“Etre célibataire ? C’est génial ! Ça fait 3 ans que je suis seule et je n’aurai jamais pensé autant aimer ça.” D’emblée Anna*, 30 ans, donne le ton. “Je voyage, je sors avec mes copines, je gère mes projets, je dors seule en travers du lit : je fais ce que je veux ! Je n’ai pas à devoir supporter un match de foot, le dimanche midi chez les beaux-parents ou d’autres choses qui ne m'intéressent pas !”, poursuit-elle, résumant en quelques mots un mode de vie hédoniste assumé, placé sous le signe d’une sacro-sainte liberté idéalisée. “Ce que j’aime dans cette situation, c’est de n’avoir de comptes à rendre à personne et de me sentir totalement indépendante”, confirme Elisabeth, 31 ans, qui enchainent les voyages au bout du monde, sans projection, ni souci du lendemain. “Je n’attends pas un homme pour me réaliser, ni pour que ma vie commence vraiment !”

La clé du bonheur 

Qu’elles aient vécu de belles histoires d’amour ou des “one-shot” sans lendemain, toutes les célibataires interrogées affirment en effet avoir aujourd’hui pris leurs distances avec un schéma de couple qu’elle juge un brin oppressant, source de contraintes et d’interdépendances. “Beaucoup de couples autour de moi s’enferment à deux. Bien sûr, ils continuent de voir leurs amis et leurs proches, mais acceptent de nombreux compromis auxquels je ne suis pas prête”, ajoute Julie, 29 ans, après avoir eu quelques débuts d’histoires dans lesquelles elle a décidé finalement de ne pas s’engager davantage. “Non pas que l’engagement me fasse peur, bien au contraire. Mais je préfère actuellement être célibataire qu’avec quelqu’un avec qui je ne partage pas mes aspirations à 100%”, précise-t-elle, préférant multiplier les bons moments avec ses amis que “partager un planning avec son copain.”

  
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Mais la poursuite d’une indépendance totale et insoumise n’est pas ce qui anime uniquement nos “single ladies” non-endurcies. “Etre célibataire, c’est un peu comme partir en vacances toute seule : tu vas à ton rythme, en te souciant uniquement de ce qui te fait du bien à toi”, poursuit Julie, 29 ans, soulignant les bienfaits du célibat sur son développement personnel. Apprendre à se connaître, passer du temps avec soi-même, appréhender ses désirs pour mieux s’épanouir : autant de sources intarissables de bien-être qui ont poussé ces femmes à faire du célibat un véritable choix, non subi de surcroît. Mais elles ne sont pas les seules. Selon une étude réalisée par l’application de rencontres Tinder, 74% des 18-25 ans prennent la décision délibérée d’être célibataires. "Aujourd’hui, les jeunes ne subissent plus le célibat. Au contraire, elle.il.s le vivent à fond, en profitant des possibilités qu’il offre. C’est une période où l’on peut découvrir qui l’on est et ce que l’on aime, s’ouvrir à de nouvelles expériences et vivre selon nos propres règles, sans devoir s’en excuser", commente Lennart Schirmer, Directeur Europe de Tinder.

Résultat ? Les femmes célibataires (et sans enfants!) constitueraient le sous-groupe le plus heureux de la population. Mieux encore, elles auraient plus de chances de vivre plus longtemps que les femmes mariées (et avec enfants). C’est du moins la conclusion qu’en a tiré, Paul Dola, professeur en sciences comportementales à la London School Economics et auteur de l’ouvrage Happy Ever After. “Les hommes tirent profit du mariage dans la mesure où ça les “calme”. Ils prennent moins de risques, gagnent plus d’argent au travail et vivent un peu plus longtemps que s’ils étaient restés célibataires. Les femmes, à l’inverse, doivent supporter la situation et meurent plus tôt que si elles n’avaient été jamais mariées”, explique-t-il, précisant que les critères de réussite habituels, comme le mariage ou le fait d’avoir des enfants, ne sont désormais plus pertinents pour mesurer le bonheur. Alors pourquoi tant de mépris pour le célibat s’il est statistiquement meilleur pour notre santé et celle de nos semblables ? 

