Dans une logique de répartition équitable, la personne qui travaille le plus au sein du foyer - et généralement, y rapporte le plus d’argent - devrait être moins concernée par les tâches ménagères que son/sa conjoint.e. 

Mais des chercheurs britanniques de l’université de Bath (Angleterre), ont pointé du doigt une réalité bien différente, dans une étude publiée le 9 mars 2022, dans la revue Work, Employment and Society et reprise par Néon

Selon ces derniers, dans les couples hétérosexuels mariés où les femmes gagnent plus que leurs maris, ce sont elles qui continuent à assumer la majorité de l'entretien de la maison. Et plus l’écart de salaire est important, plus la charge mentale domestique grimpe

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Obligées de compenser “les rôles traditionnels des genres” bousculés

“Malgré l’augmentation de l’emploi et des revenus des femmes sur le marché du travail, l’écart entre les genres, en matière de responsabilité domestique, persiste”, commence l’étude. 

Et cette inégalité n’est pas nouvelle. En 2020, l’Observatoire des Inégalités indiquait que 80% des femmes faisaient la cuisine ou le ménage au moins une heure chaque jour, contre 36% des hommes. 

Pour rappel, une Française sur deux est désormais favorable au délit de non-partage des tâches ménagères, proposé par l'économiste et écologiste Sandrine Rousseau. 

Mais, en analysant les comportements de 6643 couples hétérosexuels mariés américains, les scientifiques ont noté, que même dans les cas où la femme rapportait plus d’argent à la maison, c’était elle qui gérait la charge mentale domestique.

"À mesure que l’écart de rémunération entre les genres se réduit et que le revenu relatif des femmes augmente, l’écart entre les genres, en matière de travaux ménagers s’agrandit”, peut-on lire dans l’étude. 

"L’effet traditionnalisant" de la parentalité

Par contre, Joanna Syrda, chercheuse instigatrice de l’étude, précise n’avoir remarqué ce gap, que dans les couples avec enfant(s). 

“Le résultat frappant, est que l’écart dans la répartition des tâches domestiques ne se produit pas lorsque les femmes gagnent plus que les maris, mais lorsque les mères gagnent plus que les pères”, indique-t-elle dans les dernières lignes de sa recherche.

Selon elle, si la théorie économique ne s'est pas révélée concluante - la scientifique rappelle que l'une des attentes de la "révolution du genre" des années 1960 et 1970 était que l'augmentation du niveau d'emploi et des revenus des femmes s'accompagnerait d'une plus grande participation des hommes aux activités domestiques - c’est qu’il s’agirait d’un problème de “normes sexistes intériorisées”.

“Les couples qui ne s'inscrivent pas dans un schéma traditionnel (l’homme gagnant plus que sa conjointe, ndlr) peuvent être perçus - à la fois par eux-mêmes et par les autres - comme s'écartant de la norme. Ils compensent ce manque de traditionnalité, par le biais des tâches ménagères et rectifient cette situation "anormale", en s'appuyant sur d'autres normes de genre conventionnelles", a-t-elle déclaré à Science Daily

Une révolution bloquée 

Si la scientifique l’accorde, certaines tâches concernant l’enfant sont dirigées vers la mère (allaitement, ect…), l’étude ne portait pas seulement sur la charge résultant des progénitures, mais surtout sur “le temps passé à cuisiner, à nettoyer et à faire d'autres travaux dans la maison”.

"Par conséquent, une division des tâches ménagères spécifique au genre n’est pas justifiée - si la femme a le revenu le plus élevé du foyer, alors, la transition vers la parentalité ne devrait pas entraîner une division plus traditionnelle du travail domestique, car cela ne va pas améliorer la qualité de vie globale du ménage”.

Malheureusement, selon la spécialiste, ces comportements incrustés n'encouragent pas la modification des attitudes envers les normes genrées dépassées.

"La façon dont les couples se répartissent la charge de travail domestique, après être devenus parents, sera un déterminant important des inégalités de revenus entre les femmes et les hommes au cours de leur vie - ce modèle, une fois établi, est souvent difficile à renégocier. Ces normes peuvent aussi être transmises à leurs enfants", ajoute la britannique.

Et cette "révolution bloquée" inquiète. "Les femmes peuvent se sentir obligées de compenser l'inversement des rôles traditionnels de genre, en redoublant leurs contributions à la maison", explique Raina Brands, spécialiste des stéréotypes de genre et professeure à l'Université de Londres, interrogée par la BBC à la sortie de l'étude.

"Mais ce que les couples doivent garder à l'esprit, c'est que les sentiments d'inconfort peuvent conduire à des décisions familiales très irrationnelles, telles que les femmes choisissant de gagner moins ou de quitter entièrement le travail rémunéré (ce qui nuit à la sécurité financière du ménage), ou d'accepter plus que leur juste part de travail domestique (ce qui conduit à l'épuisement)", a-t-elle alerté.