Comment faire la différence entre hypersensibilité et dépression ?

Par Mélanie Hennebique
Publié le
hypersensibilité et dépression
Pris séparément, l’hypersensibilité et la dépression sont deux conditions bien distinctes. Pourtant, ce trait de personnalité et ce trouble psychique peuvent être intrinsèquement liés. Des connexions ont d’ailleurs été établies entre les deux par des experts de la santé mentale. Explications.

Entre hypersensibilité et dépression, il n’y a qu’un pas ? La réponse est plus complexe que cela. Si la dépression peut prendre la forme d’une hypersensibilité dans la vie de tous les jours, les personnes hautement sensibles peuvent également voir leur particularité les mener vers ce trouble psychique.

Il convient toutefois de distinguer les deux. L’hypersensibilité, qui toucherait environ un quart des Français, est un trait de personnalité. La dépression est, quant à elle, un trouble psychique, établi à la suite d’un diagnostic psy. D’après Santé Publique France, 18% de la population montrait les premiers signes d’un état dépressif en 2022.

Différentes par leur essence, ces deux conditions sont pourtant étroitement liées, et parfois même confondues. Cela veut-il dire qu’une haute sensibilité est la porte ouverte à un risque élevé de déclarer un état dépressif ?

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Hypersensibilité : un facteur de risque face à la dépression ?

Nathalie Clobert, psychologue clinicienne, insiste sur l’importance de différencier hypersensibilité et dépression. Car, comprendre ce qui les distingue permet d’y voir plus clair.

"La haute sensibilité est un trait de personnalité qui a des avantages et des inconvénients. Les personnes qui l'expérimentent sont plus sensibles à leur environnement : s’il est positif, il sera un facteur d’épanouissement, car elles y sont plus réceptives, et inversement", explique l’autrice de Domptez votre hypersensibilité (Ed. Leduc).

Pour ce qui est des liens avec la dépression, l’experte confirme que la haute sensibilité est bien un facteur de risque. Car, être sensible à son environnement est une chose qui peut, dans certaines situations négatives, nous rendre plus vulnérable que les autres, et favoriser l’anxiété.

"Des études ont relevé un lien entre anxiété et la dépression, et on peut en conclure que les personnes hautement sensibles sont plus exposées au développement de traumatismes ou de troubles anxieux", ajoute l’expert.

Hypersensibilité et dépression : ce que dit la science 

On pourrait donc imaginer que la haute sensibilité peut mener à un terrain dépressif. Mais trop peu d’études ont suffisamment exploité le sujet, notamment celui de l’hypersensibilité, pour poser un constat clair. 

Pour Saverio Tomasella, aucune preuve scientifique ne permet d’établir un lien entre ces deux conditions. Mais, au regard des témoignages qui émergent, des connexions ont été établies.

D’abord, le psychanalyste et docteur en psychopathologie évoque la piste génétique : pour 40% des personnes hautement sensibles, l’origine de cette haute sensibilité serait un gène différent au niveau de l’utilisation de la sérotonine, qui aurait un allèle plus petit. "Elles serait plus exposées à la déprime, à l’anxiété et auraient davantage de tendances suicidaires", avance l’expert. En d’autres termes, la sérotonine est moins bien utilisée par cette frange de la population.

Sur le plan cérébral, les personnes hautement sensibles possèdent un hypothalamus (une région située à la base du cerveau et dédiée au tri des informations, ndlr) qui fonctionne en sous-activité. "C’est pour cette raison qu’elles se sentent sans filtre et bombardées d’informations sensorielles", affirme Saverio Tomasella. Comme ce centre de tri est moins actif et que ces personnes sont plus affectées par tout ce qui les entoure, elles seraient alors prédisposées à la déprime et à la dépression.

Aussi, les hypersensibles saturent facilement. Le bruit, la lumière, les odeurs… Ils sont rapidement hyperstimulées. D’un point de vue neuroaffectif, elles sont également perméables aux émotions des autres et vivent une sorte de surcharge affective. Là aussi elles sont fragilisées.

Une piste traumatique est également envisagée. Deux réponses existent : "dans le cadre d’un traumatisme précoce, il y a le combat ou la fuite, et l’organisme produit plus d’adrénaline puis de cortisol pour compenser. Dans le cadre d’un traumatisme fort, c’est la sidération, le nerf vague dorsal est activé, et les personnes se retrouvent dans une certaine torpeur", détaille l’expert. Et, de loin, ce figement peut donner l’impression qu’il s’agit d’une dépression, alors que ce n’est pas le cas.

Enfin, la piste environnementale, découverte récemment, implique aussi pour la personne hautement sensible d’être bien plus enthousiaste dans un cadre positif. À l’inverse, évoluer au milieu du dénigrement ou des critiques peut nuire à sa santé et la rendre déprimée, anxieuse, ou provoquer l’apparition d’idées noires.

Comment distinguer les deux ?

Ressentir des émotions négatives et les vivre d’une façon bien précise n’est pas toujours le signe d’une hypersensibilité ou d’une dépression. "Il y a une confusion quand les gens viennent consulter", confirme Nathalie Colbert. "Ils viennent quand ils ont du mal à gérer leurs émotions négatives, et se disent qu’ils sont hypersensibles, mais il arrive qu’elles soient en réalité déprimées", ajoute l’experte. 

Pour mieux comprendre la nuance entre les deux, la psychologue explique qu’en cas de sensibilité élevée, l’intensité émotionnelle s’opère sur toutes les émotions : qu’elles soient positives ou négatives, et cette condition existe depuis toujours.

"Alors que quelqu’un de déprimé porte des lunettes noires et n’a que le côté négatif des émotions. Les émotions positives sont moins présentes et ce sentiment est récent", compare Nathalie Colbert.

