Il est n°1 sur Netflix. Depuis sa sortie le 2 février 2022, le documentaire, L’arnaqueur de Tinder, disponible sur la plateforme de streaming, a créé un raz-de-marée sur les réseaux sociaux, où de nombreuses conversations et memes à l’effigie de Simon Leviev, présenté comme un malfaiteur, pullulent. 

Le documentaire, produit par Felicity Morris - déjà à l’origine de la mini-série docu Don’t Fuck with Cats, retraçant la folie meurtrière du tueur en série Luka Rocco Magnotta - se base sur l'enquête de quatre journalistes norvégiens du journal Verdens Gang (VG) et conte la gigantesque arnaque à l’amour perpétrée par l’Israélien Simon Leviev (de son vrai nom Shimon Yehuda Hayut) qui aurait réussi à extorquer près de dix millions de dollars à ses victimes. 

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Condamné pour escroquerie, l'homme est aujourd'hui libre tandis que ses victimes continuent à éponger leurs dettes. 

Attention, si vous avez prévu de visionner L’arnaqueur de Tinder, cet article contient des spoilers.

Simon Leviev, un "prince" sur Tinder ?

“C’est amoureuse que j’ai été la plus heureuse dans ma vie”, sourit Cecilie Schrøder Fjellhøy, 33 ans, dès les premières minutes du documentaire de Netflix. La jeune femme blonde apparaît tout sourire pour raconter un coup de foudre via Tinder, qui a été à l’origine de sa ruine.

Elle rembobine en 2018. À l'époque, la jeune Norvégienne établie à Londres depuis quelques années, semble avoir tout pour être heureuse. Mais, bercée par les contes de fées de son enfance, elle cherche désespérément le grand amour. Un soir de janvier, en swipant sur l'application de rencontre Tinder, elle pense toucher du doigt son rêve en matchant avec un certain Simon. 

Séduisant, jeune et visiblement fortuné - ses multiples photos de profil, attestent d’une vie de prince - il se présente comme le fils d’un diamantaire israélien. En un clic, Cecilie se rend sur sa page Instagram. Aucun faux raccord : stories de ses réunions de travail, clichés de vacances aux quatre coins du monde et poses devant des voitures de luxe, la vitrine est parfaite. 

Un scénario bien ficelé, digne d'un conte de fées

L'homme lui propose rapidement un rendez-vous dans un hôtel luxueux de la capitale britannique. “Il était exactement comme sur les photos, raconte-t-elle devant les caméras de Netflix, il avait ce magnétisme”. 

Très vite, la jeune femme tombe sous le charme de celui qui se présente comme le PDG de LLD Diamonds, une manufacture de diamants qu’il aurait hérité de son père. "Le prince des diamants" comme il aime se désigner, doit d’ailleurs partir le jour même pour un voyage d’affaires en Bulgarie. Il demande à Cecilie de l’accompagner, pour “mieux la connaître”. Prise de court mais impressionnée, Cecilie accepte et se retrouve quelques heures plus tard à bord d’un jet privé, coupe de champagne à la main, en direction de Sofia. Là-bas, leur relation prend une tournure amoureuse.

Si le scénario ressemble à une comédie romantique hollywoodienne, la suite va virer au cauchemar pour la jeune femme.

Après ce court séjour fait de caviar et de paillettes, Simon disparait mais reste étroitement en contact avec Cecilie via la messagerie Whatsapp. Il lui écrit tous les jours, plusieurs fois par jour. Un mois après leur rencontre, Simon fait part de ses inquiétudes à Cecilie concernant des "ennemis" qui en auraient après lui. Il se dit en "danger" et lui demande de l'aider financièrement en empruntant sa carte American Express, pour éviter d'être tracé par ceux-ci via ses propres comptes. 

