Dans le couloir du lycée de leurs rejetons, "la maman d'Augustin*" glisse à une mère d'élève, qui dépérit dans son couple, de prendre un amant : à elle, ça lui "a sauvé la vie".

Iris, dentiste bien installée et deux filles qui grandissent, a la libido en vrac. Le soir, dans le lit conjugal, pendant que son mari a les yeux rivés sur son ordinateur, elle déprime et lit La Femme gelée (Éd. Gallimard) d'Annie Ernaux.

Dans Iris et les hommes, film sur les écrans depuis début janvier, Laure Calamy incarne une quadra un peu coincée qui décide de partir à la conquête de son désir et de son plaisir en s'inscrivant sur les applis de rencontre. Comme le lui avait prédit son premier amant, plus avancé qu'elle sur ce chemin, une fois que l'on y a goûté "on ne peut pas revenir en arrière" car, au bout, "la plus grande découverte, c'est soi". D'abord pétrifiée, Iris s'enhardit. De "date" en "date", elle qui "avait l'impression d'être morte" (re)découvre, bouleversée, les délices de la sexualité.

Cette comédie revigorante met le doigt sur le désir féminin englouti par la vie de couple, la naissance des enfants, leur éducation, la gestion du quotidien, le boulot, le désamour...

Au bout de dix, vingt, trente ans, de nombreuses femmes se réveillent en se demandant où il est passé et ne se résignent pas à faire une croix dessus. Qu'elles quittent alors leur compagnon ou restent en s'offrant des aventures extraconjugales, via les applis qui facilitent les rencontres ou "à l'ancienne" sans intermédiaire, elles prennent à bras-le-corps cette crise de milieu de vie. Cette génération revendique sa part de plaisirs charnels, osant de plus en plus son "printemps sexuel".

Rallumer son désir avec un autre

Avec son compagnon, "bon amant en plus", Marion** avait quasiment un orgasme à chaque fois "mais l'initiative ne venait jamais" d'elle, elle n'avait "jamais envie". Faire l'amour passait après "tout le reste" : son fils, ses amies, son boulot, la lecture, etc. À 47 ans, elle se disait que le sexe n'était pas pour elle, tant pis, et en plus cela n'allait pas aller en s'arrangeant avec les années.

Et puis, elle qui n'avait jamais regardé un autre homme depuis vingt ans qu'elle était avec le sien, s'est laissé tenter : "Je me suis rendu compte que je n'étais pas du tout morte sur ce plan-là, j'ai follement envie de faire l'amour et je me suis découvert une passion pour rouler des pelles alors que ça me dégoûtait", constate-t-elle étonnée de cette disposition qui ne s'essouffle pas depuis plus d'un an.

J'ai réveillé une bête qui dormait en moi, ça m'a explosé à la gueule et ça m'a bouleversée.

Cécile*, deux enfants, dix-sept ans de vie de couple "avec un mec pourtant génial", avait l'impression d'être devenue "une coquille vide". Elle a donc commencé par une petite incartade avec un collègue juste pour "vérifier" où elle en était.

Elle cherchait un truc léger, sans conséquence : "En fait, j'ai réveillé une bête qui dormait en moi, ça m'a explosé à la gueule et ça m'a bouleversée." 

Le désir féminin s'étiole plus vite

Sur le long terme, le désir féminin s'étiole plus vite que celui des hommes, plus stable. "Les femmes s'ennuient assez vite parce que l'hétérosexualité demeure dominée par ce stéréotype que le rapport sexuel s'arrête avec l'éjaculation. Au secours ! déplore Catherine Grangeard, psychanalyste et autrice d'Il n'y a pas d'âge pour jouir (Éd. Larousse). Beaucoup de femmes disent que ça ne leur suffit pas."

La sexualité du couple rime encore souvent avec appauvrissement au fil des ans, ajoute-t-elle : "Au début d'une relation, les hommes pratiquent des cunnilingus, octroient ce “petit plaisir”, puis de moins en moins alors que les femmes, elles, continuent de faire des fellations."

Jadis, elles finissaient par s'ennuyer tout autant que celles d'aujourd'hui, mais le carcan moral imposait qu'elles s'en accommodassent. "Nous vivons de plus en plus longtemps et, de plus en plus, nous avons une deuxième vie dans tous les domaines, constate la thérapeute. Il n'est donc pas étonnant que cette énergie de vie qu'est la libido redevienne sexuelle." La société et l'institution familiale l'empêchent moins de se déployer. Pour autant, il y a encore du chemin à parcourir.

