"On va créer une maison de couture, toi et moi, et tu la dirigeras", dit Yves Saint Laurent à Pierre Bergé au début des années 1960, quelques temps après avoir quitté la direction artistique de Christian Dior, où il connut un succès immense. C’est donc en juillet 1961, en ayant débauché Claude Licard, Gabrielle Buchaert et le mannequin Victoire Doutreleau, trois collaborateurs de la maison Dior, et grâce au soutien du milliardaire américain J. Mack Robinson, que la maison de couture Yves Saint Laurent s’installe rue de la Boëtie, à Paris.

Victoire lors du premier défilé Yves Saint Laurent

Cinq mois plus tard, pour l’ouverture officielle de la maison, le couturier présente sa première collection haute couture dans un hôtel particulier au 30bis rue Spontini, où la marque s’est désormais installée. Au même moment, le logo aux trois lettres "YSL", imbriquées est dessiné par l’illustrateur et graphiste Cassandre.

De haute couture à prêt-porter de luxe

Yves Saint Laurent commence à laisser s’exprimer son génie et présente en juillet 1965 la collection Mondrian. Un an plus tard, il invente la femme moderne en l’habillant d’un smoking, ce qui fera scandale mais sera l’un des plus grands succès du couturier, puis d’un tailleur pantalon ou encore d’une saharienne en 1967, et enfin d’une combinaison pantalon en 1968.

La robe Mondrian d'Yves Saint Laurent

Mais alors que les ventes sont en baisse, la haute couture n’étant pas rentable, Yves Saint Laurent se lance dans le "prêt-à-porter des couturiers", comme l’ont fait avant lui Pierre Cardin et la maison Courrèges, avec une ligne baptisée "Saint Laurent rive gauche". Grâce à ce prêt-à-porter luxueux et à l’ouverture d’un réseau de boutiques franchisées à travers le monde, l’entreprise rapporte enfin de l’argent, quinze ans après son lancement. 

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Un géant de la mode et de la cosmétique

En 1971, alors que le premier parfum "Rive Gauche" voit le jour, Yves Saint Laurent fait scandale avec la Collection 40, reprenant le stylé arboré par les femmes en temps de guerre. Une ligne de maquillage est lancée, ainsi que le parfum Opium au succès mondial, puis les fragrances Kouros et Paris qui connaissent aussi le succès commercial. Côté couture, Yves Saint Laurent poursuit les collections hommage à ses artistes préférés dont Matisse et Marcel Proust pour ne citer qu’eux.

Campagne parfum Opium Saint Laurent (1970)

Leader du marché de la mode, la maison fait son entrée en bourse et est rachetée en 1993 par le groupe Elf-Sanofi, puis par le groupe Printemps Pinault La Redoute en 1999. Hormis les parfums et la cosmétiques, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé gardent le contrôle sur la maison de couture.

Cette même année 1998, alors que pour l’inauguration de la Coupe du Monde de football 300 mannequins habillés en Yves Saint Laurent défilent au Stade de France, le couturier cesse de dessiner les collections Rive Gauche. Il présentera sa dernière collection de haute couture en juillet 2001, pour ensuite annoncer son départ ainsi que l’interruption des collections haute couture le 7 janvier 2002. Il s’éteint le 1er juin 2008 des suites d’un cancer.

Les éclectiques successeurs de Saint Laurent

Lorsque Yves Saint Laurent décide de céder la création des collections Rive Gauche, c’est Alber Elbaz qui le remplace aux collections femme, quant Hedi Slimane s’attelle à l’homme. Lors de la cession de la maison au groupe de François Pinault en 1999, c’est alors Tom Ford qui est nommé directeur artistique du prêt-à-porter. Malgré le soutien de la presse américaine, le succès artistique et financier n’est pas au rendez-vous et il est donc remplacé dès 2004 par son assistant Stefano Pilati. Ce dernier renoue avec les codes Saint Laurent en leur apportant de la modernité et réussit un coup commercial notamment en boostant les accessoires avec des it-bags à l’instar du sac Muse.

