Grigri, rituels, porte-bonheur : plongée dans le monde magique des sportives

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Grigris, rituels, doudous… De nombreux.ses athlètes cultivent une pratique porte-bonheur qui les met en confiance avant d’entrer en piste. Pourquoi en ont-ils.elles tant besoin ? Que représentent ces objets ou routines fétiches ? Sont-elles efficaces, dangereuses ? Paroles aux pros.

Dieu, meilleur coach mental du monde. C’est la boutade tout sourire de Jean-Cyrille Lecoq, neuro psychologue du sport, quand il évoque les folklores porte-bonheur des athlètes.

"Faire un signe de croix, une prière ou baiser le sol avant d’investir le terrain, embrasser son pendentif avant de se placer dans les starting-blocks… À chacun.e sa ou ses pratiques fétiches", décrit le préparateur mental. "Omniprésents dans la compétition de haut niveau, ces rituels sans logique apparente, sont plus ou moins contraignants, plus ou moins onéreux, voire un peu louches vus de l’extérieur".

Qui fréquente les coulisses du métier comprend vite que ces rituels ne sont pas un épiphénomène. Et de nombreux.ses sportifs.ves de haut niveau se confient volontiers sur les petites manies qui les aideraient à mettre la chance de leur côté.

La pub Volvic des années 90/2000 nous a révélé, dans l'intimité d'un vestiaire, la relation particulière entre Zinedine Zidane et ses chaussettes. De son côté, la gymnaste artistique Coline Devillard, 23 ans, nous a confié conserver un porte-bonheur bien à elle, caché dans son sac lors des compétitions. La patineuse de vitesse italienne Francesca Lollobrigida choisirait quant à elle ses sous-vêtements en fonction des couleurs qui lui ont porté chance durant les autres courses… mais éviterait de mettre deux fois le même coloris, quitte à porter des chaussettes dépareillées.

Plus simplement, la coureuse Nantenin Keita avale un petit sachet de sucre avant de se placer sur la ligne de départ. Une manière, selon la championne olympique des malvoyants sur le 400 m aux JO de Rio en 2016 (cat T13), de trouver ses marques.  

Une conduite de réassurance face à l’inconnu 

"Ces pratiques sont des conduites de réassurance ; une manière de gérer le stress par rapport à un futur que l'on souhaite positif mais dont on ne connaît pas l'issue", considère Jean-Cyrille Lecoq.

"La peur la plus présente en nous est celle de l'inconnu". Ce besoin de sécurité est donc fondamental pour chacun.e d’entre nous, mais la pression de la performance amplifie le phénomène, et ce, même quand on est considéré comme favori. Répéter, consciemment ou non, des éléments qui ont porté chance par le passé aiderait ainsi l’athlète à calmer ses tensions intérieures, à rendre supportables la peur de l'incertitude et du changement.

Selon François Castell, enseignant en psychologie du sport à l’université Clermont-Auvergne, ces porte-bonheur au sens large peuvent être un objet, une personne, une manière de faire ou encore un comportement, qu'ils soient organisés, ou non, sous forme de cérémonial. "Lors des moments stratégiques, les sportifs peuvent aussi invoquer une activité mentale particulière - imagerie, dialogue interne ou même des sensations précises-", détaille-t-il. 

Une routine de performance améliorée

Les entraîneurs acceptent ces procédés quand ils favorisent la motivation, la confiance en soi, la gestion du stress par rapport à une situation inconnue. Et par ricochet, la performance. Les préparateurs mentaux encouragent même l’adoption avant et le jour de la compétition, d’une routine dite de performance qui aidera à se construire une bulle de concentration.

Il s’agit d’un ensemble de schémas de pensée, d'actions ou d'images que l'on va reproduire systématiquement en amont d’une épreuve. 

"Dans le travail de préparation mentale, on identifie les croyances qui permettent de dépasser nos limites et de sortir de notre zone de confort, et les croyances limitantes", décrit Jean-Cyrille Lecoq. Le sportif réalise des actions de manière organisée afin de mobiliser, au bout du protocole, les bonnes ressources. Le pro compare la démarche au actions requises dans le sas d’entrée d’une banque, ou à la check-list pour un pilote d'avion. Elle donne le sentiment à l’athlète de mettre tous les atouts de son côté et d'avoir ainsi une prise sur les événements.

