“Oubliez votre ex. Pansez votre cœur. Construisez un amour sain et durable”, tel est le mantra de la retraite Renew, une désintox américaine à la mode pour se défaire de son chagrin d’amour

Créé en 2016 par l’Américaine Amy Chan, le bootcamp - camp d'entraînement en français - est un véritable phénomène outre-Atlantique. Après le boom des retraites sportives, silencieuses ou de jeûne, la cure de rupture se fait petit à petit une place, tant est si bien qu’une première vient de voir le jour en France. 

Si, de prime abord, ces retraites apparaissent comme un outil novateur et bienveillant qui veille à ne plus banaliser la rupture amoureuse, il convient de questionner l’éthique de ces dernières, parfois trop marquetées, à destination de personnes fragilisées par une peine de cœur.

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La rupture, un deuil généralement balayé d’un revers de main

Bardée de clichés, la rupture est souvent réduite à une simple soirée où il est commun de pleurer en chantant des chansons tristes, un pot de glace dans une main et un paquet de mouchoirs XXL dans l’autre. Pas merci la pop culture. 

Pourtant, derrière la fin d’une relation amoureuse se dissimule une blessure narcissique plus ou moins profonde, dont le pansage ne doit pas être négligé, si l’on veut garder un rapport sain à l’amour. 

La rupture, c’est un deuil, il faut donc lui accorder du temps”, prévient Catherine Demangeot, thérapeute de couple. Et si pour certain.es ce deuil est relativement rapide, pour d’autres, c’est une déconstruction du rêve romantique qu’il faut entreprendre. 

“Souvent les personnes n’ont pas confiance en elles et pensent qu’elles ont perdu l’amour de leur vie et qu'on ne les aimera jamais plus, indique Véronique Kohn, psychologue spécialisée dans les relations amoureuses, ces personnes ont souvent peu de ressources stables, c’est-à-dire des amis ou une famille sur qui elles peuvent compter”. 

Faire une cure pour soigner son coeur en miettes

Dans cette optique, la cure de rupture - nouvelle sur le marché des retraites spirituelles en tout genre - pourrait donc bien être la bonne option. Et c’est d’ailleurs comme ça que tout a commencé. 

“Il y a dix ans, j'étais en couple avec un homme avec qui je pensais passer le reste de ma vie, quand tout s'est effondré, j’ai perdu mon partenaire, mon meilleur ami et surtout mon identité", nous confie Amy Chan, créatrice des retraites Renew.

La jeune femme dit avoir cherché pendant des mois un "moyen de guérir", en vain. "Rien n’existait pour apaiser la douleur atroce qui accompagnait la séparation", se souvient-elle. Si bien qu’après deux ans à raconter son parcours de reconstruction sur son blog, Amy lance en 2016 Renew Breakup Bootcamp, un camp de réhabilitation - celui du renouveau si l'on traduit son nom - pour cœurs brisés.

Après ma rupture, je trouvais qu’il y avait un cruel manque de prise au sérieux [...] La rupture est une réelle souffrance et je voulais lever ce tabou.

Même son de cloche de l’autre côté de l’Atlantique. Fin 2021, Maggy Dago, aujourd’hui à la tête de la retraite UMOJA, la première en France, fait le même constat. "Après ma rupture, je trouvais qu’il y avait un cruel manque de prise au sérieux, bien qu’il existe des études qui montrent que la rupture est une réelle souffrance et je voulais lever ce tabou", argue-t-elle.

Son envie ? Créer un endroit pour les femmes, non pour se morfondre mais pour explorer, ensemble, les émotions qui les submergent, "grâce à des activités et un accompagnement psychologique, le tout dans un climat de sororité", expose l'entrepreneuse.

Sortir de sa routine et de sa déprime

En effet, au-delà de l'entraide encouragée, les spécialistes invitées et le changement de cadre sont là pour sortir le cœur brisé de sa routine déprimée. 

"Nous sommes parties quatre jours à la campagne avec mon groupe d’expertes, j’y ai organisé des ateliers de parole, d’écriture intuitive, d'improvisation, de yoga, de danse libre et de coaching”, énumère Maggy Dago, créatrice d’UMOJA. 

