“J’observe de plus en plus de jeunes hommes sujets aux pannes sexuelles, alors qu’ils se targuent d’avoir eu une liste de partenaires sexuelles longue comme le bras à seulement 30 ans”, explique Fabienne Kraemer1, psychanalyste et thérapeute de couple. Depuis quelque temps, elle voit débarquer un nouveau type de patients : “entre 30 et 40 ans, adepte des sites et applis de rencontres à l’instar de Tinder et surtout, en panne de désir”, décrit-elle. Comme si les conquêtes éphémères à répétition conduisaient à une lassitude.  A trop solliciter notre “capital désir”, on pourrait donc ne plus en avoir du tout ?

Le phénomène toucherait donc certains trentenaires, tiraillés entre les images d'enfance de princes et princesses et le flux des images porno en ligne, soudain gratuit et accessible par tous et tout le temps. S’il est difficile de généraliser cet état de fait à toute une génération, l'érosion du désir chez les adeptes du sexe d'un soir serait bien réelle quoique non-quantifiable.

Pour autant, les premières observations chiffrées montrent un vrai bouleversement dû à ces nouvelles pratiques. Ainsi, selon un sondage Ifop récent2, plus de 62% des Français ayant déjà trouvé un partenaire via un site admettent y avoir déjà eu « une aventure sans lendemain ». Autre donnée qui en dit long sur les bouleversements sexuels en cours ? En 2005, seulement 17% des Français avaient surfé sur un site porno, contre 60% aujourd'hui3

Vider les fantasmes de leur substance

Pour Fabienne Kraemer, la multiplicité des partenaires amène à “vider les fantasmes de leur substance” en les assouvissant. “Dans un monde où “jouir sans entrave” est devenu un mantra pour tous, on est constamment incité à tout essayer, et ce, rapidement”, explique-t-elle, ce qui annihile le sentiment de frustration qui est “à la source même du désir”.

Pour le Dr Anne-Marie Lazartigues4, psychanalyste et sexologue, le constat est inverse : "on est amené à aller sur Tinder pour se rassurer sur sa  créativité érotique et sa capacité à plaire". Le sexe à vau-l'eau serait donc une conséquence de la pression sociale et sexuelle qui pèse sur cette génération. Mais pour elle, ce n’est pas la seule raison qui pourrait expliquer cette baisse de libido parmi les 30-40 ans. La surconsommation de porno aurait elle aussi une incidence : les fantasmes s’uniformisent et font entrer ces adeptes dans une course à la performance.

La peur de ne pas correspondre aux normes fait naître un sentiment de frustration chez ces trentenaires. Une sorte de syndrome de l’imposteur sous la couette. “La génération des 30-40 ans subit une pression sociétale sur tous les pans de sa vie et la sexualité n’est pas en reste”, souligne Anne-Marie Lazartigues. Avant d’ajouter que ces pannes sexuelles peuvent également être, selon elle,  les symptômes d’un fort attachement amoureux. “La peur de décevoir et de perdre l’autre par impuissance ou contre-performance, alors qu’on est fortement attaché à lui, peut tuer le désir et provoquer des pannes”, explique-t-elle.

Faire perdurer le désir sexuel 

Mais pour d’autres générations, qui ne sont pas touchées de la même façon par ces injonctions sociétales et cette sexualité radicalisée, la multiplication des rapports sexuels n’a - a priori - pas d’incidence sur une quelconque baisse du désir. A en croire certains sexologues et autres coachs spécialistes de l'amour, le fait de multiplier les aventures sexuelles pourraient augmenter la confiance en soi et - dans le cadre de rencontres adultères - redynamiser le désir au sein même de celui-ci. Une manière pour certains de pallier les fluctuations de la libido et l'anesthésie néfaste de la routine sexuelle.

Entretenir le désir sexuel ne dépendrait alors pas du nombre de partenaires, mais bien de la frustration et de l’attente. Quel que soit le schéma, l’experte Fabienne Kraemer préconise de décélérer, de se laisser le temps de rencontrer, de découvrir l’autre, de fantasmer … tout ça pour attiser le désir. “Il faut aussi retrouver confiance en soi et en l'autre pour s’abandonner”, complète Anne-Marie Lazartigues, qui insiste sur le fait que cette même génération a de moins en moins de modèles fiables de couples durables.

Le fait de multiplier les conquêtes - et donc l’incidence de cela sur le désir sexuel - ne serait pas une cause, mais un symptôme de la peur de l’échec amoureux qui pèse sur les épaules d’une génération bercée au porno et aux idéaux de l’amour éternel. 

1Fabienne Kraemer, e-thérapeute et psychanalyste, auteure de l’ouvrage “21 leçons de slow sex”, Ed. PUF, 12 euros
2"Les Français et les rencontres en ligne à l’ère des applications", Ifop, janvier 2018
3Enquête sur la consommation de films sX sur Internet », Ifop, avril 2014
4Dr Anne-Marie Lazartigues, psychiatre et psychothérapeute