C’est le secret le moins bien gardé des couples et autres duos à la relation plus ou moins définie : voyager permettrait de booster comme la libido comme jamais.

En effet, selon un sondage réalisé en 2015 par l’IFOP, 54% des Français déclarent avoir plus de rapports sexuels lorsqu’ils sont vacances, avec une prédilection pour le coït au saut du lit et/ou à la nuit tombée, programme de visites oblige.

"Pendant l'année, l'individu est soumis à un feu d'injonctions et de normes qui l'inhibent, mais qu'il se doit de respecter,” nous avait préciser la psychanalyste Valérie Sengler, auteure de l’ouvrage La psy qui guérit (Autoédité, 2022) dans une enquête sur le sujet parue en août dernier. Et pour cause, comme on pouvait s’en douter, le triptyque boulot-métro-dodo doublé d’une routine bien huilée agit rarement comme un aphrodisiaque envoûtant versus un épopée épique à travers l’Asie du Sud-Est ou un all-inclusive sous les tropiques où l’on déambule en maillot-paréo à longueur de journée.

Nouvelles frontières sensuelles

Et ça, les professionnels du tourisme l’ont bien compris, surtout outre-Atlantique.

Après les stages de surf et de yoga, les cours de cuisine locale ou encore les retraites pour “renouer avec son féminin sacré” (lunaire, au sens très littéral du terme), c’est donc tout naturellement que les experts américains de l’évasion se sont mis à proposer des sessions de sexothérapie au sein de leurs établissements, au même titre que la visite d’un site archéologique local ou qu’un soin du visage dans leur spa.

C’est ce que l’industrie du voyage appelle communément “le bien-être sexuel”, soit le fait de prendre soin en âme et conscience de sa sexualité de couple, au-delà des poncifs érotiques et autres injonctions à la performance véhiculés par nos sociétés contemporaines.

Exit les “sex hotels” du Yucatán ou de la Jamaïque dans lesquels les couples libidineux venaient pimenter leur vie sexuelle sur fond d’échangisme pas tout à fait assumé. La tendance est à l’accompagnement thérapeutique en vue de coïts effectués en parfaite harmonie.

Un énième effet de mode ? Pas forcément : selon le Global Wellness Institute, ce type d’escapade pourrait connaître une croissance annuelle de près de 21% jusqu’en 2025. Une popularité d’autant plus forte que ces thérapies intimes peuvent prendre des formes aussi variées que la sexualité elle-même. 

Des "sex kit" dans les chambres d'hôtel et des stages pour booster sa libido 

Par exemple, à Trancoso, au Brésil, l’Uxua Casa Hotel & Spa propose ainsi les services peu ordinaires du Dr Jullian Hamamoto, un nutritionniste spécialisé dans les aliments qui permettent de booster sa libido. À découvrir dans une cabane dans les arbres à l’aura sexuelle chargée qui a fait la couverture The World’s Sexiest Bedrooms (Thames & Hudson, 2018).

Selon Condé Nast Traveler, dans des établissements de luxe reconnus comme le Six Senses Ibiza en Espagne ou le St Regis Punta Mita au Mexique, on a pu voir en 2022 des stages de bien-être sexuel se tenir à guichets fermés. Tandis que les hôtels du monde entier seraient de plus en plus nombreux à offrir un “sex kit” dans les chambres, juste à côté de celui contenant brosse à dent et nécessaire à coudre.

Mais ce qui cartonne le plus chez nos voisins américains, ce sont tout simplement les retraites dédiées à l’épanouissement sexuel, organisées à l’initiative de sexologues reconnues et autres gourous de la sensualité.

Les Français seraient encore peu réceptifs, entre pudeur et préjugés, face à des Anglais, des Allemands ou encore des Suisses qui se laisseraient plus facilement tentés.

Quelques jours dans les Caraïbes pour renouer avec l’intimité de son couple, déceler les blocages qui freineraient les relations saines, doper la libido des femmes… Chacune y va de son devise, à grands renforts de marketing prometteurs et de punchlines bien senties.

Quid de l’hexagone ? Si la recherche google de “retraite bien être sexuel” m’a moins mené vers des voyages aguichants que sur des articles défendant le droit à jouir du 3e âge, on peut repérer ci et là des stages tantriques organisés le plus souvent dans des gîtes reculés où le glamour et le wellness à la Gwyneth Paltrow ne semblent pas (encore) au rendez-vous.

Rassurons-nous : ça ne devrait pas tarder, même si sur ce genre d’expériences atypiques, les Français seraient encore peu réceptifs, entre pudeur et préjugés, face à des Anglais, des Allemands ou encore des Suisses qui se laisseraient plus facilement tentés.

Le bien-être sexuel, au centre de toutes les attentions depuis la pandémie

Or si l’on peut s’amuser de cette tendance qui semble encore pour beaucoup relever d’une énième lubie de l’Oncle Sam, elle découle pourtant d’une problématique sanitaire des plus sérieuses : celle de la pandémie de Covid-19.

Isolement oblige, la réduction voir l’absence de relations physiques entre les animaux sociaux que nous sommes nous a conduit à nous interroger sur notre bien-être et notre épanouissement, y compris notre santé sexuelle.

Certaines ont arrêté de se maquiller et de porter des soutien-gorges, d’autres ont démissionné d’un “bullshit job” pour partir en quête de sens professionnel et puis il y a ceux et celles qui ont réalisé qu’iels n’étaient pas du tout satisfait.es de leur vie sexuelle. Sur le site Cult Beauty, le nombre de recherches liées à l'occurrence “bien être sexuel” aurait augmenté de 850% pendant le premier confinement.

En parallèle, 20% des personnes en âge de copuler aurait profité de la pandémie pour élargir leur répertoire sexuel et améliorer significativement leur épanouissement que ce soit en testant de nouvelles positions, en partageant ses fantasmes ou en se prodiguant mutuellement quelque massages, et ce quand bien même les déplacements à l’étranger étaient limités.

L'intime, un crédo business en pleine expansion

Si on peut tout à fait concevoir que se rendre en terre inconnue suscite le désir et l’exploration physique, on est aussi en droit de s’interroger sur la viabilité d’une telle entreprise et sur ce qui se passera une fois le couple rentré dans son pavillon de banlieue ou son 45m2 citadin et la banalité de sa chambre à coucher.

Peut-on en effet, de manière réaliste, solutionner une, deux, trois, dix années de torpeur coitale en seulement quelques jours de sexe monitorés sous une moustiquaire et de cercles de discussions sous les cocotiers ?

Et par ailleurs, comme le précise Marie-Eve Lacasse, journaliste à Libération, dans un billet que penser de cette marchandisation de la misère sexuelle des uns au profit du business de quelques autres ? “Imaginer que le désir ne soit consolidable qu’à des milliers de kilomètres de chez soi, dans un décor de rêve (sans oublier l’aspect colonialiste), en dit long sur comment le marché s’est, encore une fois, approprié le domaine de l’intime.”

Ou quand le capitalisme s’offre un voyage aux confins de nos sexualités.