"L'idée d'une pause avec moi-même me titillait depuis une bonne quinzaine d'années. Longtemps, elle est restée à l'état de fantasme. À 56 ans, je n'avais jamais pris une semaine pour moi seule. Même en vacances, je partais toujours avec mon compagnon, des amis ou de la famille.

Alors, imaginez, consacrer dix jours à faire un jeûne thérapeutique, c'était tout sauf simple ! Mais ces deux dernières années, j'ai été confrontée à deux “évènements”.

Premièrement, la crise de la cinquantaine m'est tombée dessus. Je la distingue de celle de la quarantaine, un peu fofolle, un peu ado, où on a l'impression d'une seconde jeunesse et on se dit que c'est maintenant ou jamais. Non, il s'agissait d'un questionnement existentiel, plus sombre : qu'ai-je fait de ma vie ?

Je suis plutôt joyeuse de nature, optimiste, et là tout me pesait, me plombait. Mon état m'a fait un peu peur. Alors que je n'étais même pas encore ménopausée, qu'allait-il se passer avec tous les bouleversements hormonaux à venir ?

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Deuxièmement, je me suis retrouvée en première ligne avec des parents vieillissants. Mon père est tombé gravement malade, je m'en suis beaucoup occupée, avec une abnégation totale. Moi qui, par choix, n'ai pas eu d'enfant, je suis passée directement du statut de fille de mes parents à cheffe de famille.

Le cœur de mon père a lâché l'an dernier. Ce fut un grand choc. Son décès et le deuil ont accentué les manifestations de ma crise existentielle. Avec sa mort, je me suis pris la mienne en pleine poire. J'ai réalisé brutalement ma propre finitude et le temps qui passe. Il ne m'en restait pas tant et je me suis demandé comment je voulais l'utiliser.

Un départ, comme une évidence

C'est ainsi que j'en suis venue à repenser à ce jeûne. Il m'est apparu comme une évidence.

En me lançant dedans, j'avais quand même une légère appréhension. Qu'allait-il déclencher chez moi ? Allais-je tout bazarder pour aller faire de la poterie dans les Cévennes vêtue d'une toge ?

Je savais bien que je n'avais aucune envie d'abandonner ma vie parisienne mais il est impossible d'anticiper ce qui peut se produire en cas de révélation. Je souhaitais un cadre ultra-sérieux. Pas question de crapahuter en randonnée avec une naturopathe en reconversion !

J'ai bien en tête toutes les dérives qui existent autour de cette pratique. J'ai donc choisi un jeûne médicalisé dans une clinique en Allemagne.

Des micro-salades de fruits, du bouillon de légumes midi et soir

Sur place, mes doutes se sont rapidement dissipés. Bilan médical, analyses de sang, présence de médecins et d'infirmières : l'accompagnement était très professionnel.

Mon jeûne s'est hyper bien passé. Mais attention, j'étais en bonne condition physique. Je n'étais pas là à cause d'une maladie, d'une addiction ou d'un surpoids.

Tout le monde ne le vit pas aussi bien. Pendant six jours, on ne mange quasiment rien, des micro-salades de fruits, du bouillon de légumes midi et soir et encore même pas à volonté... Bizarrement, Je ne ressentais pas la faim. C'est comme si mon corps me remerciait de le mettre au repos.

Alléger le psychique, pas le physique

Mon but n'était pas de maigrir, et j'ai d'ailleurs repris les 2-3 kilos que j'avais perdus là-bas, plutôt d'enlever des couches psychologiques en trop. Je venais pour alléger le psychique, pas le physique. Et ma lourdeur mentale s'est envolée.

J'ai découvert une incroyable légèreté. J'avais peur d'être amorphe, toute molle, sur mon lit. C'est tout l'inverse qui s'est produit.

Comme une mue. Je me suis extraite du bruit du monde. [...] Je croyais que le jeûne c'était du manque et du vide. C'était tout l'inverse.

