21 avril 2011, Nantes. Après quinze jours de silence de la part de la famille Dupont de Ligonnès, des enquêteurs retrouvent les corps de cinq personnes enterrés sous la terrasse de la demeure familiale. Agnès (48 ans) et ses quatre enfants, Benoît (13 ans), Anne (16 ans), Thomas (18 ans) et Arthur (21 ans), ainsi que le chien de la famille, sont ensevelis sous des tas de gravats et de chaux vive. Ils ont été tués par balles. Seul absent : le père, Xavier Dupont de Ligonnès.

Dès lors, commence une chasse à l’homme nimbée de questions : que s’est-il passé ? Le principal suspect de l’affaire est-il en fuite ou est-il mort ? A-t-il pu assassiner toute sa famille ? Seul ? Aidé ? Pourquoi avoir décimé les siens ?

Depuis plus de dix ans, les enquêteurs cherchent, étudient toutes les pistesn dont plus des milliers de signalements et de procès verbaux. Retour sur l'un des faits divers les plus médiatisés de France.

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Une famille abattue méthodiquement

Dès le départ, un véritable flou entoure les faits. Entre le signalement de la disparition des Dupont de Ligonnès, famille tranquille décrite comme "très catholique et pratiquante" et la découverte des corps sous la terrasse de la maison nantaise, plusieurs jours s'écoulent.

Tandis que les corps sont découverts le 21 avril 2011, les portables de tous les membres de cette famille établie depuis plusieurs années à Nantes ont été éteints entre le 3 et le 5 avril. Durant ce laps de temps, Agnès (48 ans), Arthur (21 ans), Thomas (18 ans), Anne (16 ans), et Benoît (13 ans) ont été exécutés méthodiquement pendant la nuit, de deux balles de 22 Long Rifle, après avoir été drogués, selon les résultats des autopsies.

Du simple "appel à témoins" que le procureur de la République de Nantes s'apprête à lancer à l'époque, l’enquête bascule "nettement sur une qualification criminelle de séquestration et d'assassinats" et intéresse les médias du monde entier. 

Dès la découverte macabre, les enquêteurs s’intéressent au père, Xavier Dupont de Ligonnès, qui semble s'être volatilisé. L'enquête révèle par la suite que "XDDL" a été aperçu par des voisins le 7 avril (soit, a priori, deux jours après la tuerie) au domicile familial, transportant de gros sacs. Il passe la nuit du 11 au 12 avril dans un hôtel de Toulouse puis dîne le lendemain dans une auberge cinq étoile du Vaucluse, où il prend une chambre pour la nuit.

"Si ça tourne mal, je n’ai que deux solutions : me foutre en l’air avec ma voiture ou foutre le feu à la baraque quand tout le monde dort." Extrait d'un mail de Xavier Dupont de Ligonnès à des amis

Il est identifié pour la dernière fois vivant à la sortie d’un hôtel Formule 1 de Roquebrune-sur-Argens (Var) le 15 avril 2011, d'après les images d'une caméra de vidéosurveillance située d'un distributeur automatique. Détail pour le moins étrange : il semble alors défier la caméra du regard. Le 10 mai 2011, un mandat d’arrêt international est émis à son encontre. 

Un père de famille à la personnalité inquiétante

Les enquêteurs mais aussi les journalistes, s’intéressent rapidement à l’histoire et à la personnalité de l'unique et principal suspect de cette affaire. 

Né à Versailles le 9 janvier 1961, Xavier Dupont de Ligonnès a été élevé avec sa soeur Christine, par une mère seule, fermement convaincue d'une apocalypse imminente. Leur père les a abandonnés des années plus tôt, semble-t-il pour échapper au fisc. 

Xavier Dupont de Ligonnès épouse Agnès Hodanger en 1992, tente sa chance en montant des entreprises qui périclitent toutes et engloutissent par là même l’héritage de son épouse et 50 000 euros empruntés à une maîtresse, qui le sommera de la rembourser.

