“Un état d'esprit doux et gai, un cocon douillet et sécurisant dans lequel on se sent libre d'explorer ses sensations et sa jouissance sans retenue.” C’est ainsi que Mélanie Guénette-Robert, sexologue et co-autrice du Petit manifeste de la masturbation féminine (Les Editions de l’Homme, 2022) décrit la masturbation dans cet essai engagé, qui se veut aussi être un précis didactique.

"C'est de la bienveillance envers soi-même, un moyen de répondre de façon autonome à un besoin naturel et d'ainsi affirmer sa valeur. C'est se sentir puissante, maître de soi et indépendante", écrit-elle, précisant que les caresses que l'on s'accorde à soi-même sont les plus importantes pour se retrouver et s'aimer.

Une ode au plaisir individuel en somme, qui a pour ambition de mettre fin au tabou entourant la masturbation féminine et d'encourager toutes les femmes à partir à la conquête de leurs corps.

Sauf que certaines d’entre elles n’en ont absolument pas envie, quand d'autres sont carrément dans le rejet pur et simple de l'onanisme.

Masturbation féminine, sexisme et préjugés

“Je sais que ça peut paraître étrange mais je n’ai jamais ressentie le besoin de me masturber", annonce timidement Sofia, 29 ans.

Célibataire à la vie sexuelle épanouie (comme elle se définit elle-même), la jeune femme explique qu’à chaque fois qu’elle a essayé, elle n’a pas vraiment ressenti d’excitation, ni de plaisir. “Je me suis sentie un peu cruche : j’ai commencé à me toucher la vulve de manière très confuse, sans ressentir quoique ce soir. J’ai vite laissé tomber”, déplore-t-elle, expliquant ne pas vraiment savoir comment s’y prendre.

À cette absence de savoir pratique, s’ajoute pour Marie-Sophie* la honte de s’adonner à une pratique qu’elle estime tabou. “Dans ma famille, le sexe n’était absoluement pas évoqué. Je me souviens notamment mes parents s’énerver devant une scène de film où une femme se touchait tout en gémissant. On ne voyait que son visage, mais ils ont tout de suite changer de chaîne !”, se souvient l’étudiante de 24 ans qui dit finalement ne jamais avoir osé s’aventurer dans son anatomie.

Des stéréotypes de genre à déconstruire

Et comme Sofia, elle ne semble pas être la seule à être mise sur le banc de la masturbation féminine.

En effet selon une étude réalisée par la marque de sex toys Womanizer* dans une dizaine de pays, si les femmes se touchent 76 fois par an en moyenne, soit 23 fois plus que l'année dernière, elles continuent de se masturber deux fois moins que les hommes. En effet, les hommes se masturbent en moyenne 2,8 fois par semaine, soit deux fois plus que les femmes (1,4 fois par semaine).

Or, contrairement aux idées reçues, les femmes n’ont pas moins d'appétit sexuel que leurs pairs masculins, leur désir tout comme leur sexualité ayant tout simplement été stigmatisé, voir diabolisé dans des sociétés largement dominées par l’idéologie patriarcale.

"L'idée que les hommes ont des besoins sexuels plus importants que les femmes est aussi un stéréotype puissant qu'il faut déconstruire et qui est d'ailleurs une lutte dont se sont emparées les féministes. Il y a aussi cette idée selon laquelle un adolescent qui se masturbe 'est normal'. Alors que chez les adolescentes, cette question n'entre même pas en ligne de compte !", expliquait Lucile Bellan, autrice du livre Masturbation dans une interview au journal Midi Libre.

Un inégal accès au plaisir 

La journaliste conseille à celles qui seraient décontenancées par la pratique d’apprendre tout d’abord à découvrir leur propre anatomie génitale, cette dernière étant largement méconnue.

