"Éric et moi sommes ensemble depuis douze ans. C'est mon meilleur pote, l'homme de ma vie. Je suis très amoureuse et très heureuse avec lui. L'été dernier, je lui ai dit 'oui’ et, ça y est, nous allons nous marier au mois d'août prochain.

Mais je n'arrive toujours pas à m'y faire. Quand je l'ai rencontré, il était divorcé et avait deux grands enfants. Comme notre relation fonctionnait bien, il m'avait assez vite dit qu'il avait envie de se remarier. Une ou deux fois, il était revenu à la charge. Et à chaque fois, je lui avais opposé une réponse cinglante : 'Pff, ridicule !’, 'Jamais de la vie !’ 

Une demande en mariage banale

Puis plus rien pendant des années. Jusqu'à cette dernière demande il y a un an. Le contexte n'avait rien de glamour : imaginez un peu, nous rentrions de vacances, coincés en voiture dans le tunnel de Fourvière, à Lyon.

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Cette fois-là, contre toute attente, j'ai répondu un truc du genre : 'OK, allez, faisons-le.’ Je ne me souviens plus bien, une sorte de flou artistique entoure ce moment. Même si je n'étais pas du tout pompette.

La précision a son importance : la situation n'a rien à voir avec celle où, verre après verre, l'on s'enthousiasme trop et où l'on se réveille le lendemain matin, enfarinée et effrayée en se souvenant brusquement des mots prononcés dans la soirée.

Jamais intéressée par le mariage

D'aussi loin que je me souvienne, le mariage ne m'a jamais intéressée. Enfant, je n'ai pas rêvé de la belle robe blanche et du prince charmant. Non seulement ça ne me faisait pas rêver, mais je crois que ça m'apeurait. Je ne suis pas timide, je suis très sociable, j'aime faire la fête, mais la perspective d'une journée où tous les yeux sont braqués sur la mariée, très peu pour moi, pas du tout mon genre.

J'ai assisté à de nombreux mariages. Qu'ils soient civils ou religieux, j'ai toujours eu l'impression qu'il s'agissait d'un grand rituel au cours duquel la femme était donnée au mari. J'ai eu le temps de constater que les futurs époux arrivaient au jour J, vidés émotionnellement et financièrement ! À l'âge que j'ai, j'avais traversé la vie sans passer par là et je m'en portais très bien.

Alors pourquoi ai-je dit oui ? Par générosité et par amour pour Éric, je crois. Notre mariage lui tient à cœur.

Dès le lendemain, tout content, Éric a appelé sa famille. Moi, je pensais que mon état d'esprit changerait en me plongeant dans le truc. En fait pas du tout. Quand je l'ai annoncé à mes proches, ils étaient contents pour moi, un peu surpris tout de même, car j'avais toujours clamé haut et fort : 'Jamais !’ Mais je faisais une tête d'enterrement.

'Qu'est-ce qu'il t'arrive ?’, me demandait-on. Mon attitude n'allait pas du tout. J'ai commencé à paniquer de plus en plus. Pendant des semaines, j'ai eu le cou bloqué par un torticolis qui sortait de nulle part et me réveillait la nuit.

Je faisais des cauchemars. Ma peur était physique, j'avais le ventre noué. Je me suis retrouvée un peu seule avec cette peur : elle n'était pas facile à partager, pas très compréhensible, personne ne me forçait la main.

L'apparition de réticences

L'espèce d'hystérie collective déclenchée automatiquement a conforté mes réticences. 'Est-ce que tu vas te fiancer ? – Ben non, j'ai 50 ans.’ 'Tu as pensé aux fleurs ?’ 'Vas-tu prendre un wedding planner ?’

Cette avalanche de questions qui, notons-le, ne tombe que sur la femme et jamais sur le futur mari, renforce mon avis qu'il s'agit d'une mascarade sociale. Quand on est jeune, ce sont généralement les parents qui payent le mariage. Plus à mon âge, évidemment. Je trouve qu'il s'agit aussi d'un marqueur social, une façon de montrer un peu sa réussite.

