"Être sur Tinder fait à peu près le même effet que d'être enfermée dans un magasin de bonbons à la nuit tombée et avoir le droit de piocher dans tous les bocaux : c'est très excitant.

Sur son profil, il suffit de mettre une photo mignonne, écrire une description de soi un peu rigolote, punchy et sexy mais attention pas trop non plus, et les compliments pleuvent. Rien de tel pour flatter l'ego. Tant que les échanges restent virtuels, on peut se donner l'âge que l'on veut, s'enlever quelques années, c'est très pratique.

Si la personne en face a de la répartie dans les échanges, cette première phase de ping-pong peut durer très longtemps. D'ailleurs, elle peut se suffire à elle-même : transformer l'essai dans la vie réelle n'est pas forcément indispensable. Là, je parle d'un point de vue strictement féminin, les mecs, eux, insistent...

Malgré tout, j'ai arrêté Tinder. La dimension catalogue ou viande sur l'étal du boucher de l'application a fini par me dégoûter. Une nuit, j'ai dit stop.

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Tinder est trop chronophage

Il était 2 heures du matin, je rentrais de chez un type avec qui j'avais une relation un peu suivie mais dépourvue de tendresse, sans aucun intérêt si ce n'est sexuel. Autant dire qu'elle s'est donc assez vite émoussée – je ne restais même pas dormir chez lui.

Je me suis donc posé la question : ai-je envie d'avoir cette image en tête quand je serai sur mon lit de mort ? Non. Cette perspective m'apparaissait même plutôt pitoyable.

J'ai 59 ans et en vieillissant, on prend conscience de la brièveté de la vie, on comprend que l'énergie n'est pas extensible à l'infini : quand on la met quelque part, on ne la met pas ailleurs. Or Tinder est très addictif et très chronophage. Là encore, ai-je vraiment envie de mettre mon énergie là-dedans ? Non.

Être célibataire me va très bien

Depuis trois ans, je n'ai donc ni vie affective, ni vie amoureuse, ni rien... Contre toute attente, je m'aperçois que cela me va très bien. Parfois, bien sûr, le doute me saisit, des petites inquiétudes surgissent.

Et si j'étais en train de passer à côté de ma vie ? Mais je trouve que n'avoir besoin de personne sur sa Harley-Davidson est aussi très grisant. Au désespoir de ma mère, qui est morte il y a six mois. Elle aurait pu se réjouir de voir que je pouvais m'assumer, que j'étais capable de rester seule, mais cela l'inquiétait.

Je crois qu'elle m'a toujours vue comme l'enfant que j'ai été, trop sensible, trop anxieuse, trop pâle, trop maigre... Bref, tout sauf une force de la nature. Ma mère pensait que si quelqu'un avait besoin d'un tuteur dans la vie, c'était bien moi. Finalement, peut-être pas. J'ai une perception un peu mystique de mon existence. Si le destin en a décidé ainsi, j'aurai une vie amoureuse. Mais sans doute a-t-il une autre idée pour moi. On verra bien.

Assumer cette croyance n'est pas toujours aisé. Mais je suis en phase avec moi-même. Je suis bien ainsi, j'ai pris l'habitude du célibat.

Entre 20 et 30 ans, j'étais même dans une boulimie de rencontres. J'aimais ça. Cent, deux cents hommes, peut-être plus. Je peux en citer trois.

Peut-être que je suis devenue ce que l'on appelle une célibataire endurcie ? Cela ne signifie par pour autant que je suis blasée. Pas du tout. J'ai même régulièrement des petits coups de cœur. Mais les hommes sont souvent en couple. Je me dis juste que si cela n'arrive pas ou plus, ce n'est pas grave, que j'aurai eu largement ma part.

