Déjà au fait de votre horloge interne ? Autant vous familiariser d’ores et déjà avec les rythmes circadiens, nouvelle coqueluche de la science.

En trois petites décennies, les chercheurs ont mis à jour l’existence de ces cycles biologiques dont l’enchevêtrement complexe rappelle les mouvements d’une montre. Leur cadence ? Environ 24 heures pour les circadiens ; de quelques secondes à plusieurs heures pour les ultradiens ; une semaine, un mois voire une saison pour les infradiens. La plupart sont conditionnés par le système solaire, via la lumière du jour. D’autres, dits endogènes, sont régulés par l’organisme.

Multiples et interdépendants

Selon le médecin du sport et du sommeil François Duforez, ces rythmes doivent en permanence se synchroniser entre eux pour préserver une harmonie globale dans le corps, tout en s’ajustant en live à l’environnement.

Assurée par l’horloge interne, leur orchestration fait la pluie et le beau temps sur les fonctions métaboliques. Un grain de sable dans cette mécanique de précision, et les troubles, plus ou moins graves, pointent, à moyen ou long terme. A l’inverse, agir dans le respect de ces rythmes permettrait d’optimiser notre santé et notre bien-être, voire de "hacker" le système à notre profit. Ce que fait déjà une frange avant-gardiste du corps médical.

A chaque cellule, son horloge interne

Tout commence en 2017, quand le prix Nobel de Médecine récompense les trois chercheurs américains Jeffrey Hall, Michael Rosbach et Michael Young. Leurs travaux sur les mécanismes moléculaires de l’horloge circadienne cellulaire prouvent que chaque organe mais aussi chaque cellule possède sa propre horloge ! Un Big Bang dans la recherche en chronobiologie. Les études autour de la chronothérapie gagnent en soutien financier et en visibilité.

Les nouvelles thèses pleuvent, faisant le lien entre rythmes circadiens et réponse immunitaire, appétit, sommeil ou encore température corporelle.

D'après une étude japonaise récente relayée par la revue Nature Communications, la mémoire aussi fluctue en fonction de l’horloge interne, ce qui la rendrait plus ou moins performante au fil de la journée. La recherche Shiseido et l’Agence de Recherche Aérospatiale Japonaise se penchaient quant à elles, dès 2018, sur les effets du stress en situation de confinement. Résultat ? La mise en évidence, en environnement clos, d’une perturbation du rythme circadien de l'hormone du stress salivaire (cortisol), associée à l’augmentation de la distorsion de l'expression faciale mais aussi à la modification… de biomarqueurs cutanés. Autre théorie étonnante développée par une équipe de chercheurs néerlandais : les troubles du déficit de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH) pourraient également s’apparenter à un bouleversement du rythme circadien.

Des résultats déjà adoptés en médecine et chirurgie

Cancers, maladies du cœur, diabète, Alzheimer… le rôle des désordres chronobiologiques dans le déclenchement de certaines maladies étant désormais établi, de plus en plus de protocoles médicaux prennent en compte les nouvelles connaissances liées à la chronobiologie.

Une équipe américaine met ainsi en évidence les bienfaits d’une exposition lumineuse biquotidienne sur les patients atteints de la maladie de Parkinson. Découverte révolutionnaire s’il en est : l’ajustement des thérapies, notamment en oncologie, en fonction de l’heure du jour ou de la nuit diminue la toxicité de certains traitements médicamenteux.

Depuis, des protocoles de chronothérapie sont appliqués à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif. Le principe : étudier les rythmes circadiens de la zone visée pour déterminer l’heure idéale d’administration d’un médicament. "Pour cela, nous avons besoin de personnaliser les thérapies car chaque individu a sa propre horloge. Des différences majeures sont également lisibles en fonction du genre ; le corps d’un homme ou d’une femme réagit très différemment aux traitements", expose Annabelle Ballesta, chercheuse INSERM en médecine personnalisée et chronothérapie des cancers à l’hôpital Paul Brousse.

La chronothérapie entre dans les mœurs médicales, et de plus en plus

La chronobiologie fait également ses débuts en chirurgie cardiovasculaire depuis que le CHU de Lille a montré que les effets secondaires après une opération cardiaque impliquant de débrancher puis de rebrancher le cœur sont plus importants si l‘opération a lieu le matin. "La logique n’a pas échappé à l’industrie pharmaceutique qui planche déjà à cerner au mieux les fenêtres où le corps sera le plus à même de répondre au traitement", note Marie Borrel, autrice du remarquable Grand livre de la chronobiologie, (Ed. Leduc.S).

