Passée la phase amoureuse, retombé l'état de grâce du couple, on n'a pas forcément envie de tout envoyer bouler pour autant. Cet édifice branlant qu'est notre couple et/ou notre petite famille, on ne va pas le laisser s'écrouler comme un château de cartes. Ce partenaire à nos côtés, on y est "attachée", au sens le plus noble du terme. Une insatisfaction rôde mais on ne va pas la laisser, impassible, accomplir son travail de sape. La petite anicroche au contrat, l'"extra" conjugal sans lendemain, pourquoi pas ? Si cela permet de ranimer la flamme, la nôtre d'abord, celle du couple avec. Si ça nous permet de combler les manques sans tout demander au même...
"Parfois, il est nécessaire de prendre un amant pour sauver son couple", résume Teddy Truchot, qui a fait de ce credo un vrai succès commercial. Son site Gleeden, apparu en décembre 2010 sur le Net, s'est spécialisé dans les rencontres adultères. Sur 3 000 nouveaux adhérents par mois, des hommes et des femmes à qui l'on propose de "ranimer les moments évanouis de découverte, de flirt, et de séduction ", des rencontres éphémères, sans ambiguïté.
Un couple qui s'effondre est un couple qui s'émiettait depuis longtemps.
Comme si l'on pouvait se protéger de l'amour... Car c'est bien là que le danger rôde. Une liaison légère, sans promesse ni espoir de lendemain, peut bien apporter une respiration dans un couple qui s'essouffle, mais comment être sûre que ladite histoire légère va le rester et ne va pas, au contraire, tout emporter dans son sillage ? On voit bien, dans les témoignages qui suivent, comment certaines se débattent avec leurs sentiments et jonglent avec le feu, tentant de contrôler l'incontrôlable. Pour combien de temps ? Elles se le demandent toutes. Bien conscientes souvent qu'au fond, leur couple a peu d'espoir de survie. A qui la faute ? Sans doute pas à elles. Non plus qu'à leur échappée belle. Car si l'infidélité a peu de chances de sauver un couple défaillant, elle n'a sans doute pas plus le pouvoir de le faire couler. Un couple qui s'effondre est un couple qui s'émiettait depuis longtemps.
L'infidélité, c'est juste le symptôme, la fêlure par où tout peut s'immiscer. Si elle permet à certains de sortir d'un grand sommeil et de trouver un second souffle, tant mieux. Pour beaucoup, elle aide surtout à ralentir le processus d'érosion, retarder l'échéance. Son grand mérite, c'est en fait de mettre le couple en question, de tester sa résistance. Et à défaut de le sauver, de nous aider à nous sauver nous, de l'enfermement.
Magali, 55 ans : "Avoir un amant maintient l'équilibre fragile de ma famille"
"Je vous la fais courte : je suis mariée, j'ai trois enfants, et un amant, qui a une femme et trois enfants. J'ai toujours su que je jouais avec le feu en le fréquentant (en fait, c'est le mari d'une de mes amies). La première fois qu'on s'est embrassés, j'ai compris que j'allais me brûler à ce désir, mais on s'est persuadés qu'il n'y aurait que ça : le désir, pas l'amour. Parce que ni lui ni moi n'avions envie de mettre nos vies en danger. Pas envie de faire souffrir nos conjoints et nos enfants. D'ailleurs, cette peur existe toujours, et dès que les sentiments nous débordent, on prend de la distance. C'est difficile, parfois, car il y a cette attirance, cette entente, qu'on aimerait vivre pleinement. Et c'est facile, pour les mêmes raisons : cette retenue est un gage de durée.
J'ai fini par l'admettre : j'aime cet homme. Le jour où je l'ai admis, j'ai dû reconnaître aussi que ce que j'éprouvais pour mon mari n'était plus du même ordre. Est-ce malhonnête pour autant de rester dans cette situation ? J'ai trop peur de tout perdre en voulant la clarifier : la confiance de mon mari, le respect de mes enfants, mon amant, mon amie. L'équilibre de ma vie tient sur un déséquilibre permanent. J'ai des moments de culpabilité terrible. Et des instants, rares mais fulgurants, de joie totale."
Annabelle, 47 ans : "J'ai des amants depuis deux ans"
"J'ai épousé, il y a quinze ans, un homme beaucoup plus âgé que moi, qui a aujourd'hui 65 ans. Quand il me prend dans ses bras, j'ai le sentiment qu'il ne peut rien m'arriver. C'est un père formidable pour notre fils. Le revers de la médaille, c'est que depuis trois ans, il n'a plus aucune libido alors que le sexe était un ciment fort entre nous. Nous faisons peu l'amour et j'ai l'impression désagréable qu'il fait un effort pour me faire plaisir. Pas question que je le quitte car je l'aime profondément. Mais pour maintenir l'équilibre de notre couple, et être en phase avec mes envies, j'ai des amants depuis deux ans. Ce sont toujours des histoires de plusieurs mois. Le plus récent est un homme jeune, un peu looser, très beau et amant hors du commun. Il me fait vibrer, c'est tout ce que je lui demande. Je ne m'implique pas dans sa vie.
