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Rétrocontroverse : 1983, Dreux, le FN et le fascisme

Ce 11 septembre 1983, le Parti socialiste n'en revient pas, il vient de perdre la mairie de Dreux au profit d'une liste RPR-Front national.

Par Yves-Marc Ajchenbaum

Publié le 26 juillet 2007 à 13h51, modifié le 03 mars 2008 à 15h03

Temps de Lecture 4 min.

Ce 11 septembre 1983, le Parti socialiste n'en revient pas, il vient de perdre la mairie de Dreux au profit d'une liste RPR-Front national. Jean-Pierre Stirbois, secrétaire général du Front national, devient maire adjoint. Déjà au premier tour de cette élection partielle, la liste FN avait récolté 16,72 % des suffrages exprimés. La nouvelle secoue l'opinion, provoque l'euphorie chez les uns, l'incompréhension chez certains et le dégoût chez beaucoup.

Neuf mois plus tard, les élections européennes confirment cette poussée du parti dirigé par Jean-Marie Le Pen : le FN obtient 10,95 % des suffrages exprimés, soit pratiquement autant que le PCF (11, 20 %). Il "chalute", écrira Pierre Georges. De fait, il s'impose dans le paysage politique et oblige les partis traditionnels, d'une part à inventer un discours qui intègre des thèmes qu'il faut bien reconnaître au fil des mois comme populaires :l' "invasion" étrangère, l'insécurité, le chômage ; et d'autre part à se situer en prévision des campagnes politiques à venir : les cantonales de 1985 et les législatives de 1986.

A droite, en cette année 1983, Simone Veil et Bernard Stasi, maire d'Epernay, sont un peu seuls pour refuser toute alliance électorale avec l'extrême droite. Quelques mois plus tard, à la veille des cantonales, Jacques Toubon se déclare prêt lui aussi à faire barrage aux candidats FN, même s'il s'agit de faire élire un candidat socialiste. Mais il faudra attendre 1985 pour que Jacques Chirac lance la consigne : "Aucune alliance avec l'extrême droite, même au niveau local." Il y aura bien sûr quelques couacs, mais globalement la droite semble se ranger dans un front anti-Le Pen sans pour autant proposer une analyse sur la nature idéologique du Front national.

L'ancien ministre Monique Pelletier résume parfaitement cette volonté de ne pas mêler l'histoire contemporaine européenne à la nouvelle réalité politique du moment. A ses yeux, le succès de l'extrême droite se résume à une ambition : "Devenir une force reconnue de l'opposition. Pour y parvenir, elle propose une idéologie simple, voire simpliste, prenant appui sur la réalité la plus quotidienne de chaque Français" (Le Monde du 16 décembre 1983). Et Alain Griotteray, maire UDF-PR de Charenton, de renchérir plus nettement : "Pas de quoi hurler au fascisme !"

A gauche, les responsables politiques et associatifs se montrent également très prudents lorsqu'il s'agit d'évoquer la nature du FN. On est davantage dans le sous-entendu que dans l'analyse, dans la référence systématique à "l'Allemagne des années 1930". On travaille la litote, on évoque volontiers, à travers les pages débats du Monde, "l'histoire et l'expérience récente", en laissant le lecteur seul avec sa mémoire s'il a un certain âge ou avec son imaginaire s'il s'est nourri de récits épiques de la Résistance, du débarquement en Normandie et des victoires de l'Armée rouge.

Albert Lévy, à l'époque secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), fait partie de ces nombreux responsables de gauche qui souhaitent mobiliser l'opinion au nom de l'antifascisme. Pour ce faire, il n'hésite pas à se référer à un des slogans de la propagande nazie : "700 000 juifs, 700 000 chômeurs, la solution est simple" (Le Monde du 7 juillet 1984), mais se garde de qualifier une seule fois le FN de fasciste. Comme toute la gauche, le discours vise d'abord à provoquer des réactions affectives et à servir de repoussoir face à la dynamique lepéniste. La gauche dénonce, mobilise, mais refuse toujours de s'interroger sérieusement sur le caractère populaire du discours frontiste et sur son pouvoir d'attraction dans le monde ouvrier. Les schémas de penser ont la vie dure : seule la classe moyenne est touchée par la vague d'extrême droite.

Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon et l'un des animateurs pendant l'automne 1983 de la Marche pour l'égalité, ose la question : la renaissance de l'extrême droite annonce-t-elle vraiment une résurgence du fascisme ? Sa réponse reste incertaine : "Le leader du Front national n'est pas fasciste comme l'était Mussolini, mais il n'en est pas moins un visage moderne du fascisme" (Le Monde du 28 juin 1984), mais la question est posée et l'interrogation reprise. "Peut-on dire que le Front est un parti fasciste ?", écrit Eric Roussel (Le Cas Le Pen, Lattès, 1985), avant de répondre par la négative. "Y a-t-il également du fascisme chez Jean-Marie Le Pen ?", s'interroge à son tour Alain Rollat (Les Hommes de l'extrême droite, Calmann-Lévy, 1985). Et s'il lui reconnaît un "flirt" avec les idées fascisantes, il ne retrouve pas dans son mouvement les ingrédients de l'idéologie telle que définie par Georges Valois, fondateur dans les années 1920 du premier mouvement fasciste français, à savoir : nationalisme + socialisme = fascisme.

Autant de points de vue et de tentatives pour qualifier le FN qui n'empêcheront pas, et la gauche de se complaire dans les sous-entendus mobilisateurs, et l'extrême gauche de dénoncer "les claudications verbales" de ceux qui pourfendent les extrémistes de droite "sans nommer le fascisme" (Le Monde du 12 juillet 1984).

Même l'avertissement savant de René Rémond ne suffira pas à empêcher ceux qui, "en croyant reconnaître dans le Front national le visage abhorré du fascisme, retombent dans la même erreur qu'au temps où ils englobaient dans un rejet général l'ensemble des ligues. Une telle erreur d'interprétation n'est pas sans conséquences politiques : elle entraîne des erreurs de stratégie" (Le Monde du 16 avril 1985). La vie politique nationale des vingt-trois dernières années ne lui a-t-elle pas donné raison ?

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