Les résultats en chronothérapie ont ainsi fait leurs preuves sur l’administration des anti inflammatoires pour les maladies rhumatoïdes, type arthrose. Pour être au maximum de son efficacité, le médicament doit être actif très tôt le matin, quand le malade ressent le plus de douleurs. Des médicaments ont donc été développés de manière à être pris tard le soir, pour une libération des actifs pendant la nuit afin d’atténuer les souffrances au réveil. "La chronothérapie entre dans les mœurs médicales, et de plus en plus", se réjouit Marie Borrel.

Mesurer au plus près les rythmes circadiens

Elément clé à intégrer dans l’équation : le chronotype du patient. "Il existe des chronotypes du matin : l’horloge biologique de ces personnes est plus courte que l’horloge terrestre. Ceux du soir, au contraire sont plutôt en retard de phase car leur horloge interne dépasse les 24 h", expose le Dr François Duforez.

Le chronotype décale alors les rythmes métaboliques, donc les règles optimales d’administration. Arriver à mesurer ce dernier est l’un des enjeux actuels majeurs en chronothérapie. Pour déterminer les rythmes circadiens à un niveau individuel, il faut équiper le patient d’un capteur, via une montre par exemple, qui mesurera l’activité, la température, le rythme cardiaque etc.

"Le second enjeu sera de mieux cerner le mécanisme chronobiologique à un niveau moléculaire, au niveau de la cellule", précise le médecin. L’idée est de développer des techniques qui permettront de mesurer de manière fiable les rythmes de chaque patiente afin de prédire les horaires optimaux de traitements médicamentaux ou chirurgicaux.

Qui sait, peut-être un jour, notre dossier médical intégrera-t-il une carte de chronotype, aux côtés de celle du groupe sanguin ? En attendant, il est possible d’intégrer les bons gestes au quotidien pour prendre soin de nos rythmes circadiens et garder la maladie au loin.

Se resynchroniser par la lumière

Selon Marie Borrel, les rayons lumineux restent le principal outil de recadrage des règles biologiques du corps. Pour se recaler, la spécialiste conseille de prendre la lumière du jour à des moments précis, en fonction de notre nature.

"Pour ne pas piquer du nez à 21h, les couche-tôt et lève-tôt ont tout intérêt à se protéger de la lumière avant midi, quitte à mettre des lunettes de soleil, et à s’exposer aux alentours de 17h. En hiver, quand le soleil se couche tôt, on peut avoir recours à une lampe de luminothérapie", illustre Marie Borrel.

En revanche, les couche-tard profiteront au maximum de la lumière le matin. Réveil-Lumière (Philips, Beurer…) et marche à pied sur une partie du trajet domicile-travail sont recommandés : même sous un ciel gris, les rayons lumineux agissent sur notre horloge biologique.

Manger au plus près de nos courbes hormonales

Côté alimentaire, respecter certains rythmes hormonaux limitera les fringales, coups de barre et prise de poids. "Le cortisol, qui nous réveille, est produit le matin. C’est aussi à ce moment que les cellules régénèrent leur paroi en matières grasses. Ainsi, le beurre consommé au petit déjeuner est immédiatement utilisé par l’organisme", souligne Marie Borrel. Même logique pour l’insuline. Sa fabrication se fait au fil de la journée en fonction de notre alimentation, et se calme le soir. "Si vous mangez du sucre après 18h, c’est stockage garanti", prévient l’autrice.

Autre recommandation de l’experte : se mettre à l’écoute de nos variations d’énergie. "La qualité du fonctionnement mental, par exemple, fluctue en fonction des heures. Selon notre nature chronobiologique, on réalisera les tâches les plus exigeantes le matin ou l’après-midi", préconise-t-elle.

En prêtant attention à ce qui se passe dans le corps, il s’agit de repérer les baisses d’attention ou coups de barre récurrents à certaines heures pour apprendre à surfer sur les vagues circadiennes qui nous sont propres. "Il existe une sorte de schéma global, mais chaque organisme est un écosystème particulier", résume Marie Borrel.

Bien comprendre ce qui se passe dans le corps permet de mettre en œuvre très naturellement les gestes salvateurs pour nos rythmes fondamentaux.

Un connais-toi toi-même qui vaut autant, sinon plus, qu’une carte de chronotype virtuelle.