L'enfer, c'est les autres

Pour l’auteur, ce sont finalement les stigmas négatifs perpétrés autour du célibat, symbole d’échec face à une vie de couple et une parentalité posés en conditions sine qua none d’une vie accomplie, qui contribuent à rendre les célibataires malheureuses. Une conception partagée par Pascal Lardellier, professeur à l’université de Bourgogne, qui confirme combien vivre sans âme soeur est encore, en 2019, largement mal vu et incompris, a fortiori dans un pays où deux tiers des adultes sont en couple**. “Nous sommes dans une société où encore les célibataires sont stigmatisés à certains égards parce que la norme, c’est le couple. Le célibataire est alors soit en quête de (quelque chose) ou il est seul parce qu’il est difficile à supporter, il ne fait pas d’efforts ou parce qu’il est volage”, expliquait-il dans un reportage de France Info*** en avril dernier.

Je ne me définis pas comme célibataire. De la même façon que je n'ai pas l'impression de changer de statut lorsque je suis en couple

“À l’approche de mes 30 ans, je sens que mon statut peut déranger mon entourage. Je me sens souvent jugée. Quand j’exprime mon bonheur, il est souvent perçu comme mensonger. Les gens, souvent car ils ont du mal à passer du temps seuls, estiment que je suis sans doute bien mais que je serais mieux si j’étais en couple…”, confirme Julie. “Là où le fait d'être seule se vit comme une carence, c'est surtout vis-à-vis des autres, de la société. Parce que ce modèle, surtout inculqué aux femmes, selon lequel on a besoin de l’autre pour se sentir entière, pour s’épanouir, est bien ancré dans nos têtes”, abonde Elisabeth. Des clichés qui ont la dent dure donc, d'autant plus qu’ils sont véhiculés par la pop culture.

Sainte Patronne des célibattantes du monde entier, l’incontournable Bridget Jones traîne ainsi pendant trois romans/longs-métrages son célibat tel un boulet dont elle tente - certes avec humour - de se départir, faisant de la quête du mari idéal une épopée tragi-comique dans laquelle sa dignité n’en sort pas toujours indemne. Même intarissable poursuite, parfois désespérée, de la vie de couple dans la mythique série Sex & The City dont chacune des héroïnes terminent finalement mariées et/ou avec enfants. Seul le personnage de Samantha fait figure d’exception, tout en se voyant accoler l’étiquette de “sex addict”, troquant une injonction sociale pour une autre : si célibataire tu es, exceller dans l’art du kamasutra et enchaîner les conquêtes tu devras.

Célibat à la demande

Face à cette tornade de préjugés, la plupart des célibataires interrogées préfèrent prendre alors leurs distances avec cette étiquette qui peut parfois (un peu trop) coller à la peau. “Je ne me définis pas comme célibataire. De la même façon que je n'ai pas l'impression de changer de statut lorsque je suis en couple. Je reste la même personne, avec les mêmes habitudes de vie, ça n'influe pas sur mes projets”, explique Elisabeth, tout en nuançant un tableau qu’elle refuse de présenter comme étant idyllique. “Ce qui manque bien sûr, quand on n'est pas en couple, c'est la tendresse, l'intimité physique, l'échange et l'impression d'avoir un partenaire pour affronter cette vie. On peut trouver bien des choses dans les relations sans lendemain et sur les sites de recontres, mais pas celles-là.” Pour Anna, au contraire, c’est tout l’inverse : les applis de rencontres lui permettent de tirer parti de son célibat, en profitant des joies du couple à la demande. “Quand j’ai un coup de blues le dimanche soir, je me mets sur Tinder, je discute avec quelques personnes, parfois on se rencontre, parfois non… et ça me va très bien comme ça !”

La suite ? “J’espere rencontrer quelqu’un avec qui les questions ne se posent pas. Quelqu’un avec qui on vit un moment, puis deux, puis dix... qui se transforment en années sans s’interdire quoi que ce soit!”, affirme Julie. Célibataire ? Oui. Ad Vitam Eternam ? Pas forcément. Toutes envisagent un jour de rencontrer le “bon” ou la “bonne”, le célibat n’étant en rien une vocation. Encore faut-il rencontrer celui ou celle qui saura se montrer suffisamment convaincant pour les faire sortir de leur bulle de bonheur. “Ce qui est précieux et rare, c’est la vraie connexion intellectuelle mêlée à une passion amoureuse et au feu du désir. Tout ça, dans une seule et même personne ! Si ça arrive, ça vaudrait alors peut-être le coup de se plonger dans une relation”, confie Elisabeth.

Mais en attendant la perle rare, le mot d’ordre est clair, pour Julie, comme pour les autres. “D’ici là, je resterai célibataire et je compte bien en profiter pour m’accomplir par... et pour moi !”

*Ce prénom a été changé / ** Enquête Le Monde / Les décodeurs / Ined / Insee. Février 2018 / *** La stigmatisation des célibataires. France Info. Avril 2019