Ces multiples dettes, ainsi que ses échecs professionnels, poussent alors l’homme à faire part d’idées suicidaires à des amis, un an avant les faits. "Si ça tourne mal, je n’ai que deux solutions : me foutre en l’air avec ma voiture ou foutre le feu à la baraque quand tout le monde dort (…) Post-scriptum : je suis très sérieux, lucide et sous l’emprise d’aucune drogue ni d’aucun alcool". "Je serai donc fin août-début septembre au pied du mur avec une décision définitive à prendre : suicide seul ou suicide collectif…", écrit-il alors par mail à deux amis, en joignant un document intitulé "Dispositions.doc". 

Un an plus tard donc, le 12 mars 2011, Xavier Dupont de Ligonnès, qui s'intéresse depuis plusieurs mois pour le tir, achète une arme et des cartouches dans une armurerie nantaise. Un peu moins d’un mois plus tard, un huissier chargé de recouvrer une dette s’élevant à 20 000 euros se rend à la demeure familiale, mais trouve porte close. 

Au même moment, le bail de la maison est résilié, des lettres étranges expliquant un départ soudain de la famille à l'étranger dans le cadre d'un "programme de protection des témoins" sont envoyées aux écoles des enfants, à des proches et au travail d’Agnès. Un message similaire sommant de renvoyer le courrier à son destinataire est scotché sur la boîte aux lettres. Enfin, les comptes bancaires de tous les membres de la famille sont clôturés. 

Une disparition et des théories invraisemblables

Passées les premières semaines d'émotion et de recherches qui ont tenu en haleine la France entière, la disparition de Xavier Dupont de Ligonnès fait l'objet de bon nombre de théories invraisemblables, de livres, de documentaires et même, de deux séries, La part du soupçon (2019)et Un homme ordinaire (2020). Un double numéro spécial de Society, publié également en 2020, s'est même vendu entre 300 et 400 000 exemplaires. Cette investigation à succès du magazine, sera ensuite adapté en livre, et prochainement en série télévisée (la date n'a pas été annoncée).

En 2015, des restes humains retrouvés dans la forêt de Bagnols, près de Fréjus (Var), relancent la piste d’une vie d’ermite que mènerait le père de famille depuis 2011 et qui serait alors décédé dans les bois. Élément trouble : une facture de 2011 est retrouvée parmi les reste. Rapidement, l’expertise ADN va couper court aux théories. 

Toujours cette même année, en juillet 2015, une journaliste nantaise de l’AFP (Agence France-Presse) reçoit un étrange courrier signé "XAVIER DUPONT DE LIGONNÈS" contenant une photo jamais diffusée de deux des enfants de la famille, Arthur et Benoît, l'aîné et le cadet. Au dos de ce cliché, il est inscrit "JE SUIS ENCORE VIVANT". Là encore, les tergiversations vont tourner court, la police jugeant peu probable que ce courrier provienne réellement du fugitif. 

Au cours de ces dix dernières années, des centaines voire des milliers de pistes et d’éléments troublants ont été étudiés et même romancés. Qu'est donc devenu Xavier Dupont de Ligonnès ? Enrôlé dans une secte ? Caché dans un monastère ? En fuite en Amérique du Sud, disparu volontaire bien décidé à reconstruire sa vie avec une autre famille ? Décédé ?

Toutes les pistes ont été envisagées, jusqu’à ce 11 octobre 2019, date à laquelle un homme, controlé à son arrivée en Écosse par la police, est arrêté car soupçonné d'être Xavier Dupont de Ligonnès. La police écossaise le confirme : ses empreintes auraient parlé. L'homme, lui, serait resté silencieux. Mais quelques heures plus tard, les analyses ADN complètes indiquent que l'homme en question n'est pas Xavier Dupont de Ligonnès. Il se nommait Guy Joao, et est décédé en 2021, des suites d'une longue maladie.

En 2020, un épisode de la série  Unsolved Mysteries - Les Enquêtes extraordinaires estconsacré à l’affaire. Diffusé sur Netflix, il provoque une nouvelle vague de signalements, notamment en provenance des États-Unis.

De nombreuses fausses pistes

Un an après, Le Parisien révèle que les enquêteurs se sont rendus le 15 juillet 2021 à l’abbaye traditionaliste de Notre-Dame de Fontgombault, située dans l’Indre, pour interroger Jean-Claude Romand. Un tueur condamné à la perpétuité en 1996 pour les meurtres de son épouse, de leurs deux enfants, de ses deux parents et qui s’était fait passer toute sa vie pour un médecin.

