Droit à l'avortement dans la Constitution : "Il est de notre devoir de ne pas attendre qu'il soit menacé pour le protéger"

ivg constitution
Après la stupeur face à la décision de la Cour suprême d'annuler l'arrêt Roe v. Wade, les questionnements inquiets en France. Et si la loi Veil était un jour elle aussi révoquée ? Trois questions à Karen Noblinski et Rachel-Flore Pardo, à l'initiative de l'appel des 400 avocat·es à inscrire urgemment le droit à l'avortement dans notre Constitution.

Lorsque, vendredi 24 juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a décidé de révoquer le droit à l'avortement, et de rendre à chaque État le dangereux pouvoir d'interdire l'IVG, Karen Noblinski et Rachel-Flore Pardo ont immédiatement écrit, avec Julie Couturier et Vincent Nioré, Bâtonnière et Vice-Bâtonnier du Barreau de Paris, une tribune réclamant la constitutionnalisation "sans plus attendre" de ce droit dans notre pays.

Plus de 400 avocats, inquiets de ce "recul sans précédent", ont rapidement rejoint leur cri d'alerte, publié dans le Journal du Dimanche au lendemain du choc.

Pour ces deux avocates engagées pour la défense des droits des femmes, cette révision constitutionnelle se révèle aussi nécessaire qu'urgente. 

Sécuriser le droit à l'avortement

Marie Claire : Que changerait l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution française ? Pourquoi appeler à cette modification de statut ?

Rachel-Flore Pardo : Aujourd'hui en France, le droit à l'avortement n'est consacré que par une loi : la loi Veil du 17 janvier 1975. 

La génération de Simone Veil et de Gisèle Halimi s'est battue pour qu'on ait ce droit. Désormais, il est de la responsabilité de notre génération de se battre pour qu'il soit sanctuarisé dans la Constitution française. 

En l'état actuel des choses, dans notre pays, il suffit d'une simple loi pour en changer une autre, et donc, pour revenir sur ce droit à l'interruption volontaire de grossesse. L'inscrire dans la Constitution empêcherait sa remise en cause et serait la meilleure garantie que l'on puisse offrir aux femmes. Car on ne change pas la Constitution aussi facilement qu'on change une loi.

La génération de Simone Veil et de Gisèle Halimi s'est battue pour qu'on ait ce droit. Désormais, il est de la responsabilité de notre génération de se battre pour qu'il soit sanctuarisé dans la Constitution française. 

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Dans son dernier livre, Une farouche liberté [co-écrit avec Annick Cojean, éditions Grasset, ndlr], Gisèle Halimi appelait d'ailleurs la relève à agir. C'est maintenant. Car si, aujourd'hui, le droit à l'avortement n'est pas en péril en France, il le sera peut-être demain. L'annulation de l'arrêt Roe v. Wade promulgué en 1973 nous a rappelé à quel point les équilibres politiques sont mouvants, fragiles. 

Karen Noblinski : Qui sait ce qu'il pourrait se passer dans 5 ou 10 ans ? Il est de notre devoir de ne pas attendre que ce droit fondamental soit fragilisé, menacé, pour le protéger.

Aurore Bergé, nouvelle cheffe de file à l'Assemblée nationale du groupe Renaissance (ex-LREM), a déposé une proposition de loi constitutionnelle en ce sens, samedi 25 juin. Une idée déjà portée par la gauche lors de la précédente législature... et rejetée par la majorité.

Karen Noblinski : En effet, la position de la majorité présidentielle n'a pas toujours été celle-ci quant à l'introduction à la Constitution du droit à l'avortement.

Ces derniers jours, il y a eu cette réaction bienvenue, tant la décision de la Cour suprême a provoqué un choc mondial - en tout cas, dans les pays qui autorisent le recours à l'IVG. 

L'annulation de l'arrêt Roe v. Wade nous a rappelé à quel point les équilibres politiques sont mouvants, fragiles. 

Une procédure lourde pour un droit fondamental

Quelle est l'étape suivante ? Concrètement, comment intégrer le droit à l'avortement dans la Constitution ?

Rachel-Flore Pardo : Deux voies sont possibles pour modifier la Constitution française. 

Si la proposition de loi constitutionnelle émane d'un parlementaire, il doit avoir un vote de l'Assemblée nationale et du Sénat dans les mêmes termes, avant qu'elle ne soit soumise à un référendum. 

Lorsque le texte provient de l'exécutif, il doit également avoir un vote dans les mêmes termes par les deux chambres parlementaires, sans que l'Assemblée nationale ait le dernier mot. Mais il y a ensuite deux options cette fois-ci : soit, le recours au référendum, soit, le vote par le Parlement réuni en Congrès à Versailles aux trois cinquièmes [Selon l'article 89 de la Constitution, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, ndlr].

Nous nous rendons bien compte qu'il s'agit d'une procédure lourde, mais la protection du droit des femmes à disposer de leurs corps nous semble aujourd'hui essentielle.

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