Comment avoir un orgasme d'une heure non stop ?

Par Elisabeth Alexandre
femme jambes heure
Des stages pour apprendre à jouir 60 min non-stop : du pur délire ? une simple arnaque ? Pas seulement. Notre journaliste a suivi avec attention cet étrange séminaire...

C’est une maison grise, sur les hauteurs de San Francisco. Ce jour-là, une pluie battante cingle les fenêtres. Dans le salon, cinq femmes et trois hommes sont assis sur des chaises disposées en demi-cercle. Juste en face d’eux, sur une table gynécologique, adossée à une pile de coussins, une ravissante brune aux yeux verts ouvre largement les jambes pendant un orgasme. A sa tête, trois femmes lui tiennent la main, lui donnent à boire de l’eau fraîche, tandis qu’un homme, les yeux rivés sur le chronomètre d’un écran vidéo, la caresse et la fait jouir pendant une heure et sept minutes.

Cette scène est l’apothéose d’un séminaire conçu et enseigné par le Welcomed Consensus*, communauté californienne créée en 1992, dont le noyau dur est composé d’un homme, RJ, et de (ses) cinq femmes. Je suis accueillie en tant que journaliste, spectatrice et témoin de ce drôle de show. Ici personne n’a rien à cacher, au contraire. Il s’agit de répandre la « bonne nouvelle » : «  Nous pensons que le monde se porterait beaucoup mieux si les gens avaient davantage de plaisir, explique Susan, l’une des fondatrices du groupe. S’ils cultivaient l’amitié plutôt que des relations basées sur la passion et la jalousie. Nous-mêmes avons abandonné nos métiers respectifs, et décidé de nous consacrer entièrement à la réflexion et l’éducation centrées sur l’amitié entre les hommes et les femmes et le développement de la sensualité.  »

Le séminaire démarre un samedi matin, à 10 heures. En très petit comité  : huit stagiaires au total – trois hommes et cinq femmes –, pour la plupart des habitués ayant déjà suivi plusieurs stages. L’un d’entre eux, novice, a parcouru plus de 4 000 km en voiture pour apprendre à procurer à sa dulcinée des orgasmes interminables... Au cours de ce week-end, ce sont Susan, Sheri, Rachael et RJ qui assureront l’enseignement. 

«  Vous êtes tous là parce que vous voulez connaître de meilleurs orgasmes, attaque Susan. C’est l’une des ambitions les plus honorables de l’existence.  » Chaque stagiaire est convié à définir ce qu’il recherche ici. Les termes abstraits, tels qu’« érotisme » et « désir », sont bannis. L’un des principes fondamentaux du groupe est qu’on peut parvenir au plaisir d’une façon délibérée, sans passer par la case «  désir  », par définition incontrôlable.

Orgasme d'une heure et jouissance clitoridienne

Pour augmenter l’intensité, la fréquence et la durée du plaisir, Welcomed propose de révolutionner la définition même de l’orgasme  : «  Pour nous ce n’est pas un moment mais une construction dans la durée, caresse par caresse, résume Susan. Quand on écoute une symphonie, on ne guette pas le dernier coup de cymbales. Chaque note compte. La notion de préliminaires, dans la mesure où elle établit une hiérarchie entre le début et la fin de la rencontre sexuelle, nous paraît inepte. L’orgasme n’est pas un pic unique, mais une chaîne de montagnes à plusieurs sommets qui peut durer aussi longtemps qu’on le désire. Le meilleur moyen d’y accéder, c’est la stimulation clitoridienne, plus précise, délicate et nuancée que la pénétration. Le clitoris comporte plus de huit mille terminaisons nerveuses, alors que l’intérieur du vagin n’en a aucune et que le frein du pénis en a deux fois moins. En contrôlant la tumescence et la détumescence du clito, on peut obtenir une jouissance de plus en plus longue et intense.  »

