Après des mois d'ondées printanières, vous aviez fini par vous habituer. Après tout, vous n'alliez pas laisser votre humeur être gouvernée par la météo. Vous aviez toujours trouvé cela déplorable de parler de la pluie et du beau temps comme si aucun autre propos ne méritait votre attention.

Vous aviez même fini par vous convaincre que les chaussures mouillées, l'odeur d'humidité sur les paliers et les flaques sur les trottoirs n'étaient qu'une donnée secondaire, une acceptation nécessaire qui n'avait aucune incidence sur votre personne.

Une effervescence s'empare de nous

L'autopersuasion avait si bien fonctionné que votre ciré trônait encore majestueusement dans l'entrée. Puis, sans prévenir, quelques rayons de soleil sont enfin venus éclairer la saison.

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Et alors que vous étiez certaine d'être hermétique à tout cela, soudain dans l'air quelque chose se transforma, quelque chose de si puissant que votre corps et votre esprit n'ont eu d'autre choix que de répondre à cette urgence, à cette effervescence, s'emparant de vous, comme si vous étiez envahie par une irrépressible envie d'été, subjuguée par sa légèreté.

Est-ce possible d'être ainsi happée ? Votre personnalité ne repose-t-elle que sur des variations de baromètre ? N'est-ce pas plutôt que l'été convoque un imaginaire collectif auquel il est difficile de résister ?

Car au fond, cette joie à l'égard de la lumière est sans doute moins superficielle qu'il n'y paraît. Quelles que soient les cultures, des Mayas jusqu'aux Celtes, en passant par les guinguettes des bords de Marne du 19e siècle, ce que le retour du soleil change, ce sont les possibles qui s'ouvrent à nous.

Le symbole des rayons de soleil

Ce que ces rayons symbolisent, c'est une forme de richesse qui nous remplit, qui nous réchauffe, qui fait fructifier ce qui était tenu au plus profond et qui est désormais prêt à se déployer. Mais plus poétiquement encore, ce que le soleil nous offre, ce sont les souvenirs qu'il rapporte à nos cœurs.

Mais plus poétiquement encore, ce que le soleil nous offre, ce sont les souvenirs qu'il rapporte à nos cœurs.

Les yeux éblouis, les visages tournés vers le ciel, les heures qui s'étirent, les cheveux dorés, les pauses déjeuner dans les parcs, les verres en terrasse, les pieds dans l'herbe nue, les taches de rousseur, le chant des oiseaux à l'aube, les diabolos menthe, les pas qu'on allonge en sortant du métro, le rose de l'horizon, les enfants sur les toboggans, la fraîcheur du soir qui ne glace plus les sangs et surtout l'envie d'autre chose que de notre lit.

L'envie de l'autre. L'envie du bruit. L'envie des doigts couverts de crème solaire et des siestes sous le parasol. Il y a dans les mémoires estivales un immuable qui nous relie. Le goût des éternels recommencements.

Le monde n'est pas moins violent ni moins sauvage qu'à l'automne, mais l'été autorise le répit et les ivresses savoureuses où le seul désir nous guide. Il contient suffisamment d'insouciance pour nous laisser croire que l'hiver n'est qu'une lointaine chimère. Alors, un instant au moins, profitons-en, sans cynisme, sans méfiance, profitons de ces palpitations.

Et comme l'écrit si joliment André Gide : "L'été s'impose et contraint toute âme au bonheur."

N'ayons pas honte de plonger dans ces rayons !

(*) Une année de philosophie, Éditions J'ai lu.

Cet article a initialement été publié dans le numéro 863 de Marie Claire daté d'août 2024.