 "Dans les années 80, des études en psychologie du sport ont mis en lumière que les routines de performance orientent l’attention au bon endroit, en visualisant par exemple une phase sur laquelle on a particulièrement travaillé", évoque Jean-Cyrille Lecoq.

Au départ, le processus, plutôt technique, vise à réduire la distraction. Il peut être notamment utile dans les chambres d'appel en natation, où les adversaires ont l'habitude de s’intimider mutuellement. "Progressivement, cette routine peut se transformer en croyance. C'est ce qu'on appelle l'ancrage, en psychologie", indique-t-il. D’après l’expert, la croyance peut aussi être négative, sur le mode "je ne gagne jamais un match en cinq sets, ou contre tel adversaire ; ou le 9 du mois".

La puissance de l’ancrage 

"L’essentiel n’est ni la routine, ni l’objet, mais ce que l’on en fait. Pour que ces derniers soient efficaces, il faut les relier à la ressource dont on a besoin : la confiance, le calme, l’énergie… ", explique François Castell. "Ensuite, la croyance engendre une physiologie, autrement dit, elle influence la sécrétion d’hormones et de neurotransmetteurs".

Et plus la qualité de l’ancrage est forte, plus ce dernier est surpuissant. Ces associations neurologiques prennent des forme très différentes. Elles se cristallisent aussi bien dans la manière de préparer son équipement que dans des petits objets fétiches à porter sur soi, en passant par les célèbres TOC que le tennisman Rafael Nadal enchaîne au moment de servir.

Développer le mode automatique est un gain de temps et d'énergie considérable [...] Personne n'imagine changer tous les jours la place de son pot de moutarde dans son placard.

Selon le co-responsable DU (Diplôme Universitaire) Préparation Mentale interventions et aide à la performance, ces formes d’ancrage sont omniprésentes dans notre quotidien : nous nous créons tous des repères, jour après jour, pour aller plus vite. "Développer le mode automatique est un gain de temps et d'énergie considérable, c'est un mécanisme de survie individuel et collectif chez les mammifères. Personne n'imagine changer tous les jours la place de son pot de moutarde dans son placard", remarque-t-il.

Le procédé joue un rôle d’autant plus stratégique en compétition, on l’on est plus fragile émotionnellement, plus fatigué, donc moins de vigilant. Le cerveau répond alors davantage aux ancrages émotionnels. "Le fait de systématiser une habitude aide à fixer l’attention sur un processus connu lorsque l’on traverse une phase critique ou que l’on ressent une douleur, explique François Castell.

Des doudous qui agissent de manière kinesthésique ou mentale

Les grigris ne sont ni plus, ni moins, que des objets dans lesquels on pose un ancrage émotionnel. Ils reflètent le lien construit entre un objet et un état ressenti lors d’un instant, à l’occasion d’un événement ou en compagnie d'une personne. "J'ai adopté ma paire de chaussettes noires fétiche à la suite d'un combat âprement disputé qui s'est soldé par une victoire. Dès lors, j'ai acquis la certitude que cet accessoire acheté dans une célèbre enseigne de prêt-à-porter suédoise me portait chance. Qu'il me protégeait. Qu'il était une condition de mon succès. Comme un trèfle à quatre feuilles ou le jet d'une poignée de sel par-dessus l'épaule" confiait, dans l’Obs, la championne du monde de boxe française puis anglaise Aya Cissoko.

"Je m'assurais même, avant le départ, à plusieurs reprises que la paire était présente. Ce morceau de tissu avait le pouvoir de me rassurer, comme un doudou pour un enfant. L'athlète n'est pas un super-héros. Il est comme les autres, pétri de peurs et d'angoisses", affirme l’auteure de son autobiographie Danbé (écrite avec Marie Desplechin). 

Bandeaux, manchons de compression… ces grigris agissent comme des doudous, aident l’athlète à restaurer un sentiment de sécurité de manière kinesthésique (en le touchant) ou simplement mental (on sait que l’objet est sur soi).

