"Il n'y a pas d'âge pour le désir amoureux, pour la joie érotique et l'intimité charnelle. Il suffit de laisser faire les coeurs et les corps qui savent faire l'amour. Mais si l'on cherche à retrouver ce que l'on a connu plus jeune, alors on est perdu", déclare la psychologue clinicienne Marie de Hennezel en préambule de son livre L'Âge, le désir & l'amour*. La sexualité n'a pas d'âge, on ne le répétera sans doute jamais assez. Pourtant, l'intimité après 60 ans reste ancrée dans le domaine du secret et même du tabou. Comme si elle devait, elle aussi, prendre sa retraite. Il flotte dans l'imaginaire collectif une odeur d'interdit autour de la jouissance de nos aînés : l'impensable vie sexuelle de nos parents et grands-parents. Mais ne serait-il pas réducteur -et triste- de croire que la jeunesse possède le monopole du désir ?

Cette sexualité, peu évoquée, fait l'objet de rares enquêtes. Parmi elles, une étude britannique datant de 2015, publiée dans le journal "Archives of Sexual Behavior". Celle-ci révélait que 54 % des hommes et 31 % des femmes de plus de 70 ans avaient encore une activité sexuelle. Des chiffres parlants, qui nous poussent à nous intéresser de plus près à ce thème dont nos regards se détournent trop souvent.

Sexe après 60 ans : faire face aux difficultés

Il semblerait que plus les années passent, plus les femmes s'abandonnent à leur plaisir : "La femme mûre se donnerait plus profondément, ouvrirait son corps et son être plus intensément", écrit Marie de Hennezel. Bien sûr, il serait naïf de penser que l'amour se pratique de la même façon à 20 ans qu'à 70. Cette génération, ayant connu la "révolution sexuelle", rencontre indéniablement certains freins dû à l'âge. L'image du corps, le changement de son enveloppe extérieure mais aussi de son fonctionnement intérieur, peut rendre l'abandon de soi impossible. Car si la vieillesse ne tarie pas l'envie de se donner, il lui arrive de laisser son empreinte ailleurs : dans l'estime, dans les croyances. "Le tabou sur la sexualité est levé depuis quarante ans, et pourtant la majorité des sexagénaires sont encore emboîtées, sans le savoir dans la sexualité des femmes de leur famille", analyse la psychologue. Emboîtées dans des interdits liés à l'éducation, à la religion, et plus largement à la société. S'ajoute à cela, l'amour propre qui s'amenuise avec le passage du temps sur le corps. "Tant de femmes manquent d'estime de soi, guettent dans le miroir les transformation de leur visage (...) Il y a cette petite voix intérieure qui juge que l'on n'est plus désirable", souligne Marie de Hennezel.

Outre les barrières mentales et morales, des obstacles physiques apparaissent également. Sécheresse vaginale due à la ménopause, baisse de libido, problèmes urinaires, trouble érectile, douleurs lors des relations... Si ces manifestations peuvent sonner le glas des rapports physiques, rien n'est cependant irréversible pour celles et ceux qui désirent conserver et optimiser leur vie sexuelle. "Longtemps, il fut bon ton de croire que les troubles de l'amour participaient de la fatalité. Aujourd'hui, après soixante ans, les moyens pour se réparer existent. La jouissance peut être à portée de traitements, mais aussi d'une prise en charge de soi" rassure Roselyne Madelénat, auteure du livre Osez... l'amour après 60 ans**. Par la force des choses, la sexualité change avec le temps. Elle ne devient ni médiocre ni ennuyeuse, elle trouve tout simplement d'autres voies.

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Les avantages de la sexualité après 60 ans 

L'enquête menée par Marie de Hennezel l'atteste : les rapports des seniors deviennent plus sensuels, plus tendres, plus lents. La quête de la performance au lit n'est plus, balayant ainsi toutes les injonctions à l'orgasme, à la durée, à la taille du sexe... "Ils ont découvert d'ailleurs qu'en laissant faire leur corps, en cessant d'être obnubilés par l'érection, ou la quête d'un point culminant à leur plaisir, ils deviennent beaucoup plus présents à la rencontre intime avec l'autre", écrit l'auteure et psychologue. La sexualité est alors appréhendée comme un véritable voyage des sens, où caresses, massages et pleine conscience sont rois. "C'est des caresses, de la tendresse, des baisers", confiait un couple de sexagénaires au journal du 20h de France 2, en 2012. Ces amoureux, rencontrés en maison de retraite, avouaient toutefois ne pas faire "véritablement" l'amour, notamment à cause de l'étroitesse des lits et la peur d'être surpris par le personnel.

En 2016, une étude américaine menée par le professeur de sociologie, Hui Liu, démontrait que le risque d'accident cardio-vasculaire augmentait chez les hommes âgés ayant une vie sexuelle. Le stress (difficulté à avoir une érection et à atteindre l'orgasme) et les efforts physiques seraient notamment coupables des potentielles crises cardiaques. Au vu de cette étude, le slow sex apparaît comme une façon plus adaptée de vivre l'amour.

La sexualité en maison de retraite

En maison de retraite, la question de la sexualité est largement étudiée par les professionnels de santé. "Il s'agit de lieu vie, il s'agit de leur domicile, la sexualité y est bien sûr autorisée et présente", souligne Sabrina Blot-Leroy, directrice des Sciences Humaines et Sociales et psychologue clinicienne chez Adef Résidences***. Chambres de couple et lits doubles médicalisés sont d'ailleurs proposés à la demande des personnes résidant en maison de retraite.

Si la sexualité existe en établissement spécialisé, le grand âge et la maladie poussent les professionnels de santé à appréhender la vie intime "au cas par cas et en fonction des pathologies", explique Sabrina Blot-Leroy. Pour la spécialiste, deux grands types de pathologies peuvent influer sur la sexualité. Celles qui ont un impact sur le corps, comme l'incapacité d'utiliser ses jambes par exemple, et les pathologies neuro-dégénératives : difficultés de reconnaissance (une femme qui croit reconnaître son mari alors que ça ne l'est pas) et difficultés au niveau du consentement. Ce dernier point est d'ailleurs au coeur des préoccupations des personnels de santé, comme chez Adef Résidences. Les troubles de la parole viennent notamment complexifier cette notion de consentement : ne pas trouver les bons mots pour s'exprimer, ne pas avoir une parole en cohérence avec sa pensée... "C'est problématique pour l'entourage et pour le personnel de définir si la personne est consentante ou si elle ne l'est pas", constate Sabrina Blot-Leroy. Analyser la volonté réelle d'une personne souffrant de pathologies neuro-dégénératives nécessite une observation et une connaissance précise des résidents de maison de retraite.

Outre ce devoir d'analyse et de protection, les professionnels n'interviennent en rien dans l'intimité des résidents et ont une obligation de neutralité. La porte d'une chambre peut ainsi être verrouillée, pour éviter que ces derniers soient dérangés par les visites du personnel. Aussi, toutes demandes spécifiques de la part d'une personne dépendante, comme l'achat d'un sextoy, sera prise en compte dans le respect et l'absence de jugement.

* "L'Âge, le désir & l'amour", de Marie Hennezel, ed. Pocket.
** "Osez... L'amour après 60 ans", de Roselyne Madelénat, ed. La Musardine.
*** Adef Résidences est une Association à but non lucratif de droit privé (Loi 1901) spécialisée dans la création et la gestion d’Etablissements médico-sociaux et sanitaires. L’Association gère 48 Etablissements (EHPAD, Etablissements Handicap, Etablissement sanitaire et centre de vacances adaptées).