Follement amoureuse, la jeune femme accepte sans broncher, au risque de s'endetter. Elle va contracter des crédits auprès de dix banques différentes et même frauder en utilisant de faux bulletins de paie, fournis par son petit-ami, afin d’accéder à un plafond de prêt illimité. En tout, Cecilie emprunte environ 200 000 dollars en l’espace de quelques semaines. 

Un violent retour à la réalité

Alors qu'elle pense être rapidement remboursée par son prince diamantaire -après tout, il le lui a prouvé, il est riche à millions- et qu'ils pourront bientôt s'installer ensemble comme il le lui a promis, la situation s'enlise. L'homme, toujours en déplacement aux quatre coins de l'Europe, devient distant. Brutalement, son ton change.
Après une énième demande de remboursement sans suite et les révélations que lui font deux enquêteurs financiers de la société American Express, Cecilie comprend qu'elle s'est faite arnaquer. “Le plus compliqué à gérer au début, ça a été la rupture”, raconte-t-elle, en évoquant sa dépression d'alors. 

Elle décide toutefois de ne pas en rester là. Elle veut non seulement obtenir réparation pour le préjudice subi, mais protéger d'autres femmes, potentielles futures victimes de l'arnaqueur. 

Cecilie porte plainte en Angleterre puis en Norvège, mais la police ne considère pas son affaire comme prioritaire. Elle se tourne alors vers la presse et décide de raconter dans les détails son histoire - preuves à l'appui - à un journaliste de Verdens Gang, le plus gros quotidien norvégien. 

Une enquête journalistique d’envergure 

C'est à partir de là que l'affaire va prendre une ampleur internationale. Quatre journalistes de la rédaction de VG - Natalie Remøe Hansen, Kristoffer Kumar, Erlend Ofte Arntsen and Tore Kristianse - décident d'enquêter sur le fameux Simon Leviev. Ils creusent, et ils trouvent.

Ainsi, ils retrouvent la trace d'une condamnation en Finlande datant de 2015, pour une histoire similaire, ainsi qu'une peine de prison effectuée par Simon - sous une autre identité, Shimon Yehuda Hayut, qui s'avère être la vraie - entre 2015 et 2017. Ils découvrent aussi un mandat de recherche international datant de 2011, délivré en Israël, pour “vol, fraude et faux et usage de faux”. 

Enfin, le nom d'une autre potentielle victime de l'homme émerge dans les éléments fournis par Cecilie : Pernilla Sjoholm.

Après plusieurs échanges avec l'équipe de journalistes, Pernilla - toujours dans les griffes de l'escroc à ce moment-là - se rend compte qu'elle est elle-même victime de Simon Leviev, qu'elle considère jusque là comme un ami. Elle a elle aussi commencé à lui prêter de grosses sommes d'argent. Aussi choquée qu'écoeurée, elle va aider les journalistes à récolter de nouveaux éléments à charge contre l'homme. 

En juin 2019, VG sort une édition spéciale sur son site, consacré au “Tinder swindler”, Cecilie et Pernilla, devenues amies, y racontent leur détresse. Le visage de l'escroc, qui n'a absolument rien à voir avec la société LLD Diamonds et la famille Leviev, est largement diffusé.

La méthode Leviev : une pyramide de Ponzi 

L’enquête, qui s'appuie notamment sur les discussions par messagerie archivées entre les victimes et le faux prince charmant, révèle la personnalité d'un manipulateur sociopathe.

Vidéos romantiques, messages d'amour, projections futures attendrissantes... Puis mensonges générant l'inquiétude chez ses victimes, appel à l'aide et enfin menaces lorsque celles-ci commencent à réclamer un peu trop fort leur argent : le scénario semble bien rodé. Et le montage financier derrière aussi : l'enquête du journal VG - ainsi que le documentaire - révèlent une arnaque basée sur un modèle de pyramide de Ponzi : Cecilie payait pour Pernilla, Pernilla payait pour la suivante, ect… 

Sur Twitter, Erlend Ofte Arntsen, l'un des journalistes à l'origine de l'enquête, reprend la chronologie de la vie - et surtout des escroqueries - de Simon, qui n'en n'est pas à son coup d'essai.