Cela ne me correspond pas. Ce n'est pas qu'il sera luxueux avec des bouquets ronds sur des nappes blanches ou tape-à-l'œil, non. Mais Éric a envie d'une grande fête. Nous avons deux grandes familles, des amis. Il y aura beaucoup de monde.

Quoi qu'il en soit, un volcan s'est réveillé en moi. J'ai bien été obligée de me demander pourquoi je réagissais de façon aussi virulente. Pourquoi, à mon âge, je n'arrivais pas à lâcher du lest.

Je n'ai pas d'exemple de mariage catastrophique dans mon entourage. Celui de mes parents était même très réussi. Je viens d'un milieu plutôt traditionnel où le mariage va de soi : des origines italiennes, un père chef d'entreprise, une mère au foyer... Mais ils ne m'ont pas mis de pression là-dessus. Mariée, avec trois enfants, ma sœur aînée avait fait le job.

Une crainte cachée ?

Alors, est-ce qu'être la reine de la journée m'est difficile ? Ai-je un problème de confiance en moi ? Ou en l'autre ? Au point d'avoir peur de nouer deux destins ? Je sais pourtant que je ne peux pas trouver meilleur compagnon de route.

Mais tout est peur dans ma réaction. Est-ce que je crains symboliquement de lâcher ma jeunesse ? Comme si le mariage me faisait vieillir plus vite et rentrer dans une temporalité dont je ne veux pas. Dès le milieu de la quarantaine, on commence à comprendre que l'expression “dans chaque vieillard, il y a un jeune qui se demande ce qu'il s'est passé” nous concerne.

Je sais, c'est ridicule et le côté Peter Pan au féminin m'a toujours hérissé le poil ! Je suis viscéralement attachée à ma liberté. Depuis que je suis enfant, je dessine des fenêtres ouvertes, quand je gribouille sur un bout de papier, je représente toujours des fenêtres, ouvertes, fermées, ouvertes...

Je suis viscéralement attachée à ma liberté.

Personne ne peut m'enfermer. Je suis d'ailleurs claustrophobe. Chez moi, je vis les fenêtres ouvertes, j'ai toujours l'impression qu'un ailleurs est possible. Cette bague au doigt a peut-être pour moi un côté 'les deux pieds pris dans le ciment'.

Pourtant, je n'ai jamais été infidèle et je n'ai pas l'intention de commencer maintenant. Ce n'est pas de ce registre-là. Mon couple est très stable et j'ai conscience de l'importance de cet ancrage. Non, vraiment, je crois que cela renvoie à cette liberté chevillée au corps.

Dans mes choix de vie, j'ai également fait celui de ne pas avoir d'enfant. Lorsque j'ai rencontré Éric, il était encore temps, si j'en avais eu envie, il aurait été d'accord.  Maternité et mariage... je m'aperçois que ce sont les deux passages que notre société attend d'une femme, tout du moins de ma génération. Rien à voir avec celle qui arrive !

Le mariage arrive

Le mariage aura lieu dans deux mois. J'y vais, pas question de m'enfuir. Le torticolis est derrière moi, pas les questions. Que signifie l'institution du mariage ? Est-ce archaïque pour une femme moderne ? Il va falloir que je me plonge dans le sujet.

Est-ce que ça va changer quelque chose dans la perception des autres, si oui, quoi ? Jusqu'à présent, quand je parle d'Éric, j'adapte mon vocabulaire en fonction de mon interlocuteur : Mon conjoint’, 'Mon compagnon’, 'Mon mec’. Mais 'mon mari’ ? On a beau dire, cette désignation porte le sceau de la propriété. En attendant, je cherche une bague qui ressemble le moins possible à une bague de mariage !"

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Cet article a été publié dans le magazine Marie Claire n°862 daté de juillet 2024.