Rien de magique, cela s'explique, le corps ponctionne ses réserves. J'avais une vitalité incroyable. Je dormais à 22 heures, me levais à 6. J'ai découvert la lenteur. Un truc de dingue, moi qui suis plutôt "speed". Je me suis mise à faire des grandes marches très lentes autour du lac. Plus je marchais, plus j'avais d'énergie.

Je lisais beaucoup, contemplais la nature, me débarrassais du superflu. Comme une mue. Je me suis extraite du bruit du monde. Alors qu'en arrivant, je me disais : mince, je vais rater plein d'invitations et d'évènements sociaux, je ne voulais plus repartir. Je croyais que le jeûne c'était du manque et du vide. C'était tout l'inverse.

Le cadre est primordial

Pourquoi payer pour ne rien manger alors qu'on peut le faire chez soi ? s'interroge-t-on souvent. Il n'est pas seulement question de ne pas manger. Le cadre est primordial.

Par exemple, après le déjeuner, il y avait un temps de repos de trente minutes avec une bouillotte sur le foie pour aider la digestion. Le troisième jour, j'étais allongée avec ma bouillotte quand j'ai ressenti une joie enfantine, très profonde. J'avais l'impression que mon cerveau partait se balader au-dessus du lac.

Je peux imaginer que des drogues produisent le même effet. Mais là, c'est le repos qui créait ça, même pas une activité physique. Cette expérience m'a un peu sonnée.

Des micro-ressources qui durent dans le temps

J'avais la crainte que les bienfaits s'estompent avec le temps. Quatre mois après, je les ressens encore. Je suis plus sereine, plus lumineuse. Mon entourage en profite. C'est cette persistance qui est particulièrement intéressante.

Bien sûr, depuis quatre mois, je ne vis pas sur un petit nuage, je suis toujours dans le deuil de mon père et la vie professionnelle est stressante. Mais le jeûne a fait disparaître cet amoncellement noir qui stagnait au-dessus de ma tête depuis un moment.

J'ai de nouveau des envies. Je constate que lorsque je me lève du pied gauche ou que j'ai un petit coup de blues, je parviens toujours à inverser la tendance. J'ai conservé des micro-ressources.

Une révélation et une nouvelle manière de vivre

Dans notre société d'abondance et de surconsommation, la frugalité m'a remise sur les bons rails : j'ai compris qu'il y avait des moments, dans la vie, qui étaient des croisements.

Lorsque l'on traverse une période sombre, on peut s'engager très vite et sans même s'en apercevoir dans la mauvaise direction. Cette expérience m'a donné beaucoup de force et m'a montré que de nombreux champs des possibles étaient encore en moi.

Quel est mon rôle à présent ? Je ne sais pas si j'en ai un spécifique, peut-être tout simplement d'être présente pour mes proches.

En ralentissant le pas, le cerveau ralentit aussi, il se détend immédiatement. Et en pensant plus lentement, je pense peut-être mieux.

Par rapport à mon questionnement initial sur ce que je devais faire du temps qu'il me reste, je ne suis pas revenue du jeûne avec un gros projet qui chambarde tout. Peut-être y ai-je répondu, en me disant : profite !

Je me suis mise à la danse, je n'avais jamais osé en faire. J'aime beaucoup marcher. Avant, j'allais très vite, bien droite, un peu crispée. Je me suis aperçue qu'en allant lentement, je n'arrivais pas pour autant beaucoup plus tard.

Vouloir tout faire à toute allure est un de mes gros soucis dans la vie. En ralentissant le pas, le cerveau ralentit aussi, il se détend immédiatement. Et en pensant plus lentement, je pense peut-être mieux, avec plus de clarté. Quand je ne fonce pas, tout fonctionne très bien. Cela peut sembler naïf mais cela a été une révélation.

Alors, je reste humble, c'est un “work in progress”. Mais c'est comme si j'avais tourné une page pour en ouvrir une autre."

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Article publié dans le magazine Marie Claire n°857, daté février 2024 - paru en janvier 2024