Depuis la publication d’une enquête le 10 avril 2024 dans Paris Match, élargissant le hashtag #Metoo au domaine de la médecine et de l’hôpital public, les témoignages pleuvent et la parole se libère - notamment sur les réseaux sociaux.

Après que la Pr Karine Lacombe a publiquement accusé l’urgentiste Patrick Pelloux et d’autres médecins d’agressions sexuelles - un témoignage accompagné de révélations similaires par d’autres femmes du secteur, restées anonymes, pour la plupart - c’est au tour d’un collectif de médecins, soignants et soignantes - dont la Pr Lacombe fait partie - de s’emparer de la parole.

Dans une tribune publiée dans Libération le 7 mai 2024, ils et elles déclarent ne plus tolérer les gestes, les propos et l’omerta généralisée au sein de l'hôpital public. 

“Désormais on se relève, on reste, et on en finit avec l’impunité”. Une formule faisant écho à celle employée par l’autrice Virginie Despentes, après la cérémonie des Césars en 2020 (également dans une tribune pour Libération) : "Désormais on se lève et on se barre".  

78% des femmes médecins victimes de sexismes, 30% de gestes inappropriés

Le baromètre Donner des Elles à la santé par Ispos, en mai 2023, publiait déjà des chiffres alarmants sur l’état des inégalités femmes-hommes et des comportements sexistes et agressions, au sein de l’institution.

Des résultats repris par le collectif pour dénoncer "un système qui perdure", agissant sous le prétexte de l’esprit carabin et qui donne à entendre des "tiens l’écarteur comme tu écartes les cuisses" ou "j’ai envie, tu devrais être flattée".

Vidéo du jour

L’ex-ministre de la santé, Agnès Buzyn témoignait également de l’acharnement vécu durant ses années en tant que praticienne. Dans le documentaire Des blouses pas si blanches, diffusé le 5 mai 2024 sur M6, l’hématologue revient sur l’événement qui lui a fait quitter la profession et lui a valu une phase "pré-suicidaire".

"Tout d’un coup, je ressens une immense agressivité de la part de mes collègues. En fait, les hommes ne supportaient pas d’avoir une femme hiérarchiquement au-dessus d’eux", confie-t-elle à Libération. Une situation insoutenable intervenue au moment de sa nomination à une chaire de professeur en 2003.

Mais les discriminations de genre s’accompagnent aussi de harcèlement moral et sexuel, puisque la tribune rappelle que, "sur 521 médecins interrogées, 20 % d’entre elles ont subi des pressions répétées pour obtenir des faveurs sexuelles et 17 % d’entre elles ont même subi des situations d’agressions sexuelles".

Ces chiffres évoquent une réalité encore peu dite et encore moins écoutée et sont sûrement “sous-estimés”, ajoute le collectif.

Dénoncer le manque d’interlocuteur

Sous couvert d’une "bonne réputation", d’une "expérience" ou d’un rapport de force bien établi, les accusations et les dénonciations se font peu nombreuses.

En cause ? La crainte de "saboter" sa carrière avant même de l’avoir débutée, mais aussi et surtout, l’usage de la pression pour dissuader les victimes de parler, ainsi que le manque d’interlocuteurs vers qui se tourner.

Un système tant et si bien mis en place que le collectif de soignant.es et médecins estime que certain.es “oublient” ou, peut-être, choisissent de fermer les yeux sur les actions inappropriées qu’ils et elles ont pu voir.

Un appel à réformer un système verrouillé par le patriarcat

Une lourde tâche attend désormais l’institution qui doit être synonyme de protection et de mesures punitives, toujours selon le collectif.

Outre la libération et la prise en compte de la parole, celle-ci devrait cesser de tolérer les petits arrangements du système qui consiste à relocaliser les problèmes dans une structure différente plutôt que de les sanctionner, explicite les médecins et soignant.es signataires. 

Réformer passe aussi par l’ouverture de postes à responsabilité aux femmes médecins et soignantes, car 60% d’entre elles considèrent que “les hommes sont davantage sollicités dans les activités de représentation”, et que 38% déclarent qu’il leur est dit que les postes universitaires ne sont pas faits pour elles, selon le sondage Ispos.

“Pour cela, nous avons besoin et demandons aux universités de s’engager à une protection pédagogique obligatoire pour les étudiantes portant plainte ou témoignant afin de ne pas être pénalisées dans leur cursus de formation”, interpelle le collectif qui appelle au soutien de la communauté médicale, mais aussi des administratifs.ves et des patient.es, pour stopper "l’hémorragie de misogynie".