Lorsqu'on entend parler de Simone Veil, on pense à la loi portant son nom, dépénalisant l'avortement en 1975. Pourtant, celle qui fut députée européenne et ministre de la Santé représente aussi le parfait modèle de la résilience et de l'optimisme tragique, en tant que survivante de la Shoah.

Comment peut-on continuer à vivre, à être heureux.se et à se battre pour les autres comme Simone Veil, après avoir vécu une telle souffrance ? Grâce à notre capacité à surmonter les épreuves les plus douloureuses, en faisant preuve d'optimisme tragique.

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Un état d'esprit méconnu mais pourtant aux multiples bienfaits pour la psyché. "Il s'agit de trouver du sens et de la paix, malgré l’adversité. Quand on a vécu l'horreur, au lieu de nous laisser submerger, on en fait quelque chose d’utile, à l'image de Simone Veil, commence la psychologue Delphine Py. C’est reconnaître la souffrance comme faisant partie intégrante de la vie". C'est ne pas être dans la résignation mais dans l’acceptation, pour affronter les maux de l'existence.

Mais comment garder espoir face aux tragédies que l'on peut vivre ? 

L'optimisme tragique, accepter les souffrances et garder espoir 

L'optimisme tragique, c'est lorsque "l’on est, et que l’on demeure optimiste en dépit de la ‘triade tragique’ […] une triade constituée par ces trois aspects de la vie humaine que sont : la souffrance, la culpabilité, la mort”, propose comme définition son théoricien, le psychiatre Viktor Emil Frankl, survivant lui aussi de l'Holocauste. 

Une façon d'affronter certaines émotions, qu'on définit à tort comme négatives. Car "il n’existe pas d’émotions positives ou négatives, de bonnes ou de mauvaises. Plutôt des émotions agréables ou désagréables avec toutes leur utilité et fonction", reprend Delphine Py.  

On ne supprime pas nos émotions désagréables, nos souvenirs douloureux, mais on voit comment on peut continuer à vivre.

Une manière philosophique de voir la vie, qui “reconnaît les difficultés, la douleur et la souffrance de ce qui se passe, et en même temps, la capacité de garder espoir", précise Emily Esfahani Smith, autrice de The Power of Meaning, à la BBC.

Finalement, l’optimisme tragique part du principe que malgré la souffrance et la douleur, il y a toujours de l’espoir. "On ne supprime pas nos émotions désagréables, nos souvenirs douloureux, mais on voit comment on peut continuer à vivre, savourer les petits moments du quotidien, reconnaître la chance qu’on a et éprouver de la gratitude", ajoute Delphine Py.

Son théoricien incarne parfaitement ce concept, ayant perdu sa mère, son frère, sa femme et son enfant dans les camps. Malgré tout, "il a décidé qu’il ne pouvait pas changer les évènements, qu'il ne souhaitait pas non plus ne plus éprouver de tristesse. Il a choisi de se changer lui plutôt que d’essayer de changer ses émotions ou les événements", ajoute la psychologue.

Un optimisme proche de la résilience et de l’acceptation, où l'instant présent est célébré aux côtés des plaisirs de l'existence. Et, malgré les épreuves, on se sent chanceux.se de pouvoir vivre. 

L'optimisme tragique contre la positivité toxique 

L'optimisme tragique vient aussi bousculer le diktat à la mode aujourd'hui de la positivité toxique. "La positivité toxique nous oblige à prétendre que le chagrin et la souffrance n’existent pas, mais l’optimisme tragique les utilise comme outils de croissance”, précise Suzanne Degges-White, professeure à la Northern Illinois University, à Psychology Today.

En plus d'être contre-productif, cette injonction au bonheur ne s'avère pas naturelle : les êtres humains ont tous et toutes tendance à voir le négatif avant le positif, du fait du biais de négativité. Ainsi, la positivité à toute épreuve pèse sur notre santé mentale.