Un témoin a affirmé, après avoir échangé avec lui, que Xavier Dupont de Ligonnès se serait caché au sein de la communauté monastique où le criminel s’est lui-même installé depuis sa libération conditionnelle en juin 2019. Interrogés, les deux hommes ont finalement affirmé n’avoir aucune information sur la présence du disparu au sein du monastère.

Les policiers ont également soupçonnés le fugitif d’avoir trouvé refuge temporairement dans une secte apocalyptique appelée "Notre Dame d’Alvenia", située dans la commune de Seborga (Italie). L’association religieuse a été crée par Stéphane Ravel d’Estienne, un ancien médecin français radié de l’Ordre, et sa compagne. Le couple aurait entretenu des liens étroits avec la famille de Xavier Dupont de Ligonnès, notamment avec la mère de ce dernier, qui aurait été à la tête du groupe de prière "l’Église de Philadelphie". Après avoir reçu un signalement de la part d’un campeur, les policiers ont interrogé la veuve de Stéphane Ravel d’Estienne. En vain.

Plus récemment, le 4 avril 2024, L’Est Républicain informe qu’une femme a indiqué à la police avoir aperçu l’homme recherché au sein de la communauté des sœurs de Béthanie, du côté de Montferrand-le-Château (Doubs), près de Besançon. Celle-ci a pour vocation d’accueillir des femmes à leur sortie de prison, et de leur permettre de devenir religieuses. "Elle n’est pas formelle mais pense l’avoir reconnu", précise le procureur de la République Étienne Manteaux.

Ce nouveau témoignage a immédiatement déclenché une série de vérifications et l’ouverture d’une enquête, confiée aux gendarmes de la brigade des recherches (BR) de Besançon. Malheureusement, les résultats ADN effectués sur des cannettes bues par le suspect se sont révélés négatifs.

La sœur du fugitif dans "le déni"

Au même moment, la sœur du suspect, Christine Dupont de Ligonnès, et son époux, Bertrand De Verdun, publient un livre Xavier, mon frère présumé innocent (Éd.Harper Collins), dans lequel ils soutiennent le fugitif mais aussi le reste de sa famille seraient encore en vie. Alors même que les corps des victimes, sa belle-sœur et ses quatre neveux et nièces, ont bel et bien été retrouvés.

Invitée dans l’émission Quelle Époque, présentée par Léa Salamé, elle estime que "c'est certainement une mise en scène". Elle évoque également une lettre que son frère lui aurait écrite : "Xavier me dit clairement qu'il est du renseignement depuis X années. J’avais des interrogations sur certaines petites choses que je ne m’expliquais pas. Il y a des éléments que je ne m’explique pas dans sa vie et que cette lettre vient éclairer", assure-t-elle.

Lors d’une interview pour BFMTV le 18 mars 2024, l’avocat de la soeur du disparu Me Stéphanie Goldenstein, a reconnu que sa cliente était dans "le déni". "Elle s'engouffre, et je ne peux pas lui dire qu'elle a tort."

Dans un communiqué, le procureur de Nantes, Renaud Gaudeul souligne que "rien ne permet de donner judiciairement du crédit à cette version" et rappelle que sa thèse ne s’appuie sur aucun élément juridique. Et que si celle-là était vraie elle impliquerait "la falsification d’actes judiciaires non seulement par des enquêteurs, mais également par les experts ayant procédé aux autopsies et aux analyses d’identification par empreintes génétiques, lesquelles ont été réalisées à partir de prélèvements musculaires opérés sur les corps découverts".

En janvier 2020, Le Parisien a révélé que cette femme était suspectée de dérives sectaires avec le groupe de prières "Philadelphie" créé par sa mère, mais qu'elle dirigeait désormais - ce qu'elle dément. Fin 2019, le parquet de Versailles ouvrait une enquête visant les deux femmes pour "abus de faiblesse en état de sujétion psychologique visant un mouvement d'inspiration catholique, traditionaliste, radical et apocalyptique".

À ce jour, l’affaire est toujours en cours d’instruction au pôle criminel de Nantes et 1 750 signalements ont été exploités, chiffre le procureur de la ville. Treize ans après la disparition du père, le mystère Dupont de Ligonnès reste donc entier.