Outre-Atlantique, le concept est plus radical. Déjà, on retire leurs téléphones aux nouvelles arrivantes “pour ne pas qu’elles consultent les réseaux sociaux de leur ex”, nous raconte Amy Chan. Puis elles sortent leurs “devoirs”, “chaque participante vient avec l’historique de sa relation pour apprendre à repérer les distorsions cognitives".

Tout comme Maggy Dago, Amy Chan fait appel à des professionnelles. Ainsi, spécialistes du mouvement thérapeutique, nutritionnistes, psychologues, sexologues et "dominatrices" se succèdent devant les participantes (la dernière étant chargée d'enseigner les dynamiques du pouvoir). À coups de 8h d’ateliers par jour, impossible de penser à son ex.

Le point d'orgue du séjour ? Une cérémonie du “lâcher prise” où tous les cœurs brisés se rassemblent autour d'un feu pour "brûler des lettres à l’intention de la personne qu'elles laissent partir”. 

"Même si elles peuvent paraître extrêmes, les retraites de ce genre peuvent offrir la pichenette qui va aider la personne à relever la tête, elles vont donner un coup de boost, un sentiment d’invincibilité", acquiesce Véronique Kohn. 

De l’importance du groupe

Maggy Dago a déjà aidé "une cinquantaine" de femmes et Amy, précurseuse, "plusieurs milliers". Mais qu’elles soient françaises ou américaines, les retraites partent d’un même principe : le partage entre femmes blessées. Une dynamique de groupe saluée par notre thérapeute de couple. 

“Quand on est quitté.e, on doute de soi et c’est ce qu’on vient re-consolider pendant ces retraites, avec le côté bienveillant et partage d’expérience. Quand on n’a pas le support familial et amical adéquat, c’est important d’avoir ces nouvelles épaules sur lesquelles s'épancher”, valide Catherine Demangeot. 

L’avantage du groupe, c’est que c’est un accélérateur de guérison puisque ça fait caisse de résonance.

Sur la page Instagram d’UMOJA, où quelques retours d’expérience sont disponibles, on peut d’ailleurs lire celui d’une anonyme, pour qui l’accompagnement de groupe a été salvateur. “Je pars de cette retraite remplie de témoignages de femmes qui ont partagé leurs douleurs et leurs doutes si souvent dissimulés pour mieux repartir vers la joie et la vie – si c’est ça la sororité, j’en veux tous les jours”, écrit-t-elle.

“L’avantage du groupe, c’est que c’est un accélérateur de guérison puisque ça fait caisse de résonance et qu’on se dit ‘je ne suis pas unique, des gens vivent la même chose que moi’ et puis ça apporte une nouvelle énergie à la personne éteinte”, explicite Véronique Kohn. 

L'état de la rupture post-cure

Mais qu’en est-il de l’après, quand la zone de confort disparaît et que les personnalités abîmées sont de nouveaux confrontées à leur rupture ? "Le retour à la vie normale est limite violent après cette bulle de bien-être", confie une autre anonyme sur le compte Instagram d’UMOJA. 

Pour pallier à ce soudain retour à la réalité, Maggy Dago organise "des ateliers entre deux retraites comme des cercles de parole pour donner la possibilité aux femmes de continuer le travail qu’elle ont commencé”, explique-t-elle. Mais la jeune femme est catégorique, elle ne vend pas une solution miracle, mais les débuts d’une guérison sur le long terme

Le but est vraiment d’offrir la possibilité à toutes les femmes dans le besoin, qu’elles sortent d’une relation où qu’elles soient seules depuis deux ans, de ré-apprendre à s’aimer d’abord.

De l’autre côté de l’Atlantique, on ne communique pas non plus sur le côté baguette magique de la chose. Un suivi est même "obligatoire" à la sortie, avec des "devoirs" à rendre. 

"Elles savent qu'elles doivent rendre des comptes, il y a une discussion de groupe pour que les gens partagent leurs victoires, leurs sentiments, leurs luttes et leurs expériences. Elles sont aussi jumelées à une partenaire et doivent faire des exercices de gratitude et s'enregistrer, tous les jours pendant 30 jours consécutifs", précise Amy Chan.

