Éco-anxiété : quand le désastre écologique nous submerge

Par Manon Duran
Eco-anxiété, le nouveau mal du siècle
Et si c'était le mal du siècle à venir ? L’éco-anxiété se traduit par un sentiment de tristesse et de culpabilité intense face à la dégradation de l'environnement. D’où vient ce phénomène et comment l’appréhender ? Témoignages.

Il m’arrive parfois de pleurer, même de faire des cauchemars quand je pense à l’avenir de notre planète et à celui de l’Homme”, confie Marion la gorge nouée. Comme cette étudiante en journalisme de 27 ans, un nombre croissant d’individus souffrirait de ce trouble nouveau : l’éco-anxiété. Peu étonnant à l’heure où rapports anxiogènes, photos choc et campagnes de sensibilisation se multiplient sur les réseaux.

Alice Desbiolles[1], médecin spécialisée en santé environnementale, définit ce sentiment comme une “souffrance morale qui touche certaines personnes face à la destruction de la planète et de la biodiversité”. Disparition d’espèces, pollution de l’air, des océans, fonte des glaces… à chacun ses déclencheurs. Retour sur ce malaise quotidien.                                                                                                                                                                                                

La solastalgie, ou l’angoisse écologique

“Nous ne pouvons pas faire comme si les changements environnementaux que nous connaissons ne nous affectaient pas. Ils ont un impact certain sur nos modes de vie et nos états d’âme”, relève Marie Romanens[2], psychothérapeute qui ne dissimule pas ses convictions écologiques. “Il est donc question d’une véritable souffrance issue d’inquiétudes légitimes”, tient-elle à rappeler.

On se demande ce qu’il restera de cette Terre pour les plus jeunes. C’est une très lourde responsabilité.

Vidéo du jour

En témoigne la détresse de Marion : “Nos proches ne se rendent pas compte à quel point cela nous impacte psychologiquement. On est focalisé sur le sort de toute la planète. On pense aux autres, aux générations à venir… Franchement, c’est terrible”, confie la jeune femme en étouffant un sanglot sincère - qui peut paraître démesuré de prime-abord. Même constat pour Stéphanie qui à 47 ans a fait le choix de quitter la publicité pour se lancer dans l’écotourisme : “On est inquiets, on se demande ce qu’il restera de cette Terre pour les plus jeunes. C’est une très lourde responsabilité”, songe la chef d’entreprise.

Au-delà du stress, l’éco-anxiété peut revêtir plusieurs formes. C’est pourquoi Alice Desbiolles lui préfère le terme plus large de « solastalgie », développé en 2007 par le philosophe australien Glenn Albrecht. “Selon les sensibilités, il existe plusieurs degrés de réactions. Pour certains, la solastalgie se traduit par une forme d'angoisse ponctuelle, de culpabilité, d’inquiétude plus persistante, ou encore de colère, de tristesse, pouvant aller jusqu’à la dépression ou à des troubles du sommeil", détaille la spécialiste.

Impuissance et culpabilité

“Le climat n’est pas quelque chose que l’on peut combattre”, relève Lorena, jeune étudiante en médiation culturelle de 22 ans. Une fois ce constat établit, c’est le sentiment d’impuissance qui colore la plupart des témoignages. “Dans n’importe quelles circonstances, on a tendance à rationaliser pour relativiser. Mais pour ce qui touche à l’environnement, plus on rationalise, moins on arrive à relativiser. Et plus on se désespère”, se désole Marion. Avant d'ajouter inquiète, “c’est presque une forme de suicide collectif : on condamne la planète et l’Humanité. Ça va à l’encontre de tout instinct de survie. Je trouve ça aberrant”.

Plus on rationalise, moins on arrive à relativiser. Et plus on se désespère.

Cette incohérence, Marion n’est pas la seule à la pointer du doigt : “J’ai l’impression de foncer clairement dans un mur”, s’attriste Lorena, loin d’être optimiste en dépit de ses efforts pour tendre à un mode de vie plus respectueux de l’environnement. “Tout le monde donne la sensation d’être concerné, pourtant personne ne fait rien. C’est à la fois frustrant et rageant”, fulmine-t-elle.  Les spécialistes parlent du “syndrome du Titanic”. Comprenez : les êtres humains se contenteraient pour la grande majorité de regarder inexorablement le bateau couler. Tels les musiciens iconiques du célèbre paquebot. Fatalistes.

Le danger, c’est de vite voir tout le poids du monde reposer sur ses épaules. Il vous arrive de culpabiliser à cause de vos bains hebdomadaires ? Pensez qu’une simple bouteille d’eau peut à elle seule ruiner la matinée de Lorena : “Je deviens presque parano. En jeter une m’angoisse, je me demande si elle va vraiment être recyclée, je culpabilise, j’ai l’impression d’être une mauvaise personne”, retrace-t-elle. Et il en est de même dès qu’elle se penche sur un article ou un reportage - souvent alarmiste - traitant d’écologie. Elle avoue même se poser très sérieusement la question d’avoir ou non des enfants : “ Pourquoi vouloir des enfants dans un monde qui se dégrade à ce point ? Je n’entrevois pas d’issue.”