Courtney Love pour le Saint Laurent d'Hedi Slimane

En 2012, Hedi Slimane reprend les rênes de l’ensemble des collections, qu’il décide d’englober sous le nom de Saint Laurent. Exit donc YSL, il désire donner une aura rock minimaliste à la maison parisienne et déménage le studio de création à Los Angeles. Après quatre ans de campagnes publicitaires en noir et blanc et des égéries underground telles que Courtney Love, Marilyn Manson ou encore Joni Mitchell et de créations grunge très portables mais au positionnement très luxe, Hedi Slimane quitte la maison malgré un succès commercial dépassant toutes les attentes.

Un nouvel ADN signé Vaccarello

Mais quelle personnalité pour succéder à celle très prononcée d’un Hedi Slimane ? La marque choisit le belge Anthony Vaccarello, pour sa vision de la jeunesse et sa capacité à faire descendre la couture dans la rue. Et depuis presque quatre ans, le directeur artistique régale ses aficionados de silhouettes noires aux épaules XXL et toutes en jambes tout droit sorties des années 1980, oscille entre sensualité et radicalité, bourgeoisie et fétichisme, opulence et épure… Un ovni en cette période de tendance assez puritaine, mais qui ne déroge pas au vestiaire de la femme Saint Laurent.

Si Paris l’inspire pour signer ses collections, il en va de même pour les créatures noctambules sensuelles et audacieuses incarnées par Charlotte Gainsbourg, Anja Rubik ou encore Béatrice Dalle et Amber Valleta. On lui doit chaque saison un défilé grandiose au Trocadéro, face à la Tour Eiffel, mais aussi de nombreuses ouvertures de boutiques, dont celle ayant remplacé le concept-store Colette. Cerise sur le gâteau, le 12 février 2020, François-Henri Pinault, PDG du groupe Kering, annonçait que la marque avait dépassé les 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019.

Smoking, Saharienne, robe Mondrian… Les pièces cultes

S’il ne fallait en retenir qu’une ce serait le smoking, le chef d’oeuvre de la carrière du couturier. Véritable "outil" de l’émancipation de la femme, qui pourra désormais porter des pantalons, il propose en détournant cet emblème masculin noir la parfaite alternative à la robe de soirée. Il n’aura de cesse d’en proposer de nouvelles versions à chacune de collections. Comme des tailleurs pantalons.

Ensuite vient la robe Mondrian à la coupe droite, en rupture avec ce qui se faisait dans les autres maisons, et à l’imprimé faisant un rappel évident à la célèbre Composition C(n°III) with red, yellow and blue du peintre Piet Mondrian. Celle fut adulée par la presse internationale lors du défilé automne-hiver 1965, sera à nouveau présentée lors du défilé d’adieu du couturier en 2002 au centre Pompidou.

Ayant toujours à coeur de révolutionner le vestiaire féminin en libérant leur corps, Yves Saint Laurent présente sa première saharienne en 1967, inspirée des tenues des Afrikakorps. En gabardine de coton, elle est confortable et incarne une nouvelle forme de séduction. Elle devient rapidement un classique de la maison et est régulièrement revisitée.

Autre pièce androgyne, la combinaison-pantalon, à l’origine portée par les aviateurs, qui permet au couturier de révéler les courbes féminines. Autre pièce culte liée au scandale et à la révolution sexuelle, le "nue look" : une robe de mousseline entièrement transparente ceinturée de plumes d’autruches réalisée en 1968. Sans oublier le caban, les collections Scandale inspirée des looks des années 40, Afrique et Opéra-Ballets Russes et le sac Muse.

Toutes ces pièces cultes ont été et sont encore largement revisitées chaque saison par les directeurs artistiques qui ont succédé au couturier.