En effet, "quand il nous arrive quelque chose d’impactant, de difficile, et qu'on nous dit de rester positif, de garder le sourire, que ça pourrait être pire, cela augmente nos émotions désagréables. On ne se sent pas soutenu et ça rajoute même de la culpabilité à ne pas réussir à être tout le temps dans le positif", prévient la psychologue.

Finalement, les émotions difficiles sont inhérentes à la condition humaine. Alors plutôt que d'invalider notre douleur, il convient d'accueillir les émotions avec bienveillance et compréhension. 

Contre l'adaptation hédonique, une insensibilité au bonheur

Faire preuve d'optimisme tragique, c'est aussi lutter contre l'adaptation hédonique, "cette tendance à retomber sur un niveau de bonheur de base, peu importe ce qu'il nous arrive. Certains faits modulent le bonheur mais malgré tout, on revient toujours au même niveau", précise la spécialiste.

Augmentation salariale, décès, mariage, licenciement : le niveau de bonheur d’une personne, après avoir augmenté ou diminué du fait d'événements positifs ou négatifs, tend naturellement à revenir à la normale, là où il était avant ces expériences. 

Bien que l'adaptation hédonique nous aide à faire face aux bouleversements - comme le Covid-19 - elle nous rend aussi insensible à ce qui nous entoure. "Les gens font souvent remarquer à quelle vitesse l’extraordinaire devient banal… Nous sommes des créatures très adaptatives. Le prévisible devient, par définition, l’arrière-plan, laissant l’attention épurée, pour mieux faire face à l’aléatoire ou à l’inattendu", définit très justement l'auteur britannique Ian McEwan, dans son livre Enduring Love, comme le rapporte Positive Psychology

Heureusement, il est possible d'apprécier autant que faire se peut les petits moments du quotidien, de se reconnecter aux choses essentielles, malgré la souffrance. Mais comment ? Grâce à la soustraction mentale. "Fermez les yeux, imaginez un objet, un animal ou une personne à laquelle vous tenez. Et imaginez la disparaitre. Cela nous fait prendre conscience de la chance qu’on a de l'avoir : s'imaginer priver de ce privilège nous permet de faire attention de nouveau aux plaisirs liés à sa présence", détaille toujours Delphine Py. 

Comment pratiquer l'optimisme tragique au quotidien ?

Mais comment faire preuve d'optimisme tragique et ne plus laisser les ressentis désagréables, voire les traumatismes, abîmer notre psyché ? Pour Viktor Emil Frankl, le secret se trouve dans le fait de "découvrir les valeurs qui nous aident à trouver du sens à notre vie, à être aligné, à être en accord avec nous-même", reprend la psychologue Delphine Py.

Par exemple, si vous êtes de celles et ceux ayant la valeur d'aide, demandez-vous comment l’incarner, comment vous mettre en mouvement pour l'atteindre, comment la faire vivre au quotidien pour continuer à avancer et à être en paix avec votre mal-être.

Dites-vous également que "chaque souffrance est un cadeau, les deux faces d’une même pièce. Par exemple, une fois devenue mère, on découvre la valeur famille, mais aussi les souffrances qui n’existaient pas avant : être 'une bonne mère', la santé des enfants, etc. On s'inquiète au quotidien pour eux, mais cela dit aussi de nous qu'ils sont importants. Et connaître ses valeurs va permettre de mieux accepter la souffrance" ajoute l'experte. Et pour trouver vos valeurs, demandez-vous ce qui vous anime, ce que vous aimeriez voir écrit sur votre épitaphe. 

Pour finir, lorsque vous sentez monter en vous des émotions désagréables, écoutez-les. Demandez-vous ce qu'elles vous disent, si elles vous parlent. "Si je me connecte à cette émotion, plutôt que de la supprimer, je vais pouvoir entendre son message, m’améliorer, reprendre le contrôle dans l’aléatoire de la vie et retrouver enfin un sentiment de calme et de quiétude", conclut Delphine Py. Et reconnaissez que chaque événement, "fait partie d'une histoire plus vaste, celle de votre vie”, termine de son côté Suzanne Degges-White.