Elles ont repris les études après 40 ans

Par Géraldine Dormoy-Tungate
Publié le
études après 40 ans
En quête de sens, mal orientées à l'adolescence ou piquées par le besoin de se réinventer, nombreuses sont les femmes à y avoir pensé. Malgré les difficultés, nos quatre témoins, elles, se sont lancées. Et aucune ne regrette sa décision.

Fabienne Benaroch, infirmière, s'est arrêtée vingt-cinq ans pour élever ses quatre enfants. "Un jour, le dernier, alors âgé de 13 ans, a écrit sur des papiers administratifs à l'école : 'Profession de la mère : rien.' J'en ai déduit que mon fils était autonome et qu'il était temps que je m'occupe de moi." 

En 2017, à 53 ans, elle s'est formée pour devenir sophrologue. "J'étais fière d'être la doyenne de l'école. Dans ma tête, j'ai toujours 15 ans !"

Vidéo du jour

Retourner à l'école une fois adulte, beaucoup y pensent : selon le baromètre de la formation professionnelle 2023, 54 % des sondé·es se disent susceptibles de reprendre des études. En France, le contexte s'y prête. Un climat de remise en question du sens que l'on donne à son travail flotte dans l'air, les possibilités d'aides sont désormais connues - comme le CPF (compte personnel de formation) ou Pôle emploi - et le Covid a facilité l'accès à des formations diversifiées, notamment grâce aux plateformes d'apprentissage en ligne – Coursera, Udemy, edX...

Anticiper le "syndrome du nid vide" 

Sandra Fillaudeau, fondatrice de la société de conseil Conscious Cultures et du pod-cast Les Équilibristes, n'est pas étonnée que Fabienne se soit lancée à l'orée de la cinquantaine.

Parmi les femmes qu'elle accompagne, beaucoup se décident à ce moment, anticipant le "syndrome du nid vide" : "Leurs enfants ne sont pas encore partis mais ils ne les accaparent plus. C'est une période qui pousse à l'introspection : elles ont enfin le temps de se demander si elles sont là où elles ont envie d'être". 

Ce fut l'approche de Géraldine, 50 ans. "Longtemps commerciale, j'ai repris mes études en 2016 pour devenir conseillère conjugale et familiale. J'avais 42 ans, j'éprouvais le besoin de mieux me connaître. Avec cette formation pour devenir thérapeute, je me suis fait un cadeau. Il y a eu des moments durs, mais désormais, je me sens à ma place".

Rattraper son orientation ou utiliser son champ d'expertise

L'envie d'exercer un métier passion constitue l'une des principales motivations des intéressé·es. "On reprend souvent des études pour rattraper une orientation que l'on n'a pas pu suivre adolescente", observe Sandra Fillaudeau.

Dès lors, on ne s'étonne plus que certaines thématiques reviennent chez ces néo-étudiant·es : "Les métiers autour du beau, du bon et du bien-être attirent, note Alexia Colson-Duparchy, coach pour entrepreneur·euses et autrice du livre De l'art d'envoyer valser sa carrière (Éd. Hachette Pratique). À 20 ans, la société nous met beaucoup de barrières vis-à-vis d'activités réputées peu rémunératrices. À 40 ans, on sait ce que l'on veut et on n'a plus de temps à perdre".

Pour Gwen Riou, 43 ans, reprendre des études fut une étape nécessaire. Aujourd'hui céramiste, elle a grandi dans un monde où les métiers manuels n'étaient pas valorisés. "À l'école, une professeure de français nous menaçait : 'Si tu ne travailles pas bien, tu finiras en CAP.' L'artisanat ne pouvait être qu'un à-côté". 

Passionnée de poterie depuis ses 18 ans, elle suit des cours du soir mais se lance dans des études "sérieuses" : maîtrise d'anglais et DEA de communication. Devenue conceptrice-rédactrice indépendante, elle fournit en parallèle des restaurants en assiettes, jusqu'à basculer céramiste à plein temps en 2017. L'envie de passer un brevet des métiers d'art (BMA) et un CAP s'est imposée l'année dernière.

"Je n'avais pas besoin de diplôme pour travailler, mais je souhaitais faire taire mon syndrome de l'imposteur. On me pose souvent des questions sur ma formation, mon parcours. Être créateur suppose de montrer son travail. Des gens peuvent ne pas aimer mes pièces. Les diplômes allègent les jugements : ils justifient ma situation et permettent de me sentir légitime".

Mais il ne s'agissait pas uniquement d'évacuer ses complexes. "Je voulais aussi enrichir mes connaissances de manière concrète. Au lycée, les cours me paraissaient très théoriques. Aujourd'hui, je comprends ce qu'on m'enseigne et je l'applique immédiatement".

