Doit-on sacrifier nos valeurs personnelles pour celles de notre entreprise ? Telle est la question. Cette idée d'un emploi conforme à sa philosophie personnelle trace peu à peu sa route. Selon une étude menée par Jobijoba en 2017, les critères de choix d'une entreprise par un candidat seraient tout d'abord la bonne ambiance (79%), puis le salaire (53%), et en troisième position, à 51%, les valeurs partagées. Ce troisième critère de sélection gagne du terrain quand celui du salaire recule. Coïncidence ? 
 
Selon un autre sondage*, réalisé en 2015 par OpinionWay, 66 % des Français interrogés déclaraient aimer leur entreprise. Mais que signifie "aimer" sa boîte ? S'agit-il de porter ses valeurs ? D'apprécier son cadre de vie (bureau, localisation, atmosphère et surtout collègues) ? De chérir ses missions ? Ou finalement, un peu de tout à la fois ?

Entreprise et valeurs : la bataille du coeur et de la raison 

Le travail doit être porteur de sens. C'est ainsi la nouvelle injonction relative à la sphère professionnelle. Le nouveau graal du statut social, celui qui remplace le job "très bien payé" ou le "haut poste" (qui vont généralement de pair). Sur l'échelle de la respectabilité, avoir un travail philanthrope est au plus haut. A l'inverse, ne pas s'inquiéter des valeurs ou de l'activité de son entreprise semble être tombé en désuétude.

Pour Vincent, comme pour d'autres, la place donnée au travail a évolué au fil du temps. "À la sortie des études, le travail (et la réussite sociale que j'imaginais en découler) était très important. Puis, après quelques années je me suis demandé quel était le but de cette course". Pour ce developper informatique en free-lance, "le travail est devenu un moyen d'accéder à un idéal de vie". Un idéal encore bien loin de son poste actuel : "J'ai commencé à travailler pour une compagnie d'assurance sans avoir réellement conscience de ce que cela impliquait (...) Il s'agit d'une entreprise dont l'objectif principal est de générer de plus en plus d'argent pour, par exemple, rémunérer des actionnaires. Ce système, je ne le trouve pas juste dans la répartition des richesses, contrairement à une assurance mutualiste à but non lucratif", explique-t-il. Si Vincent souhaite pouvoir allier travail et valeur ajoutée pour la société, ce dernier n'est pas encore tout à fait prêt à renoncer à sa stabilité. Un paradoxe qui le plonge dans de profonds moments de doute. "Mes valeurs me disent d'arrêter de travailler pour des entreprises en désaccord avec mes principes", raconte-t-il, tourmenté. Pour l'heure, les principes de Vincent n'ont pas encore gagné cette bataille interne.
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Adhérer aux valeurs de son entreprise, une utopie ?

Chez d'autres, la guerre est finie. Quitter son travail pour mieux embrasser sa morale était une obligation. Erika, 33 ans, conçoit la notion de "job alimentaire", bien qu'au final, très peu pour elle. Pour l'entrepreneuse, son investissement dans un poste passe clairement par les valeurs qu'il porte : "S’il s’agit d’un emploi durable, j’ai besoin d’être en adéquation avec les activités, l’impact, le sens des actions de la structure. Je n’arrive pas à m’investir autrement", confie-t-elle. Ses nombreuses expériences l'ont confortée dans ce positionnement, dont son apparition - presque éclair - chez le géant Total. "Je suis plutôt Sea Sheperd ou Greenpeace, ce fut donc compliqué. Je le savais en y entrant, je m’y étais préparée, je m’étais mise dans un état d’esprit de mercenaire". Mais ses efforts furent vains. "L’activité principale de Total et son impact environnemental désastreux me fendaient le cœur, s’ajoutait à cela le non-sens complet de mes missions", explique-t-elle. Le plus difficile pour Erika fut sans doute le sentiment de solitude éprouvé : "J’étais entourée de collègues pour qui ça ne posait aucun problème de travailler pour Total. Pour eux, c’était le fleuron de l’industrie française, il étaient fiers d’y bosser, d’avoir un super CE, de bonnes situations, des perspectives d’évolution. On était en décalage, je me sentais trop seule dans cet univers", avoue-t-elle.

Abandonner une situation confortable pour l'inconnu relèverait-il du caprice au vu de la dureté du marché du travail ? Erika s'est posé la question plus d'une fois. "Mes parents ont longtemps été au chômage et m’en ont souvent voulu de lâcher des opportunités intéressantes, ne comprenant pas mon apparente désinvolture (...) Je me suis souvent demandé si je n’étais pas trop exigeante ou trop idéaliste : j’aurais dû essayer plus, donner une chance aux situations ou à ces secteurs, arrêter d’écouter mon cœur… Mais aujourd’hui, je suis très contente de mes choix. Et je crois que mes parents aussi", conclut la trentenaire.

Travail et principes, une alliance qui n'intéresse pas tout le monde

Si la quête d'un travail où les valeurs de l'employé et de l'employeur seraient communes est grandissante, pour certains le travail ne reste que... Du travail. Pour eux, la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle est lisible, bien marquée. Adhérer à tout prix à ce qu'il se passe au sein de l'entreprise est une peine que tout le monde ne souhaite pas se donner. L'essentiel étant d'avoir de quoi vivre, grâce à un boulot. En outre, "privilégier un mariage de raison au coup de foudre corporate", comme l'écrivait le journaliste Jean-Laurent Cassely, dans Slate. Revenir à des "ambitions plus modestes, mais moins susceptibles de provoquer des blessures narcissiques importantes dans des vies professionnelles", ajoutait-il. Mais se contenter d'un mariage de raison ou d'ambitions modestes ne serait-il pas justement un comportement déraisonnable ? A chacun d'en juger.

*Sondage « J’aime ma boîte – Le Parisien Economie – RTL » – Septembre 2015