On tombe amoureux depuis la nuit des temps et tout ça ne se résume pas qu’à un sentiment. Papillons dans le ventre, pupilles qui se dilatent, jambes qui flanchent… Tant de petits symptômes qui font qu’on pourrait presque parler d’une maladie d’amour.
Mais s’il semblerait que l’amour ait un réel impact sur notre organisme, il conviendrait de comprendre comment cela se produit et si nous sommes tous égaux face aux manifestations physiques et psychiques du sentiment amoureux.
Réponses avec trois experts en la matière : Bernard Sablonnière*, neurobiologiste, Véronique Kohn, psychologue spécialiste des relations amoureuses et Raphaël Blareau**, professeur de chimie.
Le pouvoir de la chimie amoureuse
“Généralement, on pense qu’on tombe amoureux d’une personne, mais on tombe surtout en amour de cet état, tant la chimie amoureuse est puissante”, commence Véronique Kohn, psychologue spécialiste des relations amoureuses.
En effet, l’amour relève de la chimie. Raphaël Blareau, professeur de chimie et créateur de vidéos, explique que lorsque l’on observe le cerveau d’une personne amoureuse grâce aux techniques d’imagerie cérébrale, on note l’activation de nombreuses zones.
“Dans le cerveau amoureux, l’hypothalamus va être fortement mis à contribution, c’est lui qui va servir d’usine de production pour des petits messagers chimiques appelés neurotransmetteurs, en l’occurrence les endorphines, la dopamine, l’ocytocine, la vasopressine. L’insula est aussi très impliquée, notamment lorsque l’on est assailli par les émotions fortes, tout comme l’hippocampe qui intervient dans la consolidation de la mémoire”, énumère-t-il.
Pour Bernard Sablonnière, neurobiologiste, on peut comparer l’attirance envers quelqu’un à l’envie d’un morceau de chocolat. “On passe par le même circuit désir-plaisir. Ici, la dopamine entre en jeu et une phase de stress s’installe, comme nous ne sommes pas assurés de plaire. C’est un moment où nos sens sont aiguisés et où on devient plus réceptif, plus sensible à l’odeur de l’autre par exemple”, explicite l’expert.
Si la personne face à vous répond avec des signaux - comme un regard appuyé ou un sourire en retour - le cerveau a sa récompense. Multipliée et prolongée, cette réponse donne lieu à la rencontre amoureuse.
L’amour rend vraiment aveugle
À l’inverse, certaines zones du cerveau sont “désactivées” quand on tombe amoureux, explique Raphaël Blareau. Parmi elles, le cortex préfrontal, particulièrement impliqué dans la prise de décision.
“Cela explique que lorsque l'on est amoureux, de manière similaire à une situation d’ivresse, on va faire des choix complètement irrationnels”, rapporte le professeur de chimie.
Le stress se répercute sur tout notre corps, dont notre système digestif, qui va voir les muscles de l’estomac se contracter et créer cette sensation de papillons dans le ventre.
L’amygdale cérébrale- à l’origine de la peur et la reconnaissance du danger - se retrouve aussi inhibée. “On ne voit pas les défauts de l’être aimé, ce qui est favorable à la formation du couple. On finira bien sûr par les voir un peu plus tard, lorsque cette partie du cerveau se réactivera, mais pour un temps, notre cerveau est donc bien aveuglé”, continue-t-il.
Une “idéalisation projective qui narcissise l’autre”, selon Véronique Kohn.
Pupilles dilatées, papillons dans le ventre : les signes de l'amour
Notre cerveau s’adapte donc au sentiment amoureux, quid de notre corps, des papillons et autres battements fous du cœur ?
“Les pupilles qui se dilatent c’est un fait, mais on ne les voit quasiment pas, donc l’autre ne peut pas s’y fier”, déconstruit Bernard Sablonnière, neurobiologiste. Par contre, le spécialiste confie que la dopamine peut contrôler certains muscles du visage, “l’écran de l’attraction”, pour le rendre plus charmeur.
De même, ce dernier peut vite se teinter de rose, quand l’être aimé est près. Ici, il est aussi question d’hormone sécrétée, cette fois-ci celle du stress, l’adrénaline, qui vient dilater les vaisseaux sanguins du visage et faire rougir nos joues.
Vous souvenez-vous de ce que vous avez mangé il y a quatre jours à midi ? Par contre, vous vous souvenez très probablement de votre premier baiser.
Un stress qui, même s’il est positif, a d’autres effets sur notre corps, quand nous appréhendons la réponse amoureuse. “Les jambes qui flageolent, l’augmentation du rythme cardiaque, la transpiration” résultent tous de ce stress selon Véronique Kohn.
Autre effet secondaire de la rencontre amoureuse et pas des moindres : les papillons dans le ventre. Comme l’explique Bernard Sablonnière, cette sensation grisante est le résultat de la communication entre nos deux cerveaux : celui situé dans notre tête et celui présent dans notre estomac. Le stress se répercute sur tout notre corps, dont notre système digestif, qui va voir les muscles de l’estomac se contracter et créer ces petits fourmillements familiers.
Et tous ces effets secondaires vont même jusqu’à envahir notre mémoire ! “La noradrénaline se lie à ses récepteurs dans l’amygdale et dans l’hippocampe, ce qui produirait un effet sur la mémoire. Cela expliquerait qu’on garde un souvenir particulièrement précis et solide des moments où nous ressentons des émotions fortes. Vous souvenez-vous de ce que vous avez mangé il y a quatre jours à midi ? Par contre, vous vous souvenez très probablement de votre premier baiser”, éclaire Raphaël Blareau, professeur de chimie.