Le Club Med du cœur brisé, un modèle à questionner

S’engager dans une cure est donc en réalité un investissement, parfois un peu (trop ?) intrusif. Tel des candidats de téléréalité, chaque participante à la cure d’Amy Chan est "castée", doit candidater via le site - une action qui coûte déjà 10$ - puis passer un entretien. Si elle est retenue, elle signe un contrat de confidentialité avant d’intégrer la retraite. Les places y sont chères : aucune session ne dépasse les 25 invitées.

Outre l'intrusion, les déclinaisons ultra-marketées autour de cette cure de "renouveau" dérangent. 

La retraite se déroule dans “un domaine luxueux, entouré de 50 hectares de nature, près de New York”, nous explique sa fondatrice. Et être entourée des meilleures expertes dans un environnement de rêve a un prix : pour quatre jours et trois nuits, comptez 2495$ (sans frais additionnels type transport et autres sessions privées avec Amy Chan).

Mon but c’est vraiment d’offrir la possibilité à toutes les femmes dans le besoin, qu’elles sortent d’une relation où qu’elles soient seules depuis deux ans, de ré-apprendre à s’aimer d’abord.

“Les retraites ne sont pas accessibles à tous et c’est regrettable, mais l’argent ce n’est pas toujours vicieux, ça peut aussi donner de la valeur à qui on est et à ce qu’on fait”, nuance néanmoins Catherine Demangeot, qui tient à rappeler que le coût des soins aux Etats-Unis est loin d’être comparable à la France. 

“Ce qui gêne, rappelle Véronique Konh, c’est surtout le côté ‘on se fait du beurre sur le malheur des gens’”. En effet, s’il n’y avait que la retraite passe encore, mais pour compléter la transformation, il faut suivre le chemin : bootcamp, workshops - dont les prix oscillent en 35 et 85 $ - et application des conseils contenus dans le livre de la créatrice. L’objectif premier de “démocratiser le soin de la rupture" est donc loin d’être réussi du côté américain, seule une élite pouvant se permettre une telle sortie. 

De plus, cette ultra-prise en charge peut faire craindre - si le modèle venait à se développer encore, ou à être copié - de possibles dérives d'emprise ou de manipulation. 

En revanche, pour UMOJA, la démarche semble plus noble et surtout moins portée sur les chiffres. Pour 4 jours de retraite, prévoyez 300 euros (un montant test pour le moment). Si le standing n’est pas le même en terme de prestation, la qualité et le sérieux des intervenantes - toutes bénévoles - sont par contre au rendez-vous. 

“Mon but c’est vraiment d’offrir la possibilité à toutes les femmes dans le besoin, qu’elles sortent d’une relation où qu’elles soient seules depuis deux ans, de ré-apprendre à s’aimer d’abord”.

Mais la rupture, c’est féminin ? 

Pour le moment, ces retraites sont exclusivement tournées vers les femmes. “J’ai conçu UMOJA pour les femmes parce qu’elles sont plus sujettes à partager leurs émotions”, explique Maggy Dago.

Un environnement "safe" qui met aussi en confiance les participantes : "j’ai pu prendre ma place naturellement car tout le monde y a la sienne, surtout dans un endroit bienveillant et féminin à 100%", partage une anonyme sur le compte Instagram de la retraite.

Du côté d’Amy Chan, un bootcamp virtuel est proposé aux hommes, mais ceux sur site restent réservées aux femmes. Pour Catherine Demangeot, cette manière de penser peut s’expliquer par le fait que "les hommes sont plus dans stratégie du ‘je me remets sur le marché du célibat pour regonfler ma confiance en moi’ et qu'ils croient pouvoir faire l’économie du temps dédié au deuil".

Mais la thérapeute insiste aussi sur l'idée que "la rupture n'est pas que féminine" et qu'il faudrait, en ce sens, proposer des retraites masculines pour se débarrasser des clichés et peut-être, mieux adresser la rupture. “Sinon, la méditation, ça fonctionne très bien aussi et ce n'est pas genré”, sourit-elle.

“Quoiqu'il en soit, après une cure, même si on se sentira mieux, rien n’aura profondément changé, c’est pourquoi il faut surtout revenir aux origines du problème, notamment en thérapie”, conclut Véronique Kohn, car, on le rappelle, ces retraites ne se substituent en aucun cas à un suivi psychologique assuré par un.e professionnel.le.