Et pour cause, il a fallu attendre la chercheuse indépendante Odile Fillod, chercheuse indépendante et sa modélisation 3D d’un clitoris en taille réelle en 2016 un clitoris en 3D, pour que la communauté scientifique prenne officiellement acte du fonctionnement du seul organe entièrement dédié au plaisir sexuel. "Parmi les inégalités entre les hommes et les femmes, il y a un inégal accès au plaisir, note-t-elle. Forcément, si les femmes et leurs partenaires ne savent pas quel organe procure l’orgasme, ça n’aide pas à accéder à une vie sexuelle très épanouie.”

Une ignorance qui, au-delà du patriarcat, serait également due à de simples questions physiologiques, les garçons étant confrontés à la vue de leur pénis, avec ou sans érection dès le plus jeune âge. “Alors que les jeunes filles, sans miroir, elles ne peuvent même pas simplement “voir” l’entière de leur sexe. Elles peuvent moins facilement en appréhender le fonctionnement. Combien de femmes à l’âge adulte savent que leur clitoris peut entrer en érection ?

“Comment sexualiser quelque chose dont on ne connaît pas l’existence ?”, souligne Alexandra Vatimbella. Cette sexologue basée à Paris note d’ailleurs que beaucoup de femmes entrent ainsi dans son cabinet en dépréciant leur sexe, le qualifiant de “moche”, contrairement aux hommes qui jamais ne diraient qu’ils n’aiment pas leur pénis.

On est normal.e mais on ne se masturbe pas

Pour d’autres, moins qu’une absence d’éducation sexuelle ou une méconnaissance de sa propre anatomie, c’est l’absence de plaisir qui est à l’origine du refus de se masturber.

C’est le cas d’Adeline*, 35 ans, qui après avoir fait preuve de mimétisme sur fond de libération de la parole, s’est (enfin) avouée à elle-même que la masturbation, ce n’était pas pour elle. “J’ai tout essayé : le vibromasseur dernière génération, le doigté digne d’une experte du kamasutra, les films porno féministe…”, énumère-t-elle non sans humour. “Mais à chaque fois, c’est pareil : j’essaie de me “chauffer”, de m’imaginer des scènes torrides… Ça prend un peu mais ça décolle jamais vraiment. Je me suis rendue compte que j’essayais juste de faire comme tout le monde”, poursuit celle qui s'est presque sentie obliger de se masturber pour se considérer comme une femme de son temps.

Or, en matière de masturbation comme de sexualité, rien ne sert de se forcer : pour jouir, ou du moins ressentir beaucoup de plaisir, il suffit de s’écouter. “En sexologie, on ne va pas parler de normalité car, oui, on est normal même si on ne se masturbe pas", avance Alexandra Vatimbella qui explique que tout le monde n’a pas la même sensorialité ou le même imaginaire érotique. "La vraie question est de savoir si cette absence de masturbation génère une souffrance ou non, vis-à-vis de soi-même, et non parce qu’on a l’impression de ne pas être “conforme” aux attentes de la société", poursuit-elle.

Une femme à la sexualité autonome reste encore redoutée

Quid de celles qui, comme Marie-Sophie, ont grandi dans des environnements culturels et/ou religieux pas très sex-friendly ? "Dans certaines familles, on a va intégrer l’idée que se toucher c’est sale, que ça ne fait pas, que c’est interdit au nom de tel ou tel principe ou de telle religion, et oui, forcément cela va avoir un impact sur la masturbation, voire même contribuer à réprimer son désir", confirme la sexologue qui rappelle que, globalement, l’idée d’une femme à la sexualité autonome reste encore redoutée dans nos sociétés occidentales.

“Une fille désirante, qui est excitée sexuellement toute seule, ce n’est pas très valorisé. C’est même considéré comme un peu dangereux ! Qui sait ce qu’elles seraient capables de faire ?”, ironise Alexandra Vatimbella.

À croire que le patriarcat craint que les femmes jouissant par elles-même puissent par définition dominer le monde ! C’est peut-être vrai après tout…

*Les prénoms ont été changé, à la demande des intéressées.