Expo : Ce que l'Asie Rêvée d'Yves Saint Laurent nous dit de la mode actuelle

Asie Rêvée YSL
Une rétrospective sur le rapport d'Yves Saint Laurent à l'Asie apporte une nouvelle pièce de réflexion à la question, souvent mal comprise, de l'appropriation culturelle.

Le 2 octobre dernier s’ouvrait la nouvelle exposition du Musée Yves Saint Laurent Paris. Intitulée L’Asie Rêvée d’Yves Saint Laurent, elle met en évidence le rapport particulier que le créateur iconique entretenait avec l'Orient. Une partie du monde dont il a visité peu de pays – si ce n’est la Chine et le Japon – mais qu’il a exploré à plusieurs reprises dans ses collections.


Mode, diversité et appropriation culturelle

À l’annonce du sujet de l’exposition, une question s’est posée comme évidente. Comment a été traitée et transmise l’histoire du créateur avec l’Asie à une époque où la notion d’appropriation culturelle  qui dénonce l'accaparation d'une culture dite minoritaire par une culture dite majoritaire sans en demander l’autorisation aux concernés- tend à débouter le travail des designers ?

Ces dernières années, la mode a été placée sous le coup d’accusations qui poussent ses acteurs à poser les questions qui fâchent : À qui profite le multiculturalisme apparent de l’industrie ? Pourquoi les cultures qui inspirent les designers ne sont pas toujours citées et mise en avant ? Comment expliquer que ces cultures soient dignes d’intérêt, mais pas les personnes qui les ont développées ?



crédit photo : Musée Saint Laurent Paris

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Outre-Atlantique, nombreux ont d’ailleurs été les articles à avoir insisté sur ces questions à l’instar de celui sur la place des designers noirs dans l'industrie, publié sur le site de référence Business Of Fashion, ou encore celui sur l’absence de diversité sur les Front Row du New-York Times, sans parler de celui sur le vécu des personnes noires travaillant dans la mode à lire sur The Cut, le supplément mode et lifestyle du New-York Magazine.

Pourtant
, en France, le problème reste peu soulevé.
 Non pas que l’industrie française ne souffre pas des mêmes maux, mais plutôt parce que notre vision de l’universalisme et aussi notre manque d’intérêt pour les questions qui fâchent passent avant tout le reste. Et puis, la France, c’est aussi le pays où la mode est née et où, par conséquent, l’esthétique est reine et a vocation à laisser le politique à la porte. 

Quand Yves Saint Laurent explore l’Orient

Vous allez me demander : « mais qu’est-ce que tout cela à voir avec Yves Saint Laurent ? » Tout simplement, parce que lorsqu’on regarde dans le rétroviseur, le créateur ne semblait avoir aucun mal à explorer ces questions. Et ce, quitte à voir sa mode taxer d’orientalisme, un concept définit par le penseur Edward W. Saïd comme : « presque une invention de l’Europe, depuis l’Antiquité lieu de fantaisie, plein d’être exotiques, de souvenirs de paysages obsédants, d’expériences extraordinaires ». Une idée que précisera d’ailleurs Pierre Bergé : « avec son génie, Yves Saint Laurent a fouillé dans le bric-à-brac orientaliste et avec une habileté de magicien en a fait surgir son propre monde ».

C'est à ce monde que rend hommage Asie Rêvée d’Yves Saint Laurent, première exposition temporaire thématique mise en place par le Musée Yves Saint Laurent Paris, depuis son ouverture en octobre 2017. En une cinquantaine de modèles haute couture inspirés de l’Inde, de la Chine et du japon mis en dialogue avec des objets d’arts asiatiques prêtés par le Musée Guimet et des collectionneurs privés, l’exposition met sous nos yeux cette fascination du créateur pour l’Asie.


crédit photo : Musée Saint Laurent Paris

Dès ses premières collections, au début des années 60, l’Inde est imaginée et ré-interprétée comme à travers les somptueux manteaux des souverains où encore avec l’ensemble porté par Loulou de la Falaise lors de son mariage en 1977. Cette même année, c’est la Chine Impériale qu’il imagine pour sa collection de l’automne-hiver où l’on retrouve « chapeaux chinois », « tunique chinoise » et soie façonnée dragon ». C’est aussi à cette date qu’il présente Opium, sa fragrance dont le nom au parfum de scandale déclenche des appels au boycott lors de son lancement aux Etats-Unis, en 1979. Le Japon n’est pas mis de côté et se redessine notamment à travers le somptueux manteau du soir (collection haute couture, automne-hiver 1994) qui prend inspiration du kimono.


La place du rêve


« J’ai abordé tous les pays par le rêve.
 Il me suffit de regarder un très beau livre sur l’Inde pour dessiner comme si j’y avais été. C’est le rôle de l’imaginaire », a déclaré Yves Saint Laurent lors d’une interview en 1991. Et c’est justement cette notion du rêve, qui peut créer une ambiguïté. « La question, c’est aussi : est-ce qu’exotiser l’autre par le prisme de notre fantasme n’est pas une autre forme de domination ? » , s’interroge, Florie Bavard, spécialiste des questions d’orientalisme. « Parce que, finalement, à qui profite la folklorisation d’autres cultures ? ».

Alice Litscher, professeure à l’Institut Français de la Mode, renchérit : « C’est une question importante. Mais je pense que pour Yves Saint Laurent, il s’agissait de donner de la valeur à des choses méprisées. Il ne pensait pas s’approprier quoi que ce soit mais plutôt dire LES beautés. Malgré tout, son travail a nourri une industrie capitaliste dont je suis certaine qu’il la dédaignait ».


crédit photo : Musée Saint Laurent Paris

Une anecdote racontée dans le livre d’exposition laisse d’ailleurs à le penser. On peut y lire : « Il se trouvait un soir avec quelques amis pour un dîner très intime. La conversation s‘emballait sur la politique, l’inquiétante montée de l’extrême-droite, et chacun avait sa solution miracle. Seul, Yves se taisait. Et puis dans le silence et le calme revenus, soudain a résonné sa voix de luxe et de feutre, sa voix d’enfant triste et résolu : « Et bien moi, je ferai des robes CONTRE ». 

Le Musée Saint Laurent Paris, à l’image de celui à qui il doit son nom, fait parti des rares musées de mode à toujours citer la, ou les cultures, ayant inspirés une tenue. Et s’il est certain que la question d’appropriation culturelle continuera à créer le débat, je préfère finir sur cette citation, presque enfantine, du créateur qui, au fond, s’est inspiré autant qu’il rêvait de devenir lui-même une source d’inspiration : « Et peut-être une chance, d’influencer à mon tour […] une de ces civilisations étrangères qui m’a tant apporté ».

L’Asie Rêvée d’Yves Saint Laurent
Jusqu’au 27 janvier 2019
Musée Saint Laurent Paris
5 avenue Marceau
75116 Paris 



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