"Je n’aurais jamais pu rentrer dans un sexshop pour demander conseil, ça c’est sûr. Déjà, je ne suis pas sûre que j'y trouverais quelque chose. Là, je n’ai aucun problème à aller dans le magasin pour me faire recommander un nouveau toy par une vendeuse", sourit Anne, 27 ans. 

Le magasin dont parle la jeune femme est en fait un "lovestore", qui s’est installé, il y a quelques années, dans l’un de ses quartiers favoris de Paris. 

Concurrençant directement le sexshop - généralement cantonné à des rues désertes ou à des quartiers bien précis -, seule option s'offrant aux curieux.ses et qui n'était généralement visité que "pour rire" ou en se faisant le/la plus discrèt.e possible, visiter un lovestore, est aujourd’hui (presque) aussi banal que de pousser la porte d’un Sephora. 

Une nouvelle habitude qui se repère dans nos environnements. La plupart du temps installés pour être dissimulés, les sexshops sont aujourd’hui en voie de disparition - depuis 2000, le nombre de commerces liés au sexe a chuté de 60% rue Saint-Denis à Paris (connue comme le haut-lieu du marché du sexe dans la capitale), informait Le Monde en 2018 - tandis que la seule chaîne de lovestore française - Passage du Désir - compte aujourd’hui 17 enseignes dans tout l’Hexagone. 

Le sexshop, un mélange incohérent entre pornographie et érotisme

Ainsi, ce sont des textures feutrées, colorées de violet profond et de rose fushia qui remplacent désormais les enseignes aveuglantes faites de néons et les allées sombres. À l’origine de ce concept plus "cocon", Patrick Pruvot, directeur de Passage du Désir, premier lovestore de France (le concept et le nom ont été déposés par la marque dès 2006). 

"Tout commence au début des années 2000. J’ai divorcé et je me suis retrouvé dans l’urgence à habiter rue Saint-Denis à Paris, au-dessus de deux sexshops. Je n’étais pas spécialement intéressé par cet univers que je trouvais un peu glauque", commence-t-il. 

Cependant, en sympathisant que les gérants, l’homme se rend compte que le concept même du sexshop n’est pas clair. "Il mélange deux choses antinomiques : la pornographie et l’érotisme. Venant du secteur de la publicité, je trouvais ça aberrant. C’est un peu comme vendre des balançoires et des cercueils au même endroit", caricature le gérant. 

Son idée alors ? Scinder la pornographie de l’érotisme. 

Mixer amour et concept store pour se détacher du sexe

Alors voilà qu’en 2007, à l'heure où les seuls sextoys identifiés ne sont encore que les canards vibrants et les rabbits que l’on a pu apercevoir dans Sex and The City, le premier lovestore ouvre en France. 

"Pour le nom, on a choisi de mixer l'amour au concept store, bien plus ouvert que le shop qui nous fait penser à quelque chose de fermé, de caché... L'idée, c'était de démocratiser le plaisir, de montrer qu'il n'y avait rien de sale ou d'honteux et que tout n'était pas lié au sexe". 

Aujourd'hui, le lovestore se définit plus comme "une boutique de cadeaux pour les grands" ou le "Nature et Découvertes de l’amour", même si Patrick Pruvot reconnaît que "le marché est quand même plus tiré par le coquin que par le romantique". 

Des magasins de bien-être sexuel qui aident à lever le tabou

"C'est vrai que je peux aller facilement acheter un cadeau détente, comme un cadeau sexo", répond Lola*, 26 ans. "C'est par le biais d'une lovestore que j'ai eu mon premier sextoy quand je suis arrivée dans une grande ville pour mes études. Ça m'a bien aidé d'avoir quelqu'un à qui parler directement, parce qu'en ligne ce n'est pas toujours simple", témoigne la jeune femme. 

Pour Patrick Pruvot, qui admet que la concurrence en ligne s'est développée ces dernières années - avec de plus en plus de sites Internet reprenant l'étiquette du lovestore - c'est là toute la force du magasin de bien-être sexuel en physique. 

"On n’a pas forcément lutté contre la réutilisation du terme, car ça fait qu’on utilise plus le terme sexshop et c'est tant mieux. Mais le magasin est gage de qualité, on sait ce qu’on achète, on vient demander conseil… Ça vient remplir un vide. Et l'emplacement joue beaucoup à lever les tabous, on a le droit de faire partie du paysage, comme toute autre enseigne". 

Et Anne plussoie. "Le fait de ne pas avoir à se déplacer dans un quartier qui craint, c'est aussi ce qui fait qu'on n'a pas honte de s'y rendre", parlant d'un environnement "bienveillant et inclusif"

Le plaisir féminin, grand oublié des sexshops

Pour Lola, le lovestore est aussi un outil qui aide les femmes à se réapproprier leur sexualité. "Je ne suis jamais allée dans un sexshop, mais on imagine les sexmachines, les poupées gonfables, les DVDs où la femme est souvent soumise, rabaissée... Dans un lovestore, on questionne beaucoup plus le plaisir féminin, il y a des choses pour nous et pas pour qu'on fasse plaisir à notre mec ! Indirectement, ça m'a aidée à explorer mon plaisir et mon corps sans honte", appuie la vingtenaire. 

"Il est évident que je conseille très régulièrement à mes patients de pousser la porte d'un love-shop. Je leur propose de se laisser aller, d'être curieux, de flâner, tout simplement. Pas parce que c'est à la mode, pas parce qu'on doit forcément passer par là pour être dans le coup mais parce que c'est bon et que ça fait du bien d'investir sa sexualité. Certaines femmes en panne de désir y trouveront une première approche "soft" pour renouer avec la sexualité en investissant dans une huile de massage... D'autres, après des années de frustration, découvriront un premier orgasme grâce à un vibromasseur bien choisi...", analyse justement la sexologue belge Margaux Mabaise, sur son blog

De son côté, Anne souligne que c'est également un endroit qui peut inviter le couple à parler, quand la communication est timide en début de relation et qu'il n'est pas aisé de savoir ce que l'autre aime. "Il y a des jeux qui peuvent être sympa, des toys pour deux... Ça nous aide pas mal je trouve", sourit-elle. 

Et à la sexologue d'acquiescer : "le simple fait de se promener à deux, main dans la main dans un love-shop permettra de retrouver une complicité, de ranimer la flamme, d’éveiller des feux endormis... Car acheter un jouet ou autre, c’est la promesse de passer du bon temps, seul.e ou à deux. C’est se projeter dans la rencontre avec soi-même ou avec l'autre".

Et quoi de mieux que de le faire dans un endroit sécurisant et accessible, plutôt que tête baissée au détour d'une rue cachée ?