Entre 20 et 30 ans, j'étais même dans une boulimie de rencontres. J'aimais ça. Cent, deux cents hommes, peut-être plus. Je peux en citer trois. C'est dingue quand même qu'il ne reste pas davantage de souvenirs. J'ai été très très amoureuse et aussi très très malheureuse. Je remarque que, bien que j'aie vécu quinze ans avec le père de ma fille, je n'ai pas été douée pour construire une vie affective. Je n'ai pas su faire mon miel de ces rencontres.

Que faut-il pour que les hommes comprennent que je suis disponible ?

Aujourd'hui, dans la vrai vie, c'est aujourd'hui, dans la vraie vie, c'est à croire que je ne parais pas disponible. Que faut-il pour que les hommes comprennent que je le suis ? Avoir des bas résilles en levant la jambe en l'air dans la rue ? L'époque n'est plus à la drague dans les lieux publics. Nombre de mes amis masculins n'osent plus faire un compliment ou aborder une femme. Ils ne savent plus comment s'y prendre.

Me concernant, mon comportement n'aide pas à franchir le pas : je ne m'aperçois jamais quand je plais. Myope comme une taupe, je ne vois pas quand je suis regardée avec insistance.

Surtout, rencontrer quelqu'un n'est plus si simple à 59 ans. Je suis bien obligée de constater que je suis devenue transparente pour une grande partie des hommes. Et à nos âges, ils ne sont pas si nombreux à être sur le marché. Quand ils se retrouvent seuls après une séparation, ils ne le restent pas longtemps. Ils se recasent avec la première qui convient à peu près. Quant aux femmes, si elles mettent la main sur un qui vaut le coup, elles savent que c'est une denrée rare, elles ne le reposent pas en rayon !

Résultat, les mecs vraiment intéressants ne restent pas disponibles longtemps sur les réseaux, il ne faut pas les rater.

Amours et désillusions

Comment construire une relation stable et saine avec un match sur Tinder ? Franchement, je n'ai pas réussi à résoudre l'équation. Après une rencontre via une appli, tu as beau savoir que le prince charmant n'existe pas, l'envie de se reconnecter pour voir s'il n'y a pas mieux taraude. Forcément, l'autre est confronté au même dilemme.

D'où le risque de l'y croiser et de s'apercevoir que lui aussi est retourné y faire un petit tour. C'est un cercle vicieux. Et encore nous, les femmes de ma génération, avons encore un pied dans le monde réel.

Comme je plains celle qui a grandu avec les réseaux sociaux. J'observe comment fonctionne ma fille de 23 ans : pendant quarante-huit heures, elle fait une moisson de mecs sur Tinder qu'elle transfère ensuite sur un compte insta. Non seulement, elle est incapable de draguer sans son téléphone mais toutes ses relations sont empêtrées là-dedans.

Très amoureuse de son dernier copain, elle n'a pas pu s'empêcher d'aller fouiller sur Internet pour trouver des infos sur son passé. Cela n'a pas raté, elle a déniché un ancien chagrin d'amour. Elle est devenue jalouse et chiante. Il en a eu marre, il l'a envoyée balader. Actuellement, elle reste au fond de son lit toute la journée. Soit elle dort, soit elle est... sur les réseaux.

Quand je pense à mon ex-belle mère ! Sa vie durant, elle a entouré son mari d'une grande affection, y compris après qu'il a eu un AVC. Ce qui ne l'empêchait pas d'avoir un tas d'amants, d'amantes aussi d'ailleurs. Tous rencontrés sans passer par Internet, bien sûr.

Elle, quel que soit son âge, elle se faisait draguer, y compris par des hommes de moins de vingt ans qu'elle. Au-delà du physique, tout dépend de l'énergie dégagée, et elle dégage une sacrée énergie. Aujourd'hui, elle fait ses 93 ans, c'est-à-dire qu'elle est fripée comme on peut l'être à son âge. Elle est dans un Ehpad, absolument ravie, avec une vie sexuelle épanouie. Pas besoin de portable, elle drague comme en 40, si j'ose la comparaison. Quelle chance !

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Article publié dans le magazine Marie Claire n°855, daté décembre 2023 - paru en novembre 2023