Pierre Bergé : comment l'homme de l'ombre a fait briller Yves Saint Laurent

Par Estelle Delpech
Pierre Bergé
Cofondateur de la maison Saint Laurent, Pierre Bergé, en redoutable pygmalion, a orchestré la métamorphose d'Yves Saint Laurent, son amour de 50 ans, de styliste prodige à légende de la couture. Portrait d'une icône de la mode très discrète.

L'annonce de sa mort le 8 septembre 2017 a proclamé la perte d'une figure extrêmement influente de la mode. De sa rencontre avec Yves Saint Laurent dans les années 60 jusqu'à son dernier souffle, Pierre Bergé aura oeuvré pour faire rayonner la maison Saint Laurent.

Focus sur celui qui fut le plus influent des hommes de l'ombre.

Pierre Bergé : au fondement de l'empire Saint Laurent

Saint Laurent, Bergé : un duo indivisible tant l'un n'aurait probablement pas réussi à fonder un tel empire sans l'autre. Car s'il est impossible de dénigrer le génie stylistique de Saint Laurent, il paraît tout aussi absurde de discréditer les talents en affaires de Bergé.

En 1958, alors qu'il est encore marchand de livres en éditions originales et manager de son amant, le peintre Bernard Buffet, Pierre Bergé tombe sous le charme d'Yves Saint Laurent. Ce jeune couturier surdoué de 21 ans est alors en charge de la direction artistique de l'illustre maison Christian Dior.

Lorsque ce dernier est appelé à faire son service militaire, il sombre dans la dépression et se fait licencié en 1960. Dès lors, Bergé, avec qui le jeune homme entame une histoire d'amour, décide de le reprendre en main et l'aide à créer sa propre maison de couture.

Pierre Bergé obtient le soutien financier d'un homme d'affaires américain, un certain J. Mack Robinson. Yves Saint Laurent, quant à lui, se concentre sur sa première collection. Et c’est ensemble qu'ils jettent les bases de ce qui deviendra, quelques années plus tard, l'une des plus grandes maisons de couture française.


Crédit photo : Bertrand Rindoff / Getty

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Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, une affaire qui marche

Alors que Saint Laurent se cantonne à son studio de création, Bergé endosse impeccablement son rôle d'éminence grise, gérant d'une main de fer l'aspect financier et médiatique de la maison de couture. Jamais à court d'idées ingénieuses, l'homme d'affaires se décide à lancer Saint Laurent Rive Gauche en 1966 : une ligne de prêt-à-porter vendue à un prix plus accessible, directement dans les boutiques du même nom.

Si aujourd'hui, le concept de prêt-à-porter semble des plus banals, le principe était révolutionnaire à une époque où la clientèle de luxe achetait ses vêtements sur-mesure, après de longues heures passées dans l'atelier du créateur. De fait, Bergé et Saint Laurent ont contribué à la démocratisation de l'industrie du luxe. Une aubaine pour ces clientes privilégiées qui, dans le milieu des années 60, veulent se libérer des carcans stylistiques et aspirent à plus de modernité.

À la fois businessman caractériel, philanthrope magnanime et dandy intello, Bergé développe une personnalité complexe qui détonne dans l'univers de la mode. Se fiant uniquement à son instinct, il transforme Yves Saint Laurent le styliste introverti en rock star débridé, sachant pertinemment que le mélange entre gloire et glamour est une recette imparable pour la réussite d'une marque.

Amants modèles, le couple mythique s'affiche à la ville, lors des soirées endiablées du Sept, comme en backstages de leurs défilés, entouré de leurs muses assignées à la maison telles que Betty Catroux, Loulou de La Falaise ou encore Catherine Deneuve.

Cette aura de superstar dont jouit le créateur, Bergé s'en est également servi pour réussir un autre tour de force : afin de promouvoir leur nouveau parfum "Pour Homme" lancé en 1971, il demande à Yves Saint Laurent de tenir le haut de l'affiche en posant totalement nu. La preuve ultime que le couturier était une célébrité à part entière.


Crédit photo : presse

Le garant du rayonnement Saint Laurent

À la fin des années 70, la relation du couple commence à se détériorer. Saint Laurent replonge dans la dépression et s'autorise tous les excès. 

Pierre Bergé tente de protéger le créateur de ses démons, ou plutôt ses "faux amis", comme ce dernier préférait les nommer. Imperturbable jusqu'au bout, il garde le contrôle, peu importe les fissures qu'il garde pour la sphère privée.

Même après la mort d'Yves Saint Laurent, le 1er juin 2008, Bergé fait preuve d'un dévouement absolu et continue de préserver l'héritage stylistique du grand couturier. Pourtant, il peine à lui trouver un successeur. Le designer américain Tom Ford puis le styliste italien Stefano Pilati s'essaient à la tâche sans vraiment réussir à le convaincre.  

En 2012, l'arrivée d'Hedi Slimane, qui avait déjà remplacé Stefano Pilati entre 1996 et 2000, fait entrer la marque dans une nouvelle ère. Rebaptisé Saint Laurent Paris, la maison éponyme change de route abordant des virages rock, grunge, parfois à la limite du trash. En ce qui concerne l'actuel directeur créatif, Anthony Vaccarello, en poste depuis avril 2016, Pierre Bergé lui a toujours témoigné son approbation, s'invitant au front-row de ses défilés.

Atteint de myopathie, Pierre Bergé décède le 8 septembre 2017 à l'âge de 86 ans. Jusqu'à sa mort, l'homme d'influence s'est assuré que le travail d'Yves Saint Laurent reste au premier plan de la scène mode. Son plus récent projet a été de constituer deux musées, installés respectivement à Paris et Marrakech, et entièrement dédiés au travail de Saint Laurent, avec près de 20 000 pièces exposées.

"Si Chanel a libéré la femme, Saint Laurent lui a donné le pouvoir" avait rétorqué Pierre Bergé. Une prise de pouvoir qui n'aurait sans doute pas été possible sans lui.

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