"Les 7 positions du Kamasutra qui font grimper la température" ; "20 positions pour s’amuser tout l’été" ; "Les positions qui vont le/la faire craquer".

À chaque changement de saison, c’est la même chose : les médias semblent se donner un malin plaisir à nous soumettre des propositions d’acrobaties sexuelles plus fastidieuses les unes que les autres, distillant en filigrane l’idée qu’à la tombée de la nuit nous nous devons de nous transformer en contorsionnistes en tenue d'Adam et/ou Eve.

"Mais qui fait ça pour de vrai ?", n’ai-je cessé de m’interroger ces vingt dernières années, doutant presque de la légitimité de ma propre sexualité.

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Et pour cause, en me tenant à une distance très lointaine du Kamasutra et de ses 64 positions dithyrambiques, je présenterai les manifestations théoriques de ce que l’on appelle communément une sexualité vanille, c’est-à-dire une sexualité plutôt conventionnelle, peu sulfureuse, loin des “sex-parties” ou encore des pratiques inspirées de l’univers BDSM façon 50 Shades of Grey.

D’origine anglo-saxonne, cette expression à la conceptualisation un brin laconique, sans grand fondement sexologique, tend pourtant à inonder les conversations sur les réseaux sociaux, stigmatisant de manière un brin péjorative ceux ou celle que l’on taxait encore de "coincé.e" lors de la décennie passée. Bref, ceux et celles qui - pour filer la métaphore - préfère la douceur innocente de la glace vanille à l’audace, par exemple, d’un sorbet au wasabi saupoudré de coriandre.

Problème ? Contrairement aux idées reçues, nous serions une grande majorité à préférer la première à la seconde. 

Boulot, métro, sexo : les routines sexuelles plébiscitées

C’est du moins ce que les études statistiques confirment : les Français et Françaises ne seraient pas des “bêtes de sexe” au répertoire inventif et diversifié.

Un simple tour sur Google (ou dans notre rubrique sexo) confirme en effet que des positions somme toute très convenues comme la levrette, le missionnaire et l’Andromaque culminent au top parade des positions préférées des hétérosexuel.les, y compris au sein de nos pays voisins. "La plupart de mes patients mettent en pratique les positions classiques", confirme Noëline Toribio, sexologue et psychothérapeute basée à Paris, précisant que les acrobaties les plus techniques sont le fait d’une minorité à la vie sexuelle précoce et/ou à la curiosité galvanisée.

"Les femmes assument plus aisément d'être naturellement attirés par une sexualité classique ou la répétition des positions les plus connues leur permettent d'explorer leur plaisir, de le découvrir, parfois en en y ajoutant des variantes", ajoute-t-elle.

Mouvements de bassin, contractions vaginales spontanées, demandes de stimulation de la poitrine pendant une position classique, stimulations clitoridiennes avec un sextoy… selon notre sexologue, les femmes hétérosexuelles s’émanciperaient des tabous patriarcaux moins via une exploration exhaustive du Kamasutra que par une personnalisation subtile, mais non moins assumée, des positions réputées conventionnelles. 

Une injonction à la performance qui pèse sur la sexualité

Alors pourquoi ériger les sexualités à la Eyes Wide Shut en norme implicite socialement valorisée, quitte à complexer ceux qui ont l’audace de faire (encore et toujours) l’amour comme dans un romcom des années 90 ?

Selon le magazine américain InStyle, cette hiérarchie normative prendrait racine dans la mutation de l’activité sexuelle en performance à part entière, qui comme une épreuve des J.O. ou une recherche d’emploi, serait sujette à la compétition interindividuelle. Exit le sexe cantonné aux simples logiques physiologiques, on se doit d’avoir des rapports intimes plus longs, plus jouissifs, plus créatifs que ceux de son voisin, au risque de se voir opposer ce qui est jugé comme étant le pire adjectif de notre époque : celui d’être ennuyeux.se.

La faute à nos sociétés capitalistes ultra-compétitives et ultra-individualistes, mais aussi (et surtout) à la manière dont on est représenté le sexe sur nos petits et grands écrans. "L'exagération des expériences sexuelles dans les médias pose problème aux relations réelles car elle crée des attentes à des niveaux irréalistes", explique la coach en rencontres Lana Otoya dans l'article.

"Avec la pornographie désormais largement accessible, n’importe qui peut accéder à des scènes de sexe débridées qui sont rarement réalistes."

Une sexualité vanille qui fait du bien

Or, en réalité, une sexualité dite vanille peut en réalité témoigner d’une simple préférence en faveur d’une routine dans laquelle plaisir et bien-être sont garanties, a fortiori face à des journées au rythme plus que jamais éprouvantes.

"Quand on se couche, on est juste épuisés. Alors quand on arrive à se motiver, on a envie de prendre du bon temps, de se retrouver, de se faire du bien… pas de refaire le Cirque du Soleil !", se défend Céline*, 38 ans, qui s’indigne de cette énième injonction.

"Avant il fallait faire l’amour au moins trois fois par semaine, maintenant il faut aussi que tu sois la reine du Kamasutra quand tu couches avec ton mec, c’est quoi la suite ? Tourner une vidéo par semaine ? Avoir un Only Fan de couple ?", poursuit-elle. Au contraire, face à une pression sociale qui semble vouloir nous convertir en pornstar amateur, la sexologue recommande d’adopter une approche ludique, dans laquelle créativité et curiosité ne riment pas forcément avec approche phallocentrée.

"Quand je mentionne à mes patients des alternatives simples à la pénétration, comme les frottements allongés ou en fleur de lotus ou bien la masturbation en duo, cela illumine leur regard : ils ont connaissance de ce type de pratique, mais n’ont jamais songé à les inclure dans leur sexualité", explique-t-elle, rappelant que chacun peut repenser, réinventer sa propre sexualité.

Ou quand la vanille se révèle plus épicée qu’elle n’y paraît.

*le prénom a été changé