pas possible chez tout le monde.

Mode d’emploi ? Apprendre comment nous fonctionnons et repérer le moment où le sommeil est prêt à arriver ."Quand on éprouve une sensation de froid dans la soirée, cela signifie que la température baisse dans le cerveau. Ce phénomène qui dure une quinzaine de minutes amène l’endormissement", décrit Claire Leconte.

On évite donc rater le fameux "train du sommeil" sous prétexte de terminer l’épisode d’une série. Sinon, on repart pour un cycle de veille supplémentaire (environ 90 minutes). Pour la chronobiologiste, cette éducation est essentielle. D’écoles en collèges et lycées, elle œuvre à initier enfants et adolescents à ces sensations. "Cette sensibilisation est d‘autant plus efficace quand elle est faite dès la maternelle", constate-t-elle. 

Tenir un agenda du sommeil

Autre étape clé pour adoucir les réveils : repérer notre chronotype.

Petit et moyens dormeurs peuvent le faire simplement en tenant un agenda du sommeil. On trouve facilement des modèles sur internet. Pendant des vacances d’au moins deux semaines, il s’agit d’essayer de percevoir notre horaire d’éveil spontanée, puis d’évaluer le nombre d’heures de sommeil dont on a besoin pour nous sentir en bonne forme toute la journée. Quant à la typologie matinalité-vespéralité, Claire Leconte renvoie à l’outil de Horne & Östberg, sur internet.

Son conseil : remplir le questionnaire en ligne en essayant de percevoir notre idéal de choix, et non en nous fiant à nos habitudes de vie, qui répondent à des contraintes. 

Une assiette hormones friendly

Autre levier pour aider à l’adaptation : les séquences alimentaires. Primo, prendre l’habitude de manger protéiné dès le petit déjeuner, afin de soutenir une courbe efficace de sécrétion du cortisol, hormone de l’éveil et de la vigilance.

"C’est ce que l’on fait en Europe du Nord", indique la chronobiologiste. Même stratégie pour le déjeuner. On s’applique aussi à prendre un goûter diététiquement construit (fruits, oléagineux) qui permettra d’alléger le dîner. Idéalement, ce dernier sera composé de légumes et céréales complètes, et pris au moins une heure avant l’endormissement.

Le sommeil sera alors de meilleure qualité car il ne sera pas gêné par la digestion. Marie Borrel encourage à introduire des laitages (riches en tryptophane, un nutriment pro dodo), de la laitue qui contient du lactucarium, une substance naturellement hypnotique (dans les feuilles vertes surtout) ; utilisez aussi les aromates qui détendent, comme le basilic, la mélisse, la lavande…

À éviter : les séquences sportives trop proches de l’heure du coucher augmentent la température du corps.

Autre activité délétère pour le sommeil, les écrans. Leur flux bleuté perturbe l’horloge biologique située derrière les yeux. "Elle croit que c’est le jour et continue d’envoyer ce message aux autres horloges internes qu’elle gouverne", indique Claire Leconte.

On éteint donc tablettes et smartphones au moins une heure avant de dormir. Pas question d’utiliser notre téléphone comme réveil, ou pire, de le garder sous l’oreiller ! "Les gens éprouvent un malaise accru face à cette invasion du numérique. Ils nous demandent de plus en plus de conseil sur le sujet", observe la pro, qui rappelle que les enfants et adolescents ont perdu près d’une heure de sommeil quotidien en trente ans. Discuter, faire un sudoku, lire un livre...

Elle suggère par ailleurs de fuir le stress au coucher en essayer de régler ou de discuter des sujets qui nous perturbent loin du lit.

Luminothérapie et bain de lumière naturelle

Du côté de Marie Borrel, on insiste sur l’utilité de la lumière du jour pour modifier l’horaire de lever quotidien : grâce à elle, notre horloge biologique recale son rythme en fonction de la saison, ou du lieu géographique où nous nous trouvons.

"Les chercheurs savent depuis longtemps que le manque chronique de lumière entraîne des troubles, dont une désorganisation du sommeil", avance l’auteure. "Si vous avez du mal à vous lever le matin pour aller travailler, c’est que vous êtes un couche-tard/lève-tard". Vous devez donc "avancer" votre rythme. À cet effet, il vous suffit de prendre la lumière naturelle le matin avant 9 h. Voilà qui vous permettra de vous endormir progressivement un peu plus tôt le soir, et donc de vous réveiller plus tôt.

Si vous le pouvez, faites l’acquisition d’un appareil de luminothérapie, que vous utiliserez 20 minutes pendant le petit-déjeuner. Aller travailler à pied est une autre bonne option, à moins de profiter du petit matin pour faire une balade. Bon à savoir : même quand le temps est couvert, la lumière naturelle est suffisamment forte pour influencer l’horloge biologique. À l’inverse, en fin de journée, fuyez la lumière. Portez des lunettes de soleil à l’extérieur même si le temps est gris.

Enfin, pensez à la mélatonine, cette hormone cérébrale qui gère notre endormissement. Il est ainsi possible de prendre un comprimé, "une heure avant l’heure où vous aimeriez vous endormir", explique Marie Borrel. En demandant en amont l'avis d'un professionnel de santé.

Selon elle, ces petites retouches ne changeront pas fondamentalement votre chronotype. Mais vous pourrez progressivement grignoter sur votre rythme de manière à ne plus souffrir chaque matin lorsque le réveil sonne.

Un soulagement pour un bon nombre d’entre nous.