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« On tue les petites filles. Une enquête sur les mauvais traitements, sévices, meurtres, incestes, viols contre les filles mineures de moins de 15 ans, de 1967 à 1977 en France », de Leïla Sebbar, préface d’Anne Schneider, Le Manuscrit, « Genre(s) et création », 348 p., 19,90 €, numérique 10 €.
DEHORS, LES TIGRES
J’ai commencé la saison 2023-2024 du feuilleton en parlant de Triste tigre, de Neige Sinno (P.O.L, prix littéraire Le Monde 2023), qui s’est révélé en être l’événement littéraire : ses résonances sociales et émotionnelles ont été immenses et ont témoigné d’un véritable changement de la société à l’endroit des crimes commis contre les enfants, et de l’écoute que celle-ci leur porte. Avant les vacances et en attendant la rentrée, je boucle donc cette saison en parlant d’un livre paru pour la première fois en 1978, chez Stock, que la publication de Triste tigre permet de lire de façon bien différente aujourd’hui : On tue les petites filles, de Leïla Sebbar, réédité aux éditions Le Manuscrit.
Lorsque Leïla Sebbar publie cette enquête conduite pendant dix ans, de 1967 à 1977, sur « les mauvais traitements, sévices, meurtres, incestes, viols contre les filles mineures de moins de 15 ans », elle n’est pas encore l’écrivaine prolifique, à l’aise dans tous les genres, que l’on connaît aujourd’hui. Elle n’est pas encore l’autrice de ces très beaux récits d’exil, d’intégration difficile, de mémoire de la guerre d’Algérie que sont la trilogie des Shérazade (Stock, 1982, 1985, 1991), La Seine était rouge (Thierry Magnier, 1999) ou Je ne parle pas la langue de mon père (Julliard, 2003). Elle est une parfaite inconnue qui vient de terminer ses études de lettres et commence à militer dans les groupes et les revues du mouvement féministe que l’on a appelé « de la deuxième vague », notamment dans la revue Histoires d’elles, aux côtés de Nancy Huston, de Luce Pénot, de Carmen Castillo, de Geneviève Brisac et de bien d’autres…
Alors que Leïla Sebbar commence à enseigner au collège et au lycée, elle se lance dans la longue collecte des témoignages et documents relatant l’ordinaire des violences faites aux enfants et, pour le cas qui l’occupe, aux filles. Elle rencontre des femmes en prison, en foyer, en PMI (protection maternelle et infantile). Elle se plonge dans les archives de la police judiciaire, parle à des juges, à des assistantes sociales, à des éducatrices, à des médecins. Elle croit à la puissance des récits. Expliquant sa méthode dans un avant-propos, elle précise n’avoir jamais été maltraitée elle-même ni s’être jamais trouvée en présence d’un corps maltraité. Mais elle écoute et elle retient.
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