La quadruple championne de France de trail court Céline Lafaye ne cache pas être une grande adepte des grigris, qu’elle embarque dans son sac ou sa poche, qu’il s’agisse d’un petit caillou récupéré lors d’une balade ou du bracelet d’une personne proche. L’athlète et chercheuse en médecine du sport associe l’objet à une personne marquante pour elle, qui lui donne de la force dans les moments difficiles de la course. Une manière de ne plus être seule face à l’épreuve, de surmonter une phase de découragement ou d’envie d’abandon.

Des rituels aussi valables dans le collectif

Autre forme de conditionnement courant dans le monde du sport : l’ancrage situationnel s’établit via un coéquipier ou l'entraîneur. "Un joueur peut demander à un coéquipier de le regarder d'une manière particulière, à un certain moment du match", illustre François Castell.

Parfois, une dynamique collective s’installe naturellement pour créer de la cohésion et atténuer l’anxiété. Avant les matchs, les femmes de l’équipe de curling du ROC ont ainsi pour habitude de jouer avec une sorte de petit sac de riz qu’elles appellent "la chaussette". Chacune tire dedans et tout le monde part à l’échauffement.

Certains.es athlètes instaurent des actions sans logique apparente pour influer sur la chance ou d’autres facteurs extérieurs à la performance. Exemple : la snowboardeuse tchèque Eva Samková se dessine une moustache sur le visage aux compétitions importantes. Une habitude prise depuis les Championnats du monde 2011, où elle est arrivée 5e pour sa toute première participation.

"Bien sûr, il faut se garder de parler pour des cultures autres que la nôtre", avertit François Castell, évoquant par exemple la Coupe d'Afrique des nations de football (CAN). "Sur ce continent, la culture du grigri est très forte, à mille lieux de la nôtre". 

Grigri, porte-bonheur : attention aux dérives obsessionnelles

Étrangement, la valeur du porte-bonheur est rarement remise en cause par une mauvaise performance. Si sa "magie" fonctionne, son pouvoir est confirmé, voire renforcé. Sinon, la mauvaise performance est mise sur le compte des éléments environnementaux (météo, parcours…). Par contre, l’objet fétiche peut tourner à l’obsession. Il rend alors l’athlète trop dépendant de lui, le déstabilise au point d’impacter sa performance en cas d’absence. Mieux vaut alors consulter.

Pour limiter la casse, François Castell conseille de miser plutôt sur la routine de performance (qui est, en soi, un objet mental), plutôt que sur l’objet fétiche car la première est malléable, adaptable aux aléas rencontrés dans la réalité, alors que le grigri est immuable, non adaptable. Mais là aussi, la dérive obsessionnelle peut s’installer. "La personne n'a pas forcément conscience de ce qui fonctionne ou pas mais s'est attachée à sa croyance, ce qui donne lieu parfois à un entêtement (on parle de passion dévorante), un engagement trop répétitif, trop focalisé", constate-t-il.

Les superstitions doivent soutenir l'athlète et non pas le happer, le faire dérailler. Ce qui arrive quand il n'y a plus de discernement.

"Si le sportif répète 15 ou 20 fois sa conduite de réassurance à l'approche de l'épreuve, alors ce n'est pas forcément positif ; il faut trouver le juste équilibre".

Le comportement devient aussi pathologique lorsque les rituels perdurent en-dehors de leur contexte. On parle alors de TOC, de troubles obsessionnels compulsifs. "On en a tous, à commencer par les étudiants qui passent un examen. Il y a un problème quand on conserve ces TOCs en dehors de l’examen, de la compétition. Les superstitions doivent soutenir l'athlète et non pas le happer, le faire dérailler. Ce qui arrive quand il n'y a plus de discernement".

Les zones glissantes de la superstition poussent certains.es sportifs.ves à fuir ces petits “trucs”, ayant peur de rater un rendez-vous si le rituel n’est pas respecté. Illustration : si la joueuse de basket Céline Dumerc sacrifiait au rituel collectif de tirer un premier panier en entrant sur le parquet de basket, elle "ne prenait pas de risque en se mettant très, très près". Sa consœur Valériane Ayayi explique pour sa part s’être peu à peu défaite de ce genre de rituels en grandissant, car elle gagnait en confiance en elle.

Le soi, meilleur grigri du monde ?

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