La réactivité émotionnelle entre aussi en jeu. "Chez les personnes hautement sensibles, l’émotion va passer très vite, alors qu’elle persistera chez la personne déprimée", ajoute la psychologue.

Elle précise d’ailleurs que l’expression des émotions n’est pas nécessairement un indicateur d’une condition particulière. Si certaines personnes sont introverties et sont capables de cacher ce qu’elles ressentent, d’autres sont très expressives. "Mais ce ne sont pas forcément des personnes hautement sensibles, mais plutôt des personnes qui n’arrivent pas à gérer leurs émotions", nuance l’auteure.

De l’importance de prendre en compte les particularités des hypersensibles en consultation

Le sujet est particulièrement complexe pour les personnes directement concernées. Et il peut l’être aussi pour les professionnels de la santé mentale qui les accueillent.

"La dépression se soigne à peu près de la même manière chez tout le monde, mais il faut prendre en compte les particularités d’une personne", explique Nathalie Colbert.

Sur le sujet, Saverio Tomasella dénonce le manque de formation des professionnels de la santé mentale à la haute sensibilité.

Il affirme qu’une personne qui consulte en raison de sa difficulté à vivre son hypersensibilité sera souvent diagnostiquée bipolaire et traitée pour cela, qu’elle ait ou non une tendance à la dépression. "Et c’est grave, car l’hypersensibilité n’a pas à être traitée", rappelle le psychanalyste.

Dans d’autres cas, la personne ne va pas bien, consultera un.e psychiatre qui lui donnera le même traitement qu’aux autres. Or, les personnes hautement sensibles ont des caractéristiques dont il faut tenir compte dans le traitement.

"Elles sont facilement fatigables, très dépendantes du regard des autres et sujettes au surmenage", prend en exemple Saverio Tomasella. Regarder trop souvent les informations télévisées n’est pas bon pour elles, tout comme consommer du café ou du thé, "car le système nerveux ne le supporte pas". Aussi, l’expert ajoute que les personnes hautement sensibles ont besoin d’une heure de plus de sommeil par nuit pour réguler leur système nerveux.

Dans ce cas de figure, "un médecin pourrait conseiller de faire attention à son alimentation, à la qualité de ses nuits et à éviter l’actualité. De cette manière, on saurait s’il s’agit d’une personne qui est vraiment dépressive" ou qui peine à vivre avec sa sensibilité, poursuit l’expert.

Hypersensibilité et dépression : des ressemblances à ne pas confondre

Du côté des psychologues et psychiatres, il apparaît donc primordial de prendre en compte les caractéristiques de personnes hautement sensibles pour ne pas les confondre avec une dépression. Une personne hypersensible cogite sans cesse, "alors que les personnes qui ne vont pas bien ruminent", commence Saverio Tomasella. Ce n’est pas la même chose.

La fatigue est aussi importante. Être hautement sensible implique une hyperstimulation qui épuise sur le long terme. "Le psychiatre ne doit pas la confondre avec le symptôme dépressif qui est le manque d’énergie", indique le docteur en psychopathologie.

Quant aux émotions, qui sont plus variées, il est aussi possible de lier l’émotivité à la dépression alors qu’il s’agit d’une extrême sensibilité. D’ailleurs, une grande partie des hypersensibles sont des éponges émotionnelles. "On va être affecté par la tristesse des autres, et si on croit que c’est notre propre tristesse, on va prendre ça pour quelque chose de plus profond et pour une dépression", analyse notre expert.

Dans tous les cas, il convient donc de creuser l’origine des difficultés rencontrées par la personne qui consulte. "Lorsqu’une personne hautement sensible est bien diagnostiquée dépressive, il faut intégrer des besoins spécifiques à la personne. En l’occurrence, ici, d’être plus vigilant sur son environnement pour qu’il ne soit pas négatif", explique Nathalie Colbert.

Quid du traitement ?

Les anti-dépresseurs sont des médicaments qui permettent d’augmenter l’activité de certaines substances chimiques dans le cerveau. Ils ont des effets sur les émotions et les fonctions cognitives. Et ce n’est pas anodin pour les personnes hautement sensibles.

D’après Saverio Tomasella, les personnes hypersensibles ne sont pas traitées différemment alors qu’elles le devraient. "Elles sont beaucoup plus réactives au traitement, et ne vont pas avoir besoin du même dosage que les autres. Elles seront aussi plus réactives aux effets secondaires", affirme le psychanalyste.

Aucune preuve scientifique n’existe sur le sujet. Toutefois, Nathalie Clobert explique que la consommation d’anti-dépresseurs "lisse notre humeur et notre vécu, et c’est difficile à vivre pour les personnes hautement sensibles, car elles ne ressentent plus avec autant d’intensité".

Le contexte dans lequel se déroule la thérapie et dans lequel le traitement est administré est aussi un élément crucial. "On sait que pour tout patient, hautement sensible ou non, l’effet placebo est important. Si le médecin dit quelque chose de négatif à un moment de la consultation, le traitement ne va pas bien marcher, mais s’il dit quelque chose d’encourageant, c’est l’inverse", détaille Saverio Tomasella.

Et ce phénomène est décuplé chez les hypersensibles, car ils sont plus réceptifs aux personnes encourageantes ou décourageantes. Pour Nathalie Colbert, elles vont même profiter davantage de l’intervention thérapeutique que les autres.

"Si c’est un épisode dépressif passager, ils vont faire un bon travail d’introspection et seront plus facilement aidé", explique la psychologue. "Ce sont donc de bons patients, à condition qu’il n’existe pas en amont des troubles de la personnalité", conclut-elle.

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