Ce qu'il se passe dans le corps quand on fait une dépression nerveuse

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La maladie du siècle reste un mystère pour le commun des mortels et un casse-tête pour le corps médical. Comprendre son processus sur les plans psychologique et physiologique peut nous aider à avoir le bon réflexe, au bon moment.

En France, elle concerne 10% de la population et constitue la première cause de suicide avant 40 ans. Les chiffres avancés par le Professeur Michel Lejoyeux, psychiatre et auteur de En bonne santé avec Montaigne (Éd. Robert Laffont), en disent long sur l’impact de la dépression nerveuse.

Publiée en juin 2022 par la plate-forme en ligne de réservation de rendez-vous médicaux Doctolib, une étude témoigne des progrès de cette pathologie qui atteint le corps et l’esprit : les consultations de psychiatres ont grimpé de 32 % en 2021, tandis que celles de psychologues ont doublé sur la même année. La tendance ne faiblit pas : au premier trimestre 2022, le nombre de recherches pour trouver un psychologue sur Doctolib a augmenté de 69 % sur un an.

Faisant écho au célèbre philosophe Michel de Montaigne, le Professeur Lejoyeux appelle toutefois à distinguer, la tristesse de ce qu'on appelle en psychiatrie la dépression majeure ou "épisode dépressif caractérisé". Selon le professionnel, la tristesse est un sentiment pur alors que la dépression est un mélange entre émotions et manifestations physiques.

"La dépression est une pathologie qui se traite, à condition qu’on la reconnaisse comme maladie. Or, le patient met souvent en place des modes de pensée d’évitement pour la justifier. L’entourage bienveillant essaye de lui remonter le moral, mais c’est contre-productif", dit le professeur de psychiatrie à l’Université Paris-Cité. "Face à une personne triste, qui a maigri et n’a plus envie de rien, inutile de lui faire la morale ; il faut l’encourager à consulter. Il est possible de chasser la tristesse en psychothérapie, mais face aux signes cliniques de la dépression, il faudra un traitement médical".

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Alors, que se passe-t-il exactement quand on entre en état dépressif ?

Des dysfonctionnements cérébraux physiologiques et chimiques

"Il s'agit d'un état d'épuisement à la fois psychique et physiologique", nous dit le Dr. Éric Griez, médecin psychiatre. "Il affecte certaines parties du cerveau, notamment le cerveau cognitif : le lobe frontal avec lequel nous formulons nos pensées". En d’autres mots, la dépression influe sur la manière dont l'individu raisonne, notamment en créant certains biais cognitifs (pessimisme, aprioris négatifs vis-à-vis de soi et du monde).

Selon le Professeur émérite à l'Université de Maastricht (Pays-Bas), la dépression nerveuse impacte aussi le cerveau limbique, dit affectif, où siègent les émotions. "La maladie affecte la manière dont la personne ressent : les émotions douloureuses ou pénibles sont plus présentes, tout comme la déprime", explique l’auteur de La marche-thérapie (Éd. Eyrolles). 

Quelques explorations d'imagerie cérébrale ont montré des perturbations physiologiques (les zones cérébrales concernées fonctionnent en sous-régime) mais aussi chimiques : certains neurotransmetteurs (sérotonine, noradrénaline ou dopamine et autres hormones cérébrales) sont produits en quantités insuffisantes. Également en déficit potentiel, d’après le Dr Eric Griez, la fabrication du facteur neurotrophique du cerveau.

Cette substance essentielle favorise la croissance, les interconnexions et la multiplication des cellules nerveuses. L'épuisement général concerne aussi le reste de l'organisme. Il peut être responsable d’une insuffisance ou d’un excès de production de certaines hormones, en particulier celles du système thyroïdien (hypothyroïdie ou hyperthyroïdie).

Une augmentation du risque cardiovasculaire

Les médecins constatent aussi une sécrétion accrue de l’adrénaline qui augmente, à terme, le risque cardiovasculaire. "La tristesse intense favorise par ailleurs les facteurs de coagulation. Cela explique peut-être pourquoi les dépressifs font plus d’infarctus, d’AVC, de thromboses", constate le Pr Michel Lejoyeux. "Il y a donc un réel danger à ne donner que des bonnes paroles à une personne qui a une maladie dépressive". D’où l’importance d’en repérer les signes cliniques.

Ralentissement et fatigue chronique

Premier signe net : le ralentissement. Parler, marcher… Les personnes dépressives prennent plus de temps à tout faire et se plaignent d’être fatiguées. "Face à la fatigue chronique, le médecin doit d'abord éliminer d'autres causes physiologiques comme le déséquilibre de la thyroïde, un diabète, une infection silencieuse", nuance le Pr Lejoyeux.

Une fois éliminées les autres causes médicales potentielles, on considère la possibilité d’un épisode dépressif majeur. La fatigue dépressive a une particularité : elle ne cède pas avec le repos et aurait même tendance à s'aggraver. "C'est une fatigue par manque d'énergie et de motivation", précise le psychiatre. Inutile, donc, de conseiller des vacances : elles donneraient au patient l'occasion de ruminer un peu plus ses symptômes. Et ils sont nombreux.

Une cascade de dérèglements métaboliques

L’anxiété face à une nouvelle journée à affronter nourrit souvent un sommeil fragmenté, non récupérateur, avec des réveils à l'aube. La vraie dépression nerveuse diminue nettement l’appétit, avec une perte de poids ; une baisse du goût (et de la sensorialité en général) peut expliquer le phénomène. La libido diminue, tout comme la tolérance au bruit pour des niveaux auparavant bien supportés. On note une altération des réactions (impulsivité, irritabilité, colère disproportionnées).

"L’angoisse omniprésente modifie le comportement, perturbe l’entourage, et par ricochet, conforte le patient qu’il n’est plus le même", décrit le Pr Michel Lejoyeux. 

Un domaine de recherche en effervescence

Complexe, multifactorielle… Dans le monde passionnant de la médecine, la dépression nerveuse fait encore office de "terra incognita", où symptômes physiologiques et psychologiques sont intimement liés. "Une théorie médicale interroge le rôle que peut jouer un état inflammatoire, notamment quand il est lié à des dysfonctionnements de la production de la cortisone", complète le Dr Eric Griez. Des liens sont également mis en évidence entre microbiote et cerveau. 

Les recherches sont d’autant plus difficiles à mener que les termes génériques de dépression nerveuse, de burn-out où d'état d'épuisement vital recouvreraient un ensemble très hétérogène de différents états, à la fois psychologique et physiologique. "Plusieurs mécanismes se conjuguent parfois", remarque le Dr Éric Griez. "Chez certains patients, la dépression serait reliée à un état inflammatoire ; chez d'autres, elle serait nourrie par un dysfonctionnement de l'axe thyroïdien ; sans parler de certains patients exposés à une douleur chronique (fibromyalgie, sclérose en plaques etc.)".

Le stress chronique qui épuise les glandes surrénales par une surproduction de cortisol est également pointé du doigt, notamment dans l’installation du fameux burn-out.

Dans tous les cas, quand les signes cliniques sont parlants, ils justifient la prescription d’un anti-dépresseur. "Ces médicaments sont strictement inefficaces sur la tristesse, mais fonctionnent sur l’état dépressif", insiste Michel Lejoyeux. On associera aux médicaments, une psychothérapie qui agira sur les évènements comme l’isolement, les émotions, les habitudes de pensée (le tout ou rien, par exemple). Pour traiter une maladie plurifactorielle, il faut parfois aller jusqu’à restructurer tout le mode de vie, mais aussi de pensée. 

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