Je demande à Susan ce qu’elle pense des vibromasseurs. «  Pas de bien, répond-elle. Les vibros servent davantage à expédier les sensations qu’à les développer. Nous estimons que leur usage répété fait perdre de la sensibilité au clitoris.  » L’exposé se poursuit par des considérations sur les ravages du puritanisme. On l’a compris  : pas de place ici à la nuance ni au doute… « Nous vivons dans des sociétés qui valorisent la souffrance. Il est totalement admis de parler de ses opérations chirurgicales et de ses maladies alors que quelqu’un qui évoquerait ses orgasmes passerait pour dangereusement asocial. Tout contribue à nous faire croire que le plaisir se paye un jour ou l’autre, et qu’il existe en quantité limitée, ce qui entraîne frustration et esprit de compétition. Les médias valorisent à la fois la monogamie et la variété sexuelle, ce qui est totalement contradictoire. L’un des mythes les plus pernicieux est celui du mystère du sexe, qui n’est rien d’autre que la peur et l’ignorance. » 

Vers la fin de l’après-midi, alors que l’attention des stagiaires (et la mienne) commence à décroître, on passe enfin à la pratique. Sheri détaille avec le plus grand sérieux cinq exercices que chacun devra effectuer le soir même. Premier exercice : «  la visite de l’invité de marque  ». Chacun doit imaginer avec ses cinq sens l’espace idéal pour recevoir un être cher  : odeur, sons, images…

Deuxième exercice : «  l’inventaire tactile du corps  ». Nu devant une glace, on se regarde sans se juger, en insistant sur les zones qu’on aime particulièrement. Puis on se caresse les bras, les jambes, ce qu’on veut, de différentes manières – doucement, fortement, avec les ongles… – en observant ce qu’on préfère. On pose ensuite le doigt sur un point précis. On trace autour de ce point des cercles de plus en plus larges, puis on revient au centre. On répète plusieurs fois l’exercice tout en observant ce qu’on ressent. 

Masturbation sans orgasme 

Troisième exercice : « la masturbation sans orgasme». Avec du lubrifiant, on se caresse le plus longtemps possible, sans jouir, en exerçant ce que Sheri appelle les «  bread and butter strokes  », les caresses de beurrage de tartine. On décapuchonne au préalable le gland du clitoris ou du pénis, et on le caresse de haut en bas, comme si on étalait du beurre. Curieux, cette image de la tartine. Mais pédagogiquement efficace.

Quatrième exercice : «  le picking  ». Il consiste à obtenir une succession de pics de plaisir, de plus en plus intenses, en alternant phases de tumescence et de détumescence. A l’aide de deux moulages en résine de sexes féminin et masculin, Sheri démontre  : beurrage de tartine puis caresses rapides, beurrage de tartine puis caresses lentes, beurrage de tartine puis caresses appuyées… Personne n’a l’air sensible au surréalisme de la situation. Le sérieux et l’attention règnent, et le recueillement est aussi dense que dans un amphi de médecine avant la dissection.

Cinquième et dernier exercice : «  bâtir des connexions  ». Les femmes posent un doigt sur leur clito, les hommes sur le frein de leur pénis. Un autre doit être posé sur une zone érectile, mamelon, lèvre, scrotum… On caresse les deux points ensemble, puis alternativement, jusqu’à éprouver une connexion sensuelle entre les deux. La réalisation des cinq exercices doit prendre environ deux heures. Personne ne rechigne. J’imagine la solitude du stagiaire, le soir, devant son miroir, son gel lubrifiant à la main. 

L'orgasme délibéré

Le lendemain matin, chacun décrit en détail sa séance de travail personnel  : « Mon invité de marque était Russell Crowe… Cameron Diaz… Viggo Mortensen…  » , «  J’ai fait huit beurrages de tartine, cinq caresses rapides, puis cinq beurrages de tartine, puis une pause…  », «  J’ai réussi à obtenir douze pics…  » ,  «  J’ai senti la connexion entre mon clitoris et mon mamelon gauche  » etc. L’ambiance est plus détendue que la veille, et il y a quelque chose d’assez touchant dans l’honnêteté des stagiaires et leur ardeur à perfectionner leur technique. 

