"Ma France, c’est Joséphine !" : la dernière phrase du discours d’Emmanuel Macron retentit sous la voûte froide du Panthéon où s’est massée une foule émue d’artistes (Angélique Kidjo, Abd Al Malik, Line Renaud) et d’officiels, de jeunes enfants et de militaires. Le Président de la République a choisi de hisser l’immense Joséphine Baker, Américaine naturalisée française en 1937, résistante et militante anti-raciste, au cœur de la nation.

Sixième femme au Panthéon

Il l’a célébrée à sa façon, "une héroïne (…) fulgurante de beauté et de lucidité dans un siècle d’égarements", apte à "faire lever devant soi tous les rideaux, céder toutes les barrières". "Vous entrez dans notre Panthéon parce que, née Américaine, au fond il n’y a pas plus Française que vous !", a-t-il salué après qu’on ait entendu plusieurs de ses chansons, dont J’ai deux amours. Elle est la première femme noire, et seulement la sixième femme, à y être honorée : elle rejoint Sophie Berthelot, Marie Curie, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Simone Veil.

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Pendant la cérémonie, alors que le cercueil recouvert du drapeau bleu-blanc-rouge remontait lentement la rue Soufflot, dans le 5e arrondissement parisien, Séphora Pondi, pensionnaire de la Comédie Française, racontait la vie de "Tumpie", surnom donné par sa mère blanchisseuse à la jeune Joséphine, née en 1906 : elle sautille sans arrêt, ne tient pas en place ! On est à Saint Louis, dans le Missouri, État rongé par la ségrégation.

Joséphine est placée pour servir une famille riche et blanche, elle y est maltraitée, et même ébouillantée pour avoir cassé une assiette. Mariée à 13 ans, elle commence à danser, et à 14, gagne son premier cachet. Après un bref passage dans une revue de music-hall à Broadway, une énième humiliation raciste à New York la décide à gagner la France : "Je me suis enfuie des États-Unis à cause de cette terreur de la discrimination." Ce sera le fil de sa vie.

Figure du Paris des Années folles et de la Résistance

Dès 1925, elle triomphe à Paris, aux Folies Bergères, et, les cheveux plaqués sur le crâne par sa célèbre brillantine "Bakerfix", elle devient l’icône des années folles. Somptueuse, facétieuse, se jouant des clichés érotiques et coloniaux dans lesquels on voudrait l’enserrer, elle fascine Picasso comme Calder, mais aussi Christian Dior ou Jean Gabin. Se montre au bras d’un homme comme au cou d’une femme, et pourquoi pas dévalant les Champs-Elysées en robes luxueuses flanquée de son léopard Chiquita.

"Dès 1938, elle milite contre l’antisémitisme" avant d’entrer en résistance, a rappelé le Président Macron, "protégeant résistants et juifs dans sa propriété de Milandes, en Dordogne, transformée en antenne radio, et parcourant l’Afrique et l’Europe en cachant des messages à l’encre sympathique sur ses partitions". Cet engagement pour les services secrets lui vaut moult médailles, épinglées sur un coussin porté par une militaire, juste derrière le cercueil.

En 1963, à Washington, uniforme de sous-lieutenant de l’Armée de l’Air en étendard, elle prend la parole avant le discours du pasteur Martin Luther King, I have a dream. Ce combat ardent pour les droits civiques la fait ficher par le FBI.

De retour en France, elle adopte douze enfants dans le monde entier, dont Brian Bouillon-Baker, l’un de ses fils, présent au premier rang de la cérémonie au côté du prince Albert de Monaco - sa mère, Grace Kelly, fut une amie et un soutien indéfectible de Joséphine jusqu’à sa mort en 1975.

"Sa tribu arc-en-ciel fut l’épiphanie de l’universalisme auquel elle croyait tant", a conclu Emmanuel Macron avant d’inviter l’assistance à une minute de silence. Si le Président a choisi d’en faire une figure universaliste, allant jusqu’à dire qu’"elle ne défendait pas une couleur de peau mais une certaine idée de l’Homme", et prononçant à son sujet le mot de "laïcité" (écho au "elle n’était pas une wokiste" de certains candidats LR lors du dernier débat ?), Joséphine Baker demeure telle qu’en elle-même : une citoyenne farouchement libre.

Nul ne pourra s’arroger son message émancipateur. Reste que la célébration de ce symbole de tolérance et d’humanisme pourrait induire une légitime cohérence politique – dans le traitement réservé aux migrants sur notre territoire par exemple.