"J'y vais ou j'y vais pas ? J'avais envie mais j'hésitais. J'ai donc tiré une carte dans mon jeu d'oracle. Ma question était : "Dois-je donner suite et aller le voir ?" La carte indiquait : "On dit que l'amour triomphe toujours. C'est particulièrement vrai pour vous en ce moment. (...) Les conditions et le moment sont favorables, un nouveau projet vous attend."

 J'y suis allée.

Tout avait commencé un an avant, le 28 janvier 2023, un jour très particulier : je revenais de l'enterrement de mon grand-père, que j'aimais beaucoup, et c'était aussi mon anniversaire.

Vidéo du jour

Il m'a abordée dans la rue. Il était en train de démarcher les passants pour récolter des fonds pour une ONG. Il était beau comme un dieu. Un petit brun méditerranéen aux yeux verts. Comme j'étais en retard, j'ai filé récupérer mon gâteau à la pâtisserie. Au retour, il était toujours sur le trottoir. Je lui ai fait un petit coucou de la main sans m'arrêter. Il a planté la personne à qui il était en train de faire l'article et m'a couru après. Il m'a beaucoup complimentée : ça m'a fait un de ces biens...

"Tu es trop ma 'came', tu n'as vraiment pas le temps pour un verre ? Pourquoi tu ne veux pas me donner ton numéro ? C'est parce que tu as peur de t'attacher ?"

J'ai ri et répondu non, mais que j'avais un mari, un enfant, 43 ans et lui même pas 30 ans, que mes amis m'attendaient pour trinquer et souffler les bougies. J'ai néanmoins accepté de prendre son numéro. Je l'ai enregistré sous le nom d'Ismaël. Les mois suivants, à l'occasion, j'ai bien songé à le contacter, d'autant plus que j'étais dans un processus de séparation douloureux avec mon compagnon.

Je n'ai pourtant jamais franchi le cap.

Comme un air de déjà-vu

Le 18 décembre dernier, la veille des vacances de Noël, je sortais d'un rendez-vous place de Clichy. Je ne vais jamais dans ce quartier, mes bureaux sont à l'autre bout de Paris, gare de Lyon. Comme d'habitude, j'étais à la bourre pour aller récupérer ma fille à l'école, je marchais vite quand un type m'a abordée : “Qu'est-ce que ça changerait dans ta vie si tu faisais un don pour une ONG ?”

Il faisait nuit, je ne le reconnaissais pas, mais il y avait un air de déjà-vu. "C'est à cause de tes beaux yeux verts que tu me snobes ? Moi aussi j'ai de beaux yeux verts", m'a-t-il lancé, un peu arrogant. J'ai couru pour attraper mon bus, il n'a pas insisté.

Une fois assise, un tiroir de ma mémoire s'est ouvert : c'était lui !

Depuis, j'ai compris qu'il n'abordait que les femmes, ce sont elles les plus généreuses et c'est pratique pour ses plans cul... Sur le moment, impossible de me souvenir de son nom. J'ai mis un quart d'heure à retrouver un numéro enregistré avec le prénom d'une personne que je ne connaissais pas et j'ai envoyé un message.

C'était bien Ismaël !

On se chauffe par téléphone

Compte tenu du nombre de personnes qu'il voit défiler dans la journée – et de toutes celles qu'il branche, bien sûr – il ne se souvient pas de moi. Il aurait pu la jouer : "Ah oui, je me souviens de toi, comment aurais-je pu t'oublier ?"

Là, j'apprécie sa franchise. Il annonce la couleur : il ne cherche pas de relations stables, a de nombreuses aventures, il ne veut pas s'attacher. Quelques jours passent. Un soir, nous échangeons des textos et ça chauffe assez vite. Il a envie d'un “sex time”, en gros un plan par téléphone... Je ne sais même pas quel mot convient !

Ce sont les vacances de Noël, je suis chez mes parents et pas du tout dans l'ambiance. Je lui écris : “Moi, je suis des années 80 et à mon époque, on se voyait dans la vie réelle. Je ne vais pas te faire kiffer à travers un téléphone.”

Et je conclus : “Too much pour moi Casanova. Bonne nuit.”

Ah ah, j'ai changé d'avis depuis ! Mais là, c'était trop intrusif, trop de fantasmes projetés sur moi. Je le classe dans la rubrique “psychopathe/obsédé du cul” et décide de ne pas lui réécrire.

Il se nourrit de cul et de fantasmes

Début janvier, Ismaël me recontacte en s'excusant de ne pas avoir donné de nouvelles – je n'en cherchais pas de toute façon – et en me disant qu'il lui est arrivé un truc très sérieux le 1er janvier.

On repart dans un échange de messages. Il parle très librement de sexe. Il en parle comme on parlerait de nourriture. En fait, il se nourrit de cul et de fantasmes.

Il n'aime pas aller au resto, ne fait qu'un repas par jour. Tout le contraire de moi ! Évidemment, il propose que l'on se voie. "String ou tanga ?", m'écrit-il. J'hallucine : "String, ça existe encore ce truc ? Moi, ça sera soutif et culotte. Ça le fait quand même ?"

Je n'avais que des vieilles culottes détendues. Depuis, je me suis acheté une jolie parure...

Le retour ardent du désir

Je me suis préparée. Vernis sur les ongles de pieds. Gommage sur les jambes, avec une crème qu'on m'avait offerte, périmée depuis six ans... Je flippais un peu d'une réaction allergique, mais elle m'a fait la peau toute douce.

J'ai eu droit à un très bon accueil : "Ouah, tu es encore plus canon que dans mes souvenirs." Nous avons bien pris le temps de parler de mon stress. J'ai dit que je n'avais pas fait l'amour depuis un an, que j'avais passé ces treize dernières années avec le même homme, etc. Là-dessus, il était très rassurant.

C'était un énorme queutard, mais il faisait passer mon plaisir avant le sien. Tout s'est enchaîné naturellement. À part cette histoire de préservatifs... Je n'avais pas pris les XXL et il était comprimé. Il n'avait qu'à apporter la bonne taille !

J'ai eu des courbatures plusieurs jours... Moi qui étais parvenue à me convaincre que le sexe n'était pas important pour moi, eh bien non ! Le désir était revenu. Fort. Avec l'envie de vivre ça en boucle, que la soirée n'en finisse pas, cette impression que le temps s'arrête. C'est cliché, mais c'est vrai : comme le vélo, ça ne s'oublie pas.

Avec mes copines, qui suivent l'affaire depuis le début, bien sûr, on en rigole. Célibataires ou en couple, ça les rassure : “Ah, Charlotte, tu nous fais rêver !” Eh oui, je suis vraiment “sa came” comme il m'avait dit la première fois que l'on s'était croisé. J'ai des formes et il adore ça.

On a décidé de se revoir une troisième fois

On s'est revus une deuxième fois. C'était génial. Et j'ai encore eu des courbatures partout. Heureusement que je fais du Pilates ! Jamais je n'aurais pensé que je me féliciterais de prendre des antidépresseurs. Ils avaient fait disparaître tout soupçon de désir.

Avec Ismaël, c'était reparti. Je me connais, sans les médicaments, je serais en train de courir en feu dans la rue !

Sans surprise, vu son âge – il a 28 ans –, il m'a envoyé une photo de son sexe. “My god !”, j'ai écrit. “Tu n'aimes pas ?” Ma réaction a bien fait rire une collègue de travail de 25 ans : “Comment ça, tu n'avais jamais reçu de 'dickpic' ?”

On a décidé de se revoir une troisième fois.

Il m'apporte de la légèreté

Combien de temps cette histoire va-t-elle durer ?

Nous n'avons absolument rien en commun et quinze ans d'écart. Mais pour l'instant, nous nous faisons du bien.

Nous sommes tombés l'un sur l'autre au bon moment. Il vit une période pas facile, il a trouvé du réconfort avec moi. Lui m'aide à prendre le virage de la séparation dans ma vie personnelle. Il m'apporte de la légèreté.

Cette sensation de plaire à quelqu'un – et aussi à soi – est délicieuse. Je plais et je me plais encore : ça me fait la journée. Il faudrait que j'arrête avant que cela ne finisse en chagrin d'amour. En chagrin de plan cul, plutôt. Mais j'ai beau en avoir pleinement conscience, c'est comme quand on mange un très bon éclair au chocolat, on continue tant qu'il en reste !"

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Article publié dans le magazine Marie Claire n°861