Une libido asymétrique qui perturbe l'équilibre du couple

D'autant que les enfants et la vie domestique désérotisent le couple. "Partager les chaussettes sales et le lave-vaisselle a annihilé ma libido", déclare Marion. "Le désir peut se déliter aux dépens du maternel qui occupe alors tout l'espace, rappelle Danièle Flaumenbaum, autrice du best-seller Femme désirée, femme désirante (Ed. Payot) et d'Accord et à cœur, une sexualité pour soi et pour l'autre (Ed. Payot). Cette gynécologue à la retraite, qui anime des ateliers sur la sexualité, rappelle comment nos inconscients sont rattrapés par "cette interdiction de jouir sous le toit familial, qui a connu son apothéose au XIXe siècle" et dont la mémoire "est colportée de génération en génération".

Quand il y a un déséquilibre entre les partenaires, la frustration surgit, généralement chez l'homme. "Quand je n'accédais pas à son désir, mon ex-mari pouvait devenir méchant, se souvient Maud*, séparée depuis deux ans. En discutant, j'ai pris conscience que cette version de la pression du devoir conjugal était encore très présente."

Marion précise aussi qu'elle s'y mettait "de temps en temps pour (s')acheter de la tranquillité".

Dans Pas envie ce soir (Éd. Les Liens qui libèrent), Jean-Claude Kaufmann a décortiqué cette asymétrie du désir, si fréquente dans les couples, qui conduit à des arrangements plus ou moins contraignants.

Partir ou tromper

C'est à ces relations sexuelles au rabais que ces femmes ont dit non, qu'elles prennent un amant ou rompent. Cécile, qui a redécouvert désir et plaisir avec un collègue et n'a pas l'intention de se séparer de son mari, a repris goût au sexe. Ensuite, elle a recontacté un vieil ex en sachant "qu'il serait dispo pour s'envoyer en l'air l'après-midi et, effectivement, c'était très bien, le cul pour le cul, exactement ce que je cherchais".

Lors de sa première infidélité, la culpabilité avait été très forte. Celle-ci a disparu : "Vibrer pour soi, je dirais que je me le dois. Le prochain qui me plaît, j'irai aussi." Comme elle dit, "la boîte de Pandore est ouverte". Cécile laisse faire les hasards de la vie, elle ne passe pas par Internet.

Dès la fin de ses études, à 23 ans, Rachel* s'est mise en couple avec Nicolas*, un copain de fac. Il serait le père de ses enfants et ils resteraient ensemble toute leur vie. "Ce modèle classique était une évidence, j'ai foncé, reconnaît-elle aujourd'hui... Et c'est moi qui l'ai fait exploser."

J'ai découvert que la sexualité n'était pas mécanique mais qu'elle reposait sur une connaissance et une confiance en soi pour montrer à l'autre vers où on a envie d'aller.

La quarantenaire fait d'ailleurs son "mea-culpa" concernant l'absence de communication qui a miné leur vie sexuelle : "Je me contentais de dire que je n'avais pas envie et lui se braquait. J'étais persuadée que le problème venait de moi, alors je n'en parlais pas." Après sa rupture, elle s'inscrit sur Tinder dans l'idée de se "recaser le plus vite possible". Mais c'est son plaisir à elle qu'elle croise : "Je me suis mise à enchaîner les rencontres. Clairement, j'étais en surchauffe."

Les réseaux sociaux lui permettent une éducation à la sexualité en accéléré. Rencontre après rencontre, la jeune femme ressent de plus en plus de plaisir, "un truc s'est débloqué" : "J'ai découvert que la sexualité n'était pas mécanique mais qu'elle reposait sur une connaissance et une confiance en soi pour montrer à l'autre vers où on a envie d'aller." Rachel se dit "très sereine aujourd'hui" avec son rapport à la sexualité et a rencontré un homme dont elle est amoureuse : "Sincèrement, sans les applis, je n'aurais jamais pu faire tout ce cheminement."

La grande revanche du plaisir féminin

"Ces élans de vie sont à honorer. C'est comme si ces femmes osaient une liberté et prenaient une revanche pour toutes les femmes de leur famille qui n'ont pas pu vivre la leur", précise Danièle Flaumenbaum.

Mais à 80 ans, elle, qui a un amant et ne verrait pas d'inconvénient à en avoir plusieurs, met en garde : "Attention de ne pas se rebrancher avec le premier venu, au risque de répéter la même chose qu'avec le précédent."

Une fois passée l'excitation des premiers ébats, "savoir vivre sa sexualité de l'intérieur, cette alchimie des corps, c'est beaucoup de boulot et de communication".

Ce bémol ravit Sarah*, 43 ans, qui vient de se séparer et qui a longtemps cru pouvoir être heureuse malgré des rapports sexuels plombants : "Cela veut dire qu'en tant que femmes nous avons encore plein de trucs à apprendre, une vie formidable nous attend !"

*"Iris et les hommes" De Caroline Vignal, avec aussi Vincent Elbaz... En salle.
** Les prénoms ont été changés.

Article publié dans le magazine Marie Claire n°857, daté février 2024 - paru en janvier 2024