C’est à Dreux, lors des élections municipales de 1983, que le Front national a réalisé sa première percée électorale. L’extrême droite n’aime pas qu’on la ramène à son passé : dépositaire autoproclamée de l’héritage national, elle se targue pourtant de n’être l’héritière de rien ni de personne. Jouons pour cette fois le jeu de l’amnésie relative aux événements les plus compromettants de son histoire. Oublions les années 1930 et Vichy pour nous situer bien plus tard, il n’y a pas si longtemps, à l’origine des succès de ce parti. Ce rappel éclaire moins sur la nature de l’extrême droite que sur ce qui a été manqué au moment de son émergence électorale et dont il est urgent de se souvenir maintenant qu’elle se trouve dans l’antichambre du pouvoir.
Dreux en 1983, donc. Un documentaire, réalisé à l’époque par Philippe Alfonsi et Patrick Pesnot pour FR3, montre les débuts de cette nuit politique dont nous craignons aujourd’hui le dénouement. Le film s’intitule Les immigrés sont-ils toxiques ? situant l’enjeu au niveau exact où l’avait placé le Front national. C’est Jean-Pierre Stirbois, numéro deux du FN, qui mène la liste du parti et il n’y va pas par quatre chemins. La campagne menée à Dreux par un commando dépêché de Paris exploite tous les ressorts de la peur : mise en cause nominative d’immigrés algériens, instrumentalisation mensongère des faits divers, déversement ininterrompu de fausses nouvelles.
Vérités alternatives de la rumeur
En quelques semaines, Dreux devient le laboratoire d’une guerre civile fomentée par le Front national afin qu’il puisse ensuite prétendre en constituer le seul rempart. Ni les chaînes idéologiques d’information continue ni les réseaux sociaux n’existent, mais la rumeur fait déjà office de pourvoyeuse de vérités alternatives. Dans les bistrots, la maire socialiste est accusée d’avoir eu clandestinement un enfant avec un Maghrébin. D’après le récit forgé par l’extrême droite, c’est la seule explication plausible à la politique immigrationniste de la mairie.
La gauche finira par être battue par une coalition entre le RPR et le FN. Françoise Gaspard témoigne dans le documentaire. On demande à l’ancienne maire si, après tant de blessures et de mensonges, elle n’a pas honte de ses concitoyens. D’une voix qui marque une extraordinaire obstination dans la douceur, elle répond qu’elle n’a honte de personne sinon des notables qui ont légitimé les pulsions racistes suscitées par la misère sociale. Elle en veut aussi au ministre de l’intérieur (Gaston Defferre) qui, au nom du réalisme de la gauche de gouvernement, n’a rien trouvé à répliquer à ses nouveaux adversaires sinon que « les socialistes expulsent plus d’immigrés que la droite ».
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