Une personnalité chamboulée
Tous ces symptômes, qu’ils soient visibles ou non, vont aussi changer notre perception des choses, une sensation d’euphorie s’emparant de nous. “Notre cerveau produit alors un niveau élevé d’endorphines. Endorphine signifie endomorphine, une morphine endogène, donc fabriquée directement par le sujet amoureux”, explicite Raphaël Blareau.
Excité et euphorique, nous allons alors tenter de séduire la personne. “On va franchir le pas grâce à la dopamine, qui aide au passage à l’acte. En revanche, dans une phase d’amour incontrôlable, on a tendance à manquer de modération dans nos pensées et nos actes. Cela tient au fait que la sérotonine, hormone de la sérénité et de la modération, risque de manquer. Le cerveau a en quelque sorte oublié de diluer son cocktail chimique !”, vulgarise l’expert.
Telle une pédale de frein, la sérotonine permet, en temps normal “de réguler notre sommeil, notre humeur, notre facilité à gérer des émotions fortes, notre agressivité et a aussi la faculté de limiter les effets de la dopamine”, précise le professeur.
Ce cocktail chimique est qualifié de “shoot hypnotique” par notre psychologue, Véronique Kohn. “On est dans un état d’esprit où on pense ‘grâce à lui/elle, je pourrai déplacer des montagnes’, nos petits tracas du quotidien sont atténués par la rencontre amoureuse qui anesthésie presque tout pour que l’on puisse focaliser notre énergie sur la personne et sur la relation”.
L’amour chez les autres
Si tous ces changements se produisent dans notre corps, sont-ils perceptibles chez l’autre ? Et surtout, réagissons-nous tous de la même manière face au sentiment amoureux ?
“Quand l’autre est intéressé, ça se voit. Il nous regarde plus précisément, il nous sourit, il y a une présence physique particulière, mais ce n’est pas évident à décoder, surtout quand la personne a été blessée par le passé et va éviter de trop en montrer”, souligne Véronique Kohn.
Amoureux(se), on devient compulsif comme, accro à une drogue, les freins du cerveau ne fonctionnent plus et où on est dans un état d’alerte permanent.
En effet, nous ne sommes pas tous égaux face à la chimie amoureuse. “Nos freins et nos accélérateurs ne sont pas tous les mêmes car génétiquement, nous sommes tous différents. Quand on prend l’exemple de la nourriture, certaines personnes ont tendance à se resservir et d’autres non. Tout ça passe par le même circuit puisque nous sommes sur des besoins de base”, expose le neurobiologiste Bernard Sablonnière.
Tout cela n’a donc rien d’universel et ce n’est pas qu’une question de gènes, parfois, le parcours de vie et les traumatismes sous-jacents entrent en jeu. “Le sentiment amoureux ne se résume pas à la chimie et la neurobiologie”, rappelle Raphaël Blareau. “C'est aussi pour cela que l'amour demeure toujours aussi mystérieux”, ajoute-t-il.
L’évolution du cerveau amoureux
Si de l’attraction à la concrétisation, le cerveau est embué et le corps perturbé, les effets secondaires évoluent au fil de la relation.
Dans la phase de désir, quand la dopamine vient éteindre le stress, une certaine addiction se présente. “On devient compulsif comme quand on est accro à une drogue, c’est le moment où les freins du cerveau ne fonctionnent plus et où on est dans un état d’alerte permanent”, prévient Bernard Sablonnière. Il précise que si cet état s’installe - c’est-à-dire que l’un des deux émets un désir auquel l’autre répond et vice-versa - on arrive dans une phase d’“amour personnel” qui apparaît, selon notre expert, entre deux et trois ans après la “phase passionnelle”.
“A ce moment-là, l’ocytocine est libérée, c’est une hormone qui facilite l’attachement”, résume le neurobiologiste. Appelée, l’hormone de l’amour, l’ocytocine est pourtant loin de se limiter à ça : “elle n’appartient pas qu’aux relations amoureuses mais intervient dans toutes les interactions sociales, éclaire Raphaël Blareau, elle désactive l’amygdale cérébrale impliquée dans la peur et la détection du danger, ce qui offre un terrain plus propice à la confiance en l’autre”.
On croit qu’on a le contrôle, on se dit qu’on décide de tomber amoureux ou pas, mais la vérité est qu'on ne décide de rien.
Selon le professeur de chimie, pour qui elle est, “le ciment de la relation durable”, l’ocytocine augmente aussi la sensibilité à l’attitude de l’autre et la compassion. Attention, ce schéma n’est encore une fois pas universel. “Certains sont parfois juste là pour la passion et quand elle s’arrête après deux ans, ils partent à cause de ces freins volontaires”, prévient Bernard Sablonnière.
Ainsi, qu’il dure trois mois ou trente ans, l’amour, s’il n’a pas les mêmes effets secondaires sur tous, reste responsable de nombreux bouleversements dans notre corps et dans notre esprit, que nous le voulions ou non. “On croit qu’on a le contrôle, on se dit qu’on décide de tomber amoureux ou pas, mais la vérité est qu'on ne décide de rien”, sourit Véronique Kohn.
*Bernard Sablonnière est l'auteur de "La chimie des sentiments" (Odile Jacob, 2015)
**Raphaël Blareau est à l’origine du court-métrage “Quelle chimie dans l’amour”