Mais tous ces exercices ne sont que la préparation à la pierre angulaire de la méthode : le «  DO date  » (le «  rendez-vous  » pour un Deliberate Orgasm, un «  orgasme délibéré  »). Celui-ci est fondé sur trois principes intangibles : l’attention exclusive portée au corps de la personne « DO-ée  » ; la communication avant, pendant et après ; le respect absolu du contrat passé entre les participants. Par exemple, si on a décidé que le DO-date durerait cinq minutes, le « DO-eur » doit stimuler la DO-ée pendant cinq minutes, pas une seconde de plus. La DO-ée peut ainsi lui faire entièrement confiance, et il y a toutes les chances pour qu’elle reste en état de plaisir après la fin du DO-date. Autre exemple : le DO-eur ne doit en aucun cas chercher une gratification en échange de ses caresses, réclamer une fellation ou une pénétration à la fin de sa prestation. L’orgasme délibéré n’est pas une transaction mercantile. 

Et la tendresse dans tout ça ?

Durant toute l’après-midi, Sheri et un aspirant instructeur, Sven, font une démonstration. Sven raconte un scénario  : il déclare à sa copine qu’il va la DO-er le lendemain à 18 heures pendant dix minutes. En attendant, il lui envoie des SMS tendres et coquins. Juste avant le rendez-vous fictif, il prépare la chambre comme dans le premier exercice, «  la visite de l’invité de marque  ». Muni de la vulve en résine et d’un pot de lubrifiant, Sven entreprend de DO-er sa copine imaginaire et s’arrête à dix minutes tapantes, sous les applaudissements de la classe. Sheri lui succède et réalise un DO-date avec un amant symbolisé par le pénis en résine. Je ne sais même plus si je suis en état moi-même de percevoir l’incongruité de la scène. Mais, après tout, nous sommes là pour de l’incongru. Et le meilleur est à venir.

Pause-dîner, puis préparation de l’OIC (Observation of intense coming, «  observation d’une jouissance intense  »), le fameux orgasme d’une heure. Dans le salon de la maison, des membres de la communauté s’activent, tirent les rideaux, installent la table gynécologique et la caméra qui va filmer l’évènement. Les étudiants toussent et vont aux toilettes, comme avant un concert. Tout le monde finit par s’asseoir et retient son souffle. Entrent RJ et Rachael, la jolie brune aux yeux verts. Rachael s’installe sur la table et RJ commence à la DO-er d’une main experte. Toutes ses femmes le regardent avec adoration. Tandis que Rachael gémit et murmure : «  O mon Dieu, c’est bon, c’est si bon…  », RJ explique : «  Je tumesce, je détumesce… Je tumesce, je détumesce… Je pratique dix beurrages de tartine, je fais une pause, cinq beurrages, huit caresses appuyées… je titille à gauche, à droite, sur les côtés, etc.  »

Je me demande comment Rachael peut rester concentrée sur son plaisir en entendant les commentaires du Maître Masturbateur. Comme des internes en médecine s’adressant à un chirurgien en train d’opérer, les étudiants posent des questions ultra-techniques à RJ. Toute l’assistance a le feu aux joues, sauf RJ qui continue, impavide, à DO-er Rachael. Sur l’écran du moniteur vidéo, les minutes s’égrènent : quarante-cinq… cinquante-trois… une heure. L’émotion cède la place à une certaine lassitude. La scène me paraît maintenant irritante, presque pénible. J’ai l’impression que RJ essaye de battre le record du monde de la branlette, que ses caresses deviennent frottements, qu’il s’intéresse davantage à sa performance qu’à Rachael. Son approche du plaisir me semble cliniquement triviale, à l’opposé de l’idéal de sensualité qu’il est censé transmettre.

A une heure et sept minutes, RJ s’arrête enfin, visiblement satisfait de lui-même. Rachael se lève, comme une fleur, le corps vibrant d’énergie, encore plus belle qu’à son arrivée dans le salon. Je demande à RJ ce qu’il a ressenti pendant qu’il DO-ait Rachael. « Le plaisir de faire du bien, mais pas d’excitation sexuelle. » RJ « DO » ses cinq femmes deux mille fois par an. Un boulot à temps plein…

* Le prix de l’orgasme 200 dollars (environ 155 €) pour le « common sensuality course » (deux jours). 250 dollars (194 €) pour l’observation de l’orgasme d’une heure.

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