L'approche est plus pragmatique qu'à 18 ans. "Ces personnes ont eu le temps de préciser leur champ d'expertise, remarque Alexia Colson-Duparchy. Il leur manque seulement un diplôme ou des connaissances spécifiques pour aller plus loin." Éléonore Gratton, ancienne comédienne devenue professeure de yoga, s'est engagée à 49 ans dans un diplôme universitaire sur les pensées et spiritualités d'Asie. "Je voulais modeler plus profondément mon rôle de formatrice afin de pouvoir répondre aux questions de mes élèves", explique-t-elle.

Le courage de reprendre ses études

Retourner à l'école sur le tard n'en demeure pas moins courageux. Parfois, il y a des blocages scolaires à dépasser. Éléonore Gratton gardait de mauvais souvenirs du lycée. "On me demandait d'entrer dans un moule, je me sentais en décalage", se souvient-elle. Après le bac, elle échoue aux concours des grandes écoles de théâtre mais intègre une troupe et se lance dans la pédagogie en milieu scolaire. "Autour de 40 ans, j'ai eu besoin de valider ce parcours d'artiste pédagogue par un diplôme d'État de professeur d'art dramatique. Je l'ai passé en VAE (validation des acquis de l'expérience, qui permet à tous les profils ayant minimum trois ans d'expérience professionnelle d'obtenir une certification correspondant à leurs compétences, ndlr). Quand je l'ai eu, à 43 ans, j'ai annoncé à mon père : 'J'ai mon premier vrai diplôme'"

Même pied de nez au passé chez Fabienne Benaroch : "Enfant, ma dyslexie me donnait l'impression d'être débile, raconte-telle. Reprendre des études m'effrayait mais j'étais motivée. Je me suis inscrite sans rien dire à personne, pas même à mon mari. J'enregistrais mes cours dans mon téléphone, puis les écoutais en boucle. Quand on aime un sujet, l'apprentissage est plus facile. J'ai pris confiance en moi."

La relation professeur·e-élève est différente. "Au lycée, il n'y avait que des fonctions, regrette Éléonore Gratton. Nous devions nous asseoir, nous taire, suivre les règles. Aujourd'hui, les fonctions sont toujours là, mais ouvertes sur l'échange autour d'un savoir et dépourvues de rapport hiérarchique. Je perçois aussi mieux les difficultés des enseignants. Certains sont timides, d'autres veulent trop donner. Ce sont des êtres humains, comme moi." Gwen Riou abonde : "Jeune, je n'ai pas eu ce professeur dont tout le monde parle, décalé et inspirant. J'ai attendu d'avoir 43 ans pour rencontrer des enseignants que j'admire, avec qui le dialogue est possible."

Une organisation à mettre en place

Trouver son rythme dans une vie bien remplie constitue un autre défi. "Je suis Lilloise et la formation se tenait tous les jeudis à Paris, se remémore Géraldine. Pendant trois ans, j'ai fait chaque semaine l'aller-retour dans la journée. Mes enfants avaient 5, 8 et 11 ans quand j'ai commencé. Quelle organisation ! Ce fut lourd pour mon mari. Logistiquement, mais aussi émotionnellement : la formation remue, il avait du mal à comprendre mes moments de spleen."

Sans compter l'aspect financier, même si CPF et Pôle Emploi prennent en charge certains frais. "Je n'aurais pas pu faire ces études si mon mari n'avait pas bien gagné sa vie, reconnaît Géraldine. C'était lourd mais jouable. Je l'ai porté quand il a créé sa boîte, il m'a portée quand j'ai fait ma reconversion." Enfin, il y a la crainte de ne pas y arriver. "Rester assise à prendre des notes pendant des heures puis faire à manger, c'est la collision de plusieurs mondes, estime Alexia Colson-Duparchy. À 20 ans, on a moins de responsabilités, la vie est plus simple."

La pression se poursuit après : le projet sera-t-il viable ? Fabienne s'est appuyée sur sa fibre commerciale : "Je me suis fixé l'objectif de parler de la sophrologie à deux personnes par jour. Ça a marché, les clients ont afflué." Remiser ses cahiers d'étudiante n'est pas toujours facile pour autant. "Ma vie s'est construite grâce à des mues successives, analyse Éléonore Gratton. Ces mues passent par des formations. Est-ce que je vais arrêter d'en suivre ? Pas sûr. On n'a jamais fini d'apprendre."

Article à retrouver dans le Marie Claire n°853 - octobre 2023.

[Dossier] Reconversion professionnelle : "J'ai envie d'une autre vie" - 8 articles à consulter

La Newsletter Égo

Bien-être, santé, sexualité... votre rendez-vous pour rester en forme.