"Sors de ta coquille", "Va discuter avec les gens", "Pourquoi tu ne dis rien ?" Pas évident d'être en phase avec le brouhaha incessant du monde lorsque l'on est un grand taiseux, solitaire, discret, bref, lorsque l'on est ce que l'on appelle communément un introverti.

Comment justifier que les rassemblements, quelle que soit la forme qu'ils prennent, nous fatiguent, lorsque le ciment de notre époque n'est autre que le lien social ? Comment dire que l'on a besoin de se retirer pour se ressourcer ? Que ce n'est pas parce que l'on se tait que l'on n'a rien à dire ? 

En 2012, la conférencière américaine Susan Cain publie le très fameux La Force des discrets : le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard (Ed. Le Livre de Poche). Son ouvrage sera le premier à véritablement donner une légitimité aux introvertis et à rassurer ces derniers sur le comportement en retrait, jusqu'alors mal vu par le corps social, mais somme toute normal et loué par l'auteure.

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En France, cette "révolution silencieuse", comme Susan Cain la nomme, a mis du temps à s'imposer. Habitués à se sentir exclus, en décalage ou inadaptés, les introvertis ont longtemps eu du mal s'affirmer comme tels. Ces dernières années, les réseaux sociaux aidants, ils prennent davantage la parole.

Le spectre de l'introversion longtemps dénigré

Le terme même d'introvertis, découle des théories de psychologie analytique du psychiatre suisse du XXe siècle, Carl Gustav Jung. Grand disciple de Freud, il a théorisé deux grands types de caractères à partir des quatre fonctions basiques psychologiques (penser, sentir, pressentir et percevoir) : l'extraverti (intérêt focalisé sur le monde extérieur) et l'introverti (intérêt focalisé sur le monde extérieur).

De cette polarité, découle les huit personnalités (l'introverti ou l'extraverti tour à tour réfléchi, sentimental, perceptif et intuitif), que l'on retrouvera par exemple à la base de différents tests de personnalité, à l'instar du MBTI, l'un des plus célèbres en son genre.

Et quelle est l'attitude qui marque généralement la personnalité introvertie ? Une tendance à être facilement épuisé par les interactions sociales et le besoin de solitude pour récupérer. En bref, trouver sa source d'énergie à l'intérieur de soi et pas via les autres. Une façon d'être qui a longtemps été mal perçue, associée à une idée péjorative du caractère que l'on considère alors comme renfermé et inadapté à la vie sociale. Sans autre forme de nuance. 

"C'est propre à la société occidentale, décrypte Olivia, créatrice de la page Instagram Gang des Introvertis. Depuis qu'on est petit, on nous demande de créer du lien avec du bavardage, à être très sociable, à ne pas rester seul", poursuit-elle. Mais les choses ont changé. La connaissance de soi, intime et profonde, est devenue un levier de béatitude, ouvrant par là même la possibilité de montrer ses différences. Du moins, certaines. 

Désormais, c'est "un mode de vie comme les autres", explique Olivia qui, lorsqu'elle a créé sa page Instagram en décembre 2019, ne s'attendait pas à avoir une telle adhésion. Les témoignages sont vite arrivés : "J'aimerais qu'on me remarque même lorsque je ne parle pas", "Je voudrais qu'on me laisse finir cette phrase à peine prononcée" ou "Je voudrais que mes idées soient entendues", peut-on lire sur un post de la page.

Les qualités de l'introverti 

S'ils ne disent pas grand chose, ils n'en pensent souvent pas moins. Leur sens de l'observation est par ailleurs très aiguisé. "Ce qui fait la force d'un introverti, développe Olivia, c'est qu'il ne cherche pas à être le centre de l'attention. Il ne sera pas non plus constamment dans la compétition". Ce qui peut être une véritable force dans une équipe professionnelle, notamment.

"Moins dans l'action et dans l'affrontement", il saura se faire entendre à bon escient, ne pas monopoliser la parole lors de réunions et apportera "son calme, sa capacité d'analyse" dans les différents projets qui lui seront confiés. 

Et cette puissance d'introspection fait également de l'introverti, un conseiller hors-pair. "Les extravertis adorent avoir des introvertis dans leur entourage, car ils savent écouter. C’est souvent complémentaire", explique la psychologue Laurie Hawkes. L'autrice de La Force des introvertis : de l'avantage d'être sage dans un monde survolté (Ed. Eyrolles), connait bien "ces gens qui préfèrent écouter plutôt que de parler. Ils prêtent attention autant aux autres qu'à eux-mêmes."

Mais ce n'est pas tout. En plus de sa capacité d'écoute, l'introverti aura plus de facilités à travailler en autonomie. En télétravail, par exemple, l'introverti n'aura pas besoin de prévoir des réunions Zoom à tout bout-de-champ pour savoir comment avancer. 

Enfin, en dehors de la sphère professionnelle, l'introverti saura se ressourcer avec lui-même. Tout l'inverse d'un vampire énergétique par exemple, qui sont généralement des extravertis en mal d'attention. Une qualité qui a pris une toute autre dimension ces derniers mois avec la crise sanitaire qui a cloîtré tout le monde chez soi !

Les introvertis, ces penseurs qui s'ignorent

Au-delà des aptitudes pratiques qui sont l'apanage de ces grands discrets, se cache une palette de compétences émotionnelles qui font leur force. Ces grands contemplatifs, souvent très sensibles, cogitent beaucoup. La raison ? Ils "enregistrent les stimulations du monde extérieur avec une intensité accrue", lit-on dans l'ouvrage de Susan Clain.

Olivia, qui se reconnaît en partie dans ce type d'attitude, confirme que les introvertis "sont facilement touchés par ce qui les entoure, qu'ils enregistrent les énergies, les émotions, attitudes des autres, dans les moindres détails."

Et cette hypersensibilité latente est aussi un grand plus pour le reste de la société.

Alors que "l'extraverti va chercher l'excitation qui va l'aider à se sentir vivant, l'introverti va chercher un milieu qui l'aide à s'apaiser, conclut Laurie Hawkes. Cette espèce de sagesse qu'ils peuvent fournir est essentielle dans une société qui va de plus en plus vite. Dans une voiture, le frein est aussi important que l'accélérateur", conclut l'autrice.