De nombreuses autres victimes

L'enquête publiée, les réactions sont mitigées. Les deux jeunes femmes qui ont accepté de parler sont d'abord blâmées. On se moque d'elles, on leur reproche leur candeur et leur matérialisme. Le coup classique du victim blaming ou quand les victimes - la plupart du temps des femmes - sont tenues pour responsables de ce qui leur arrive. 

Heureusement, des soutiens affluent. L'article est partagé en masse et fait du bruit, en Norvège notamment. 

D'autres victimes se reconnaissent alors et contactent elles aussi les journalistes. L'arnaque gigantesque de Simon Leviev commence à battre de l'aile. 

Grâce au concours d'une autre victime de Simon Leviev, Ayleen, en couple avec celui-ci lors de la parution de l'enquête de VG, la police finit par arrêter l'escroc à Athènes en juin 2019, après une cavale qui aura duré 8 ans. 

Il sera extradé vers Israël quelques jours plus tard, où il sera condamné, en décembre 2019, à 15 mois de prison

Poursuivi pour fraude dans une dizaine de pays

Si la peine prononcée semble légère au vu des éléments de l'enquête des journalistes norvégiens, la peine réellement effectuée parait ridicule : après cinq mois de prison, Simon Leviev a été libéré en mai 2020. Il se serait ensuite installé, entre deux voyages, à Tel Aviv. 

Aujourd'hui libre, l'homme semble vivre sa meilleure vie si l'on en croit ses posts sur les réseaux sociaux partagés ces derniers mois. Si son compte Instagram, @Simon_Leviev_Official, mis en privé la semaine dernière, semble avoir été désactivé récemment, son compte Tiktok est en revanche lui bien actif : l'homme y poste des vidéos de lui conduisant des voitures de sport ou paradant à bord d'avions privés, le tout avec des hashtags provocateurs type #TinderMoney.

Ce dernier propose désormais des "conseils en affaires", apprend-t-on via son site Internet.

Les victimes de l'homme - Cecilie, Pernilla, Ayleen et toutes celles qui n'ont pas été citées publiquement - doivent encore aujourd’hui, éponger leurs dettes. Certaines d'entres elles ont ouvert une cagnotte participative afin de récolter £600 000. “Nous voulons juste récupérer notre vie d’avant”, indiquent-elles en descriptif. 

De son côté, l’application Tinder a banni de sa plateforme tous les comptes qui pouvaient appartenir au faux milliardaire. “Nous avons mené une enquête interne grâce à laquelle nous pouvons confirmer que Simon Leviev n’est plus actif sur Tinder. Il en va de même pour ses autres identités (Shimon Yehuda Hayut, David Sharon, ndlr)”, a fait savoir l'appli de rencontre vendredi 4 février 2022, dans un communiqué adressé à Variety.

L'intéressé contacté par Netflix lors de la réalisation du documentaire a menacé la société de représailles judiciaires. Son garde du corps, Peter, que l'on voit à plusieurs reprises dans le film, vient lui de porter plainte contre le géant du streaming, selon les informations deLad Bible

Le 28 février 2022, le tabloïd américain Page Six annonçait que la - vraie - famille Leviev avait déposé plainte contre l'escroc, qui fait encore usage du nom de la famille de millionnaires. "Pendant longtemps, il a fait de fausses déclarations en se présentant comme le fils de Lev Leviev et il a reçu de nombreux avantages (y compris matériels), sournoisement et en prétendant être un membre de la famille", est-il indiqué sur le document judiciaire auquel le journal a eu accès. 

À ce jour, Simon Leviev est toujours poursuivi pour fraude dans une dizaine de pays, dont la Suède, l'Angleterre, l'Allemagne, le Danemark et la Norvège.