J'ai failli craquer l'an dernier pour un autre, drôle, cultivé, beau. Quand il m'a demandé de partir en vacances avec lui, j'ai paniqué. Et j'ai rompu. J'ai vécu un vrai chagrin d'amour, seule, car je n'en parle à personne, je ne veux pas installer mon mari dans le rôle du cocu. Depuis, ma règle c'est de ne jamais passer une nuit entière hors de chez moi. Je suis une maîtresse quand je franchis la porte d'un amant et redeviens l'épouse dès que je sors. Au moindre danger, je fuis. Je pense que mon mari n'est pas dupe. J'imagine qu'il sait que mes amants sont une partie de mon équilibre, et il le respecte."
Valérie, 43 ans : "Préserver l'équilibre précaire de ma famille"
"C'est ma mère qui a mis le feu aux poudres. J'avais quitté ma famille à 20 ans, pour un homme brillant dont j'étais folle amoureuse, et que j'avais suivi à l'étranger... Quinze ans plus tard, mariée, deux enfants, j'avais une vie douce, mais quelque chose en moi s'était éteint. Mon mari était plus passionné par son boulot et ses voyages que par notre vie amoureuse. Nous faisions de moins en moins l'amour et ça ne me manquait pas. Mais nous avions un vrai moteur commun : notre famille. Le jour où ma mère m'a coincée pour savoir 'ce qui clochait', ça m'a fait un électrochoc. Elle trouvait que pour une femme de 35 ans, j'étais toute grise. Elle m'a mise devant le miroir : 'Regarde-toi, tu es belle, relève la tête, fais-toi des amis, sors...'
Dès son départ, j'appelais une copine qui sortait beaucoup. Dès notre première virée nocturne, j'ai pu constater que ma mère avait raison. Oui je pouvais encore plaire, oui la femme en moi existait encore. Au bout de quelques escapades, je faisais une vraie rencontre. Un truc torride. Très vite j'ai pris goût à cette double vie : femme dans les bras de mon amant, mère et épouse à la maison. Tout le monde y trouvait son compte car j'avais retrouvé sourire et joie de vivre. Sauf que lui était célibataire, qu'il en voulait plus, et que je tombais amoureuse. Et là le cauchemar a commencé...
Par chance, la vie a voulu que nous repartions à Paris, et que je renonce à mon amour clandestin. Un vrai deuil. Mais j'ai repris ici ma vie dissolue. Mon but c'est de préserver l'équilibre précaire de ma famille, pas de tout faire exploser ! Pour le moment, ma solution, c'est primo : de repérer les hommes mariés avec qui on ne parle pas d'amour, ni d'avenir. Deuxio : de multiplier les relations, ne pas s'attacher dès que les corps se plaisent. Pas facile. Mais un seul amant, c'est dangereux, dès qu'il y en a au moins deux, le ton est plus ludique. On perd moins les pédales. Pour le moment, je m'en sors comme ça, sans culpabilité. Le temps que ça dure... "
Avoir un amant ne résout pas les problèmes du couple
L'avis de l'expert : Philippe Brenot est psychiatre, thérapeute de couple, sexologue
Marie Claire : L'infidélité est-elle une réalité fréquente ?
Philippe Brenot1: Le terme d'infidélité me gêne. Comme celui d'adultère. Ces vieux concepts de doubles vies sur la durée ne correspondent plus tellement à ce qu'on vit aujourd'hui. Ce qui est de plus en plus fréquent, ce sont les "relations extérieures" : des tentatives d'équilibrage du couple quand il y a de l'incompréhension ou surtout une insatisfaction sexuelle. Ce genre de relations a en général une issue dans les six mois. Soit un nouveau couple se forme, soit chacun revient dans son couple.
Dans cette seconde hypothèse, le couple initial est "sauvé", du moins remis en question, repensé...
Je ne crois pas. La remise en question est personnelle, et les problèmes ne tardent pas à réapparaître... En fait, ce couple en difficulté n'en a pas parlé. Dommage car beaucoup de problèmes sont solubles si on en parle rapidement, pourquoi pas avec un vrai coach, qui en deux ou trois consultations, peut permettre au couple d'évoluer.
Quel est le schéma que vous croisez le plus souvent ?
Mes patientes n'emploient pas le mot "infidélité", parfois elles mettent longtemps à "craquer". Au départ, c'est juste pour une fois, pour vérifier si on est "normal(e)"... Mais cette expérience a parfois des suites. Alors qu'elles cherchaient à se rassurer, certaines rencontrent ce qu'elles n'ont jamais connu : "On a fait l'amour une fois et ça m'a transformée." Même croyant avoir choisi un homme dont elles n'ont rien à faire, beaucoup sont stupéfaites. "Je n'ai jamais été aussi bien", me disait l'une d'elles qui passait juste, à l'origine, des "moments amoureux" avec un homme attentionné... Dans ce cas pourquoi rester avec son mari ?
L'infidélité a donc peu de chances de sauver un couple...
Ce n'est pas une solution en soi. Ça fragilise. Le plus souvent, le couple s'éloigne. Même celle qui revient car elle est toujours amoureuse de son mari peut dire : "Je ne peux plus m'empêcher de comparer..." C'est trop compliqué, la relation extérieure. Quand on est assez construit, on peut peut-être y apprendre des choses sur soi. Parfois cela peut apporter un regain de désir. Mais c'est rare. Dans la plupart des cas, cela crée surtout beaucoup de difficultés en plus. La remise en cause claire du couple est préférable.
Les prénoms ont été modifiés
1Psychiatre, psychothérapeute de couples, auteur de « Le Sexe et l'amour », éd. Odile Jacob.