Une souffrance encore trop souvent prise à la légère

Si cette souffrance morale n’est pas encore reconnue par les professionnels de santé, elle serait tout de même de plus en plus prégnante dans notre société et reste difficile à traiter. Comme le précise Alice Desbiolles, “elle n’a été étudiée que principalement dans les cas de stress post-traumatique à la suite de catastrophes naturelles”. Ce manque de recherches peut donc entraîner une longue errance de diagnostic. Sans compter que leurs préoccupations peuvent être moquées et balayées car considérées comme abusives, voire simulées. Un préjugé regrettable.

“L’homme est un animal social, rappelle Alice Desbiolles. Le décalage de préoccupations et l’isolement le mettent en souffrance”. C’est entre autres ce qui a poussé Stéphanie à quitter la ville. “Gaspillage, pollution, considération trop peu importante pour les enjeux écologiques. En ville on finit par devenir dingue. Je ne me retrouvais plus dans cette société de consommation. J’ai ressenti le besoin urgent, presque vital, de ne plus alimenter la machine infernale qui nous mène à notre perte."

On sait qu’il n’y a pas de planète B et j’ai parfois l’impression d’être la seule à vouloir me battre.

“Je déprime à force de regarder les images du monde qui se dégrade. On sait qu’il n’y a pas de planète B et j’ai parfois l’impression d’être la seule à vouloir me battre. Ça me fait broyer du noir”, regrette Lorena. Une fois décelée, il semble difficile -voire impossible- de se défaire de cette angoisse. En faisant le choix de s'éloigner de la ville, Stéphanie qui se décrit comme une "ancienne urbaine écolo-frustrée" pensait apaiser ses maux. Pourtant, "même en campagne, je vois mes abeilles mourir. C’est déroutant, je suis impuissante, il y a de quoi baisser les bras”, confie-elle.

Vers une éco-citoyenneté salvatrice

Baisser les bras, ce n'est pourtant pas au programme de Stéphanie : "il faut se détacher de ses angoisses. Sinon c’est invivable", reconnaît-elle. Alors comment réagir face à ce stress climatique ?  La première des solutions -et celle qui demande peut-être le plus de discipline- est celle de limiter son usage des réseaux sociaux et des fils d’information. “Il faut s’extraire du flux perpétuel de nouvelles inquiétantes”, confirme Alice Desbiolles. Car Marion l’admet : "Le problème quand on s’intéresse à l’écologie, c’est qu’on risque vite de s’enfermer dans une bulle d’information. On a tendance à voir beaucoup plus de choses, à être plus sensible. C’est usant".

Dans un second temps, il faut accepter que l’on ne puisse pas changer le monde tout seul. "Il faut faire la paix avec soi-même et vivre en accord avec ses convictions", recommande Marie Romanens. Cela peut passer par des gestes quotidiens comme manger bio et local, réduire sa consommation de viande et de poisson, entrer dans une logique “zéro déchet”, limiter ses déplacements, ou encore s’engager dans des actions concrètes en rejoignant des mouvements, en participant à des marches pour le climat, ou en signant des pétitions. “Cela peut constituer une forme de catharsis salvatrice”, souligne Alice Desbiolles.

Il faut faire la paix avec soi-même et vivre en accord avec ses convictions.

Enfin, ce problème n’allant pas en diminuant, il est important d’apprendre à changer nos habitudes pour gagner en sérénité et en qualité de vie. Pour alléger sa conscience, il faut réussir à apprivoiser ses angoisses expliquent les spécialistes. Pour cela, l’écothérapie peut être une solution adaptée, au même titre que les « bains de forêt » - ou Shinrin-Yoku- dont les bienfaits sur le corps et le mental sont prouvés scientifiquement. Dans le cas de symptômes plus sérieux, on peut avoir recours à d’autres types de thérapies pour améliorer son humeur et travailler son estime de soi.

"Tout n’est pas perdu. C’est à nous d’agir pour transformer notre inquiétude en moteur, sensibiliser nos proches et donner du sens à nos actions", conclut Stéphanie qui n'a finalement pas perdu tout son optimisme.

[1] Alice Desbiolles, médecin de santé publique, spécialisée en santé environnementale et animatrice de la chaîne “Le Stétho d’Alice”. Plus d’informations sur la page : www.facebook.com/stethodalice/

[2] Marie Romanens, psychiatre, convertie en psychothérapeute et psychanalyste, co-auteur de “Pour une écologie intérieure”, réédité en 2017 aux éditions Le Souffle d'Or. 

[Dossier] Imaginer l'avenir. Il est temps - 32 articles à consulter

La Newsletter Égo

Bien-être, santé, sexualité... votre rendez-vous pour rester en forme.