"J'ai grandi dans l'idée que je pourrai faire ce que je voulais. Mon père avait une exploitation d'arbres fruitiers et, avant lui, sa famille a toujours travaillé la terre, mais je n'avais pas de modèle de femme agricultrice.

Ma mère, infirmière, ne venait pas de la campagne, ses parents étaient commerçants à Versailles. Je me disais que je partirai faire des études loin de ma Bourgogne natale, c'est ce qui s'est passé. En 1995, à 15 ans, j'ai quitté Dicy, notre village de trois cents habitants, pour l'internat. Après mon bac scientifique, j'ai fait une prépa à Dijon, une maîtrise en langues étrangères appliquées, et enfin un DESS en administration des entreprises à Bordeaux.

Sébastien, mon futur mari, y habitait déjà. Nous nous étions rencontrés au lycée. Il venait aussi de l'Yonne, mais il avait trouvé à Bordeaux un poste d'agent commercial. Nous nous sommes mariés, avons fait construire une maison, fondé une famille. J'ai trouvé un poste de responsable administrative et financière dans un laboratoire de recherches en mathématiques. J'y suis restée dix ans. J'étais heureuse, la ferme familiale ne me manquait pas.

Les choses ont commencé à changer quand mon père s'est approché de la retraite.

À 39 ans, l'envie de faire autre chose

Aînée d'une fratrie de quatre, je l'ai incité à réfléchir à la cession de son exploitation. Il nous a sondés sur nos envies. Quand je lui ai écrit par mail les raisons de mon refus, j'ai, en fait, compris l'importance que j'accordais aux aspects positifs de son mode de vie.

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Durant mes années passées en ville, j'avais eu beau chercher des magasins bios et des petits producteurs, je n'avais jamais trouvé des pommes avec les mêmes arômes que les siennes. J'avais été élevée dans l'idée de l'autosuffsance. Grâce aux produits de la ferme, on mangeait simple et sain sans dépendre des autres. Et puis ma famille avait un super terroir, qui attirait une belle clientèle.

C'était comme si le lieu nous attendait. Les enfants étaient trop jeunes pour décider. La grande était attachée à ses copines, mais elle s'est vite intégrée.

Je ne pensais pas pour autant quitter notre vie bordelaise. C'est Sébastien, en 2019, qui a lancé l'idée. La vie de commercial ne lui correspondait plus. Son père aussi partait à la retraite, son entreprise de transformation de bois était à reprendre.

À 39 ans, j'avais envie de faire autre chose. Nous nous sommes décidés en mars, ce qui nous laissait du temps avant la rentrée des enfants – nous en avons trois, l'aînée avait alors 9 ans, le plus jeune 1 an. Le déménagement a été fluide.

Nous avons vendu notre maison en deux heures. À Dicy, l'exploitation comporte plusieurs bâtiments. Mon frère, agriculteur céréalier, y habitait déjà, mais il y avait de la place pour nous. C'était comme si le lieu nous attendait. Les enfants étaient trop jeunes pour décider. La grande était attachée à ses copines, mais elle s'est vite intégrée.

Trouver notre place dans le giron de nos familles

Pour mon mari et moi, le retour dans le giron de nos familles s'est avéré plus compliqué. Nous étions partis avec le statut d'enfants, nous revenions pour reprendre les entreprises familiales. Il a fallu trouver notre place.

Quand on cultive des pommes et des poires, on fait tout, de la production à la vente en passant par le conditionnement. Je n'avais pas de formation agricole, aucune expérience, mais l'exploitation aurait été trop lourde à porter pour mon frère seul, mon arrivée tombait bien. Je me suis mise au travail tout de suite.

Mon père s'est montré impliqué et ouvert à mes idées. Il m'a encouragée.

La tâche était énorme car il y avait beaucoup d'arbres à replanter, mais l'exploitation allait bien. Il faut dire que, dès les années 50, mon grand-père avait modernisé son métier. Féru des méthodes à l'américaine, il avait participé au remembrement (regroupement des parcelles pour une utilisation plus rentable des sols, ndlr), ce qui lui avait permis de sécuriser ses revenus grâce à une plus grosse production.

Plus sensible à l'écosystème, mon père s'était aussi ensuite montré précurseur, passant au bio dès les années 80. Un pari risqué car l'absence d'insecticides rend la production plus sensible aux conditions climatiques, mais maîtriser toute la chaîne jusqu'à la vente en direct à la boutique